Aller au contenu

Le dépeintre

Le dernier album de Thomas Hellman est encore tout chaud. Ce diplômé de McGill livre les secrets de son succès au Délit.

Le Délit (LD): Vous avez complété votre baccalauréat et votre maîtrise à McGill ?
Thomas Hellman (TH): J’ai fait un bac en Études humanistes, puisque je n’avais pas tellement idée de ce que j’avais envie de faire. J’y ai d’ailleurs pris beaucoup de cours de littérature française et ai découvert que c’est ce que je voulais étudier à la maîtrise.
LD : C’est surprenant pour un musicien d’avoir complété autant de cours de lettres et pas de musique, non ?
TH : L’étude des lettres représentait un bon moyen de me confronter aux grands textes. J’ai pu lire pendant plusieurs années tout en jouant parallèlement de la musique.
LD : Vous avez rédigé votre mémoire sur le bilinguisme ?
TH : Puisque mon père est américain et ma mère française, j’ai toujours vécu entre les deux langues et les deux cultures. Le temps d’un mémoire, je me suis permis de réfléchir sur la question de la création qui prend place entre les deux. Le français et l’anglais sont deux outils de création au même titre que deux instruments de musique. Chacune des langues permet de réinterpréter, de revoir le monde. Et Prêts, Partez, quoique ce soit un album de langue française, est souvent traversé par l’anglais, aussi bien que l’aurait fait un instrument de musique.
LD : Vous préférez écrire en anglais ou en français ?
TH : L’anglais me vient plus facilement pour l’écriture de la musique, essentiellement à travers l’héritage folk. J’ai grandi en écoutant surtout Bob Dylan, Tom Waits… Pourtant, j’ai plus de plaisir à écrire en langue française. Elle comporte une matière plus difficile à travailler mais le résultat en est d’autant plus satisfaisant. Et du coup, je n’ai plus l’impression de jouer au bras de fer avec Dylan (rires).
LD : Vous êtes français ou francophone ?
TH : Je suis né à Montréal, mais on m’y prend pour un touriste puisque mon accent se rapproche du parisien. À Paris, on me croit Européen, quoique pourvu d’un accent singulier. Néanmoins, en France, c’est moi qui me considère étranger. Décidément, je serai une anomalie où que je sois (rires).
LD : Quelle est la séquence naturelle des choses ? Vous composez d’abord, dénichez un fil conducteur, puis réalisez l’album ?
TH : Je travaille beaucoup le côté sonore, c’est-à-dire la mélodie puis la rythmique, pour que s’y accole un message par la suite. J’ai écrit plusieurs chansons pour ce disque-là, et j’ai rejeté quelques-unes des compositions, quoique je les aimais beaucoup, puisqu’elles ne cadraient pas avec l’univers global de l’album. Vous savez, un album, c’est un peu comme un recueil de nouvelles : chaque chanson a son propre univers, son propre personnage et son histoire particulière, mais le tout dans son ensemble est nécessairement plus que la somme de ses composantes.
LD : Quel est l’univers de Prêts, Partez ?
TH : C’est un peu l’illustration du monde moderne tel que je l’entrevois. Des chansons comme « Prêts, Partez » font écho à notre génération qui peut se sentir souvent désemparée, un peu sacrifiée. À travers cela, toutefois, j’ai voulu mettre au monde des chansons qui s’ouvrent sur l’espoir, le rêve, surtout dans la beauté des petites choses que l’on néglige. C’est à travers cela que la lumière entre.
LD : Et c’est le rôle de l’artiste de rendre perceptibles ces choses-là aux auditeurs ?
TH : D’abord, je n’ai jamais cru que j’étais ou aurais voulu être un artiste engagé. Je n’aborde pas de causes particulières. Je crois néanmoins que j’agis comme le fait un radar, ou une éponge, quoique l’image soit nettement moins belle (rires). Un artiste absorbe la matière ambiante. L’art permet fait ressortir ces choses nécessairement inutiles ou inutilement belles, mettant des bâtons dans les roues de cette grosse machine qui avance un peu malgré elle, on sait plus dans quelle direction d’ailleurs, ne sachant plus s’arrêter. On dit souvent des artistes qu’ils sont imbus d’eux-mêmes et obsédés par leur personne, mais je crois en fait que l’art véritable est fondamentalement altruiste puisqu’il rend la beauté accessible pour le reste de l’humanité.
LD : Il y a une relation dangereuse entre l’art et l’argent ?
TH : En fait, il y a toujours eu un mariage nécessaire, quoique difficile, entre les deux. Le Canada, en exemple, a voulu être un grand mécène des arts, quoique maintenant on ne sache plus s’il l’est toujours (rires). Quoiqu’il en soit, si l’art se formatait pour se vendre et s’insérait dans la logique du quotidien, je serais assurément inquiet. Il se doit de rester indépendant de cette logique pour mieux l’ébranler.
LD : Vous êtes au premier rang du palmarès des albums les plus diffusés sur toutes les plateformes de Radio-Canada. Cela vous rend-il fier ?
TH : Je n’ose plus écouter Radio- Canada maintenant ! À ce propos, Thomas Williams, ou peut-être Rilke au fait, écrivait que présenter une oeuvre, c’est un peu comme faire un jardin et le rendre public. Tout le monde peut entrer avec de grandes bottes et peut y arracher les fleurs. C’est toujours inquiétant de mettre autant de soi-même et de ne pas savoir comment les gens y réagiront. Je suis ravi que ça plaise.
LD : Et qu’est-ce que l’avenir vous réserve ?
TH : Je projette bien sûr la conception d’autres albums. J’aimerais aussi faire de la musique pour le cinéma ou le théâtre. Et j’entretiens l’idée d’un projet d’écriture parallèle, quoique je n’aie pas idée de la forme qu’il prendra. Mais, pour le moment, je pars défendre Prêts, Partez.
LD : Y a‑t-il des artistes avec qui vous aimeriez partager la scène ?
TH : La plupart des personnes avec lesquelles j’aurais aimé partager la scène sont morts, en fait (rires). Il y avait Brel et Nina Simone, Tom Waits également. Mais je me serais probablement plu davantage à être parmi le public que sur scène avec eux.
LD : Vous serez bientôt en spectacle à Québec et à Nantes. Qu’est-ce qu’on peut attendre pour les gens de l’île de Montréal ?
TH : Il y aura la rentrée montréalaise en hiver, on s’y installera. Ce sera aussi le début d’une tournée au Québec, en France assurément aussi, quoique je ne connaisse toujours pas les derniers détails. Je suis enthousiaste à l’idée de la commencer puisque la scène me fait à chaque fois revisiter l’album.
LD : Quelque chose à dire à la communauté étudiante de McGill ?
TH : En fait, j’ai une longue histoire avec McGill, d’abord parce que mon père y est professeur d’histoire et aussi parce que j’y ai enregistré mes deux premiers albums, qui m’ont d’ailleurs permis d’aller jouer en France et en Chine. J’ai aimé faire de la radio à CKUT et écrire pour Le Délit. Je pouvais assister à des lancements d’album et des spectacles gratuits. J’ai aussi adoré rencontrer des gens de partout, entrer dans une multitude de livres. Je me rappelle aussi avoir adoré sécher les cours pour me rendre derrière, sur le Mont Royal ! 


Articles en lien