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Février sera noir

En 1926, l’historien Carter Godwin Woodson, spécialiste en histoire afro-américaine, choisit la deuxième semaine de février pour célébrer ce qu’il appellera le Negro History Week. Woodson fait partie des premiers à s’intéresser à la situation des Noirs et à leur apport aux communautés. Cinquante ans plus tard, alors que l’Amérique fête son bicentenaire, la semaine s’étend au mois complet. Depuis, au Canada et aux États-Unis, février est le mois commémoratif en l’honneur de la lutte pour mettre fin à l’esclavage. Bien que certains croient que cette célébration ne fait qu’alimenter le racisme en cloisonnant les peuples, le Mois de l’histoire des Noirs est également une occasion de se rappeler ces nombreuses personnes qui continuent à embellir notre communauté. 

»>Venant Mboua

Venant Mboua travaille à CameroonVoice, une webradio qui se veut une tribune d’expression pour les Camerounais et les Africains de la diaspora. L’une des deux émissions qu’il anime, « Sans détour », propose des débats politiques hebdomadaires sur des points chauds de l’actualité africaine. Venant est également journaliste et comédien-conteur. 

Le Délit (LD): Décrivez, en un mot, vos sentiments par rapport au cheminement et à l’élection de Barack Obama à la présidence des États-Unis ?
Venant Mboua (VM): « Fierté », si je dois me limiter à un mot. Sinon, je dirais qu’il s’agit d’un grand moment de l’histoire du peuple noir.

LD : Comment dépeindriez-vous la réalité de la communauté noire à Montréal ?

VM : Je ne prétends pas connaître intégralement la communauté noire de Montréal, mais je peux pourtant dire qu’elle semble correspondre, comme partout ailleurs sur la planète, à la réalité définie par le poète Aimé Césaire : « Elle est une foule qui ne sait pas faire foule. » Elle a du mal, d’une part, à se rassembler, puis d’une autre, à défendre ses causes.

Lors des élections fédérales, par exemple, nous avons proposé des débats aux auditeurs pour donner la chance aux Africains de faire valoir leur point de vue et d’échanger avec les candidats. On n’a pourtant pas connu d’enthousiasme. Je ne vois pas la communauté noire tenter d’avoir une seule voix, forte et concourante.

LD : Quels ont été les points saillants de votre parcours jusqu’à ce jour ?

VM : J’ai passé une bonne partie de ma vie en Afrique. Je m’y suis consacré à la défense des droits de l’homme, d’abord au Rwanda,  mais également à l’intérieur des principaux foyers de tension. En tant que journaliste, j’ai aussi travaillé à la dénonciation d’un certain nombre d’États qui ternissent toujours l’image de l’Afrique –et cela ne m’a pas toujours valu que des amitiés.

Les Québécois d’ici n’ont généralement pas, ou très peu, l’occasion de voir une guerre ou de vivre sous un régime dictatorial, et c’est ce qui me distingue, a priori, d’eux. En tant que Noir, il y a toute une histoire derrière moi : 350 années d’esclavage, un siècle de colonisation puis, plus récemment, le pillage des ressources de l’Afrique. Il serait bien difficile d’être Noir, et de ne pas avoir notre histoire en mémoire.

LD : En quoi participez-vous à l’écriture de l’histoire des Noirs ?

VM : Cette histoire s’écrit tous les jours, comme celle de tous les peuples d’ailleurs. Je l’ai pourtant rédigée à ma manière alors que je faisais, en 1994, la couverture du génocide du Rwanda et au moment où je me faisais reporter pour la mission d’évaluation des effets de l’embargo de l’ONU sur les populations libyennes en 1995. Ici, au Québec, il s’agit de donner la parole aux gens, de rendre compte de leurs difficultés et obligations.

LD : Quel aura été l’effet de l’élection de Barack Obama sur votre entourage immédiat ?

VM : D’abord, personne autour de moi ne croyait que son élection soit possible, mais maintenant que c’est une réalité, ils s’en réjouissent. Vous savez, il y a d’ailleurs un extrait du discours de Barack Obama qui a davantage touché les Africains : le moment où il s’adresse aux dictateurs, aux personnes qui s’accrochent au pouvoir par la fraude et trompent leur peuple. Par sa position de président des États-Unis, plusieurs espèrent en fait qu’il influence les décisions à venir, particulièrement au niveau des démocraties et du respect des droits de l’homme en Afrique.

LD : Considérez-vous que les objectifs poursuivis par Barack Obama soient parallèles à ceux de Nelson Mandela ?

VM : Dans une certaine mesure, oui. Pourtant, Nelson Mandela a fait ses preuves. Il a été un acteur clef en instaurant la paix entre les peuples noirs et blancs. Par opposition, l’action d’Obama n’est pas encore tangible.

Propos recueillis par Éléna Choquette

»> Yolande James

Née en 1977 à Montréal, l’Honorable Yolande James est la ministre de l’Immigration et des Communautés culturelles. Mme James a toujours eu les causes liées aux immigrants à cœur. Elle obtient son baccalauréat en droit civil à l’Université de Montréal en 2000, et est élue députée de l’arrondissement de Nelligan en 2004. En 2007, elle devient la première et la plus jeune Canadienne d’origine africaine à être élue au Conseil des ministres du Québec.

Bien que certaines décisions de la Ministre sont parfois sujettes à débat au sein des partis politiques, ses fonctions consistent entre autres à définir le nombre de ressortissants étrangers admissibles à l’intérieur d’une période donnée, à faciliter l’établissement et/ou la réunification familiale de ces immigrants, et à favoriser l’intégration linguistique, culturelle et économique de ceux-ci.

Cette année, la ministre Yolande James a été choisie comme porte-parole pour l’édition 2009 du Mois de l’histoire des Noirs. Le thème intitulée « La passion d’agir, le rêve de construire », fait un bel écho aux récentes élections présidentielles américaines et aux nombreuses possibilités qui s’ouvrent.

»>Boucar Diouf

S’il clame avoir des racines africaines, il a aussi un feuillage québécois et un tronc sénégalais. Bouar Diouf est un véritable baobab recomposé.

Il est né au Sénégal, là où, de son propre aveu, il a découvert qu’il aimait déjà faire des blagues et provoquer le rire. Pourtant, sa vocation artistique ne rendait pas sa famille très fière. Il s’est alors consacré intégralement à l’étude des sciences naturelles. S’il s’identifie humoristiquement aux arbres, ce n’est pas le fruit du hasard. Il les connaît bien, les sciences de la nature.

La recherche scientifique ne lui a pourtant pas permis de créer comme il se plaît à le faire. Il a renoncé aux qualifications que lui a conférées son doctorat en océanographie et a opté pour l’art créatif.

Il se qualifie de Québécois d’origine ethnique, quoique la nationalité à laquelle il aspire « outrepasse les seules limites de la race, de la religion et du territoire. » Il utilise pourtant une approche agréablement originale pour aborder les rapprochements interculturels. L’hybridation des genres humoristiques, qui se retrouve à l’intérieur de son premier spectacle D’Hiver Cité, voilà ce qu’il propose comme accès nouveau aux subtiles différences culturelles. D’ailleurs, dit-il, c’est en riant des dissemblances que l’on en arrive à les apprivoiser. Fait cocasse,  Boucar Diouf parle avec plus d’émotions de son pays en terre américaine qu’africaine. Son pays à lui, c’est le Québec.

»>Michel Mpambara

Arrivé au Québec à l’âge de dix-sept ans, Michel Mpambara est humoriste. En 1996, il gagne le prix « Coup de Cœur » du Festival Juste pour rire de Montréal.
Si vous avez déjà assisté à un spectacle de Michel Mpambara, vous savez qu’il est résolument provocant. Débutant un de ses stands-up par l’affirmation « Je suis raciste », ce Rwandais d’origine parle sur un ton comique des différences culturelles. Michel ne traite pas seulement des difficultés et des surprises présentes lors du processus d’intégration, mais part réellement à la recherche de ce qui crée les identités, puis les sociétés. Aussi, entre des rires de bon cœur lancés par la salle, l’humoriste semble découvrir son identité canadienne et africaine.

Dans un entretien avec Christiane Charette, Michel Mpambara révèle qu’il est « Africain contre [son] gré ». Ceux qui ont passé la majorité de leur enfance au Burundi lors du génocide rwandais, utilisent l’expression « Retourner au Rwanda » même lorsqu’ils n’y sont jamais allés. À la question de Christiane Charette, qui lui demandait s’il voulait retourner au Rwanda, Michel Mpambara cite Dany Laferrière : « Le destin, ce n’est pas ce que l’on veut. » L’humoriste est un exemple d’espoir, son sourire demeurant sa marque de commerce.

»>Michaëlle Jean

Le parcours de Son Excellence la très honorable Michaëlle Jean n’est pas sans rappeler celui du désormais célèbre président noir des États-Unis. En effet, non seulement est-elle la première femme noire à occuper le poste de Gouverneure Générale du Canada, mais c’est aussi la première fois que la famille vice-royale –son mari Jean-Daniel Lafond et elle –est née hors du Canada et des royaumes du Commonwealth. Ils sont respectivement nés en Haïti et en France.

L’arrivée à la Maison Blanche d’Obama ? Un moment historique d’amplitude planétaire, selon ce qu’elle livrait lors de la « Déclaration de la Gouverneure Générale » soulignant son assermentation. « C’est l’espoir en un monde où l’être humain retrouve sa place, soit en plein centre. » Elle considère aussi que c’est Martin Luther King qui a préparé l’arrivée d’un Noir à la Maison Blanche aujourd’hui, et c’est précisément son rêve qui nous anime aujourd’hui.

Si elle a travaillé à « briser les solitudes » (devise qu’elle a adoptée au début de son mandat) au cours de sa carrière en journalisme, il ne s’agissait pas seulement d’un appel au rapprochement des anglophones et des francophones, mais plutôt d’instaurer un pacte de solidarité entre tous les citoyens qui composent le Canada d’aujourd’hui. Une coopération qui s’inscrit au sein des relations entre toutes les communautés ethniques, linguistiques et culturelles canadiennes. Dans ce dessein, elle a mis sur pied un site de clavardage pancanadien qui se veut être un lieu d’échange d’idées, essentiellement destiné aux jeunes.

Il faut, dit-elle mettre fin à l’étroitesse du « chacun pour soi », « chacun pour son clan ».

Elle a livré, à l’occasion de la célébration du Mois de l’histoire des Noirs à la Saint-James United Church à Montréal en 2006, que le Mois de l’histoire des Noirs se veut une « occasion de le rappeler et de formuler à nouveau le vœu si cher à Martin Luther King de se sortir des sables mouvants de l’injustice raciale pour se hisser enfin sur le roc solide de la fraternité. » Elle profite aussi de cette opportunité pour inviter la population canadienne, particulièrement les Montréalais, à ouvrir les livres de Dorothy Williams qui retracent la contribution des Noirs à l’histoire de cette ville.

Toujours selon elle, l’incompréhension qui caractérise les mésententes identitaires et culturelles n’a plus de place au sein d’un pays où le respect, l’ouverture et le partage sont valorisés.


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