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YES THEY CAN. Mais nous ?

En 2007, d’après une étude du Pew Research Center, un cinquième de la population américaine ne s’aimait pas. Imaginez-vous : des Antiaméricains chez les Américains ! Le 5 novembre 2008, nos voisins se réveillent pourtant gonflés à bloc. Alors, que du vent, cette élection ? Je ne crois pas. La campagne présidentielle la plus chère de l’histoire a au moins eu le mérite de permettre aux Américains de passer sur le divan. Après des années noires et une longue liste de psychoses, ils se sont posé une question essentielle, presque existentielle : « Avons-nous encore envie de nous aimer, et de nous faire aimer du monde ? » La réponse est retentissante : « YES WE CAN » ! Dans son édito de la victoire, Le Temps (Suisse) note que « la présidence de Barack Obama pourrait s’arrêter là qu’il aurait peut-être accompli l’essentiel : montrer la capacité du peuple américain à replonger dans l’idéal de ses pères fondateurs, pour y puiser l’énergie d’aller de l’avant vers cette « nouvelle frontière » où l’optimisme, la volonté, l’élan vital s’unissent contre les divisions ». Puissante automédication que ce Barack ! Et à notre adresse, un étonnant relooking. « Voilà ce qui est le vrai génie de l’Amérique : l’Amérique peut changer », a‑t-il dit dans son discours d’acceptation du président élu. Les Américains ont certainement voté dans le secret de l’isoloir, mais ils nous observaient du coin de l’oeil : « YES WE CAN… mais VOUS ?»

That is the question. Sommes-nous capables de changer de refrain, d’aimer (un peu) l’Amérique ? C’est le temps de passer sur le divan – straight talk express… En 2007, toujours selon Pew, près de la moitié des Canadiens disait avoir une image négative des États-Unis. Impérialistes, paranoïaques, incultes, idiots, racistes, pudibonds, homophobes, ou encore machistes ; on a toujours un bon mot pour nos voisins. Mais de quoi souffrons-nous, docteur ? Le psy Bruckner (Misère de la prospérité, Grasset, 2002) a un diagnostic tout prêt : « Dans ses formes les plus extrêmes, l’antiaméricanisme, et chaque continent a le sien, est un principe d’interprétation global qui offre un triple réconfort théorique, pratique, existentiel. Il incarne à merveille la théorie de la causalité unique, constitue la preuve en dernier recours lorsque la raison a épuisé tous ses arguments. Si l’Amérique n’existait pas, il faudrait l’inventer : sur quel bouc émissaire aussi commode pourrions-nous laver nos péchés, nous défausser de nos ordures ? Où trouverions-nous un tel centre de blanchiment des crimes de la planète puisque tout ce qui va mal sur cette terre peut lui être imputé ? » Wow ! La pilule est dure à avaler : encore des vérités qui dérangent. De Pape (« L’énigme anti-américaine », mis en ligne le 23 novembre 2006 par Menahem Macina sur le site upfj​.org) pousse un peu plus loin. Impérialistes, les Américains ? « L’impréparation presque « candide » de l’après-guerre en Irak démontre l’incapacité structurelle des États-Unis à s’incruster ». Paranoïaques ? L’arrondissement de Manhattan, aux premières loges le 11 septembre 2001, a voté à plus de 80 % pour Kerry [en 2004], insensible aux sirènes sécuritaires des Républicains. Incultes et idiots ? Outre qu’on voit mal comment une bande de veaux pourrait dominer le monde, les États-Unis concentrent une des plus grandes densités de musées, d’orchestres symphoniques et de bibliothèques. L’intelligentsia américaine est une des élites les plus réputées du monde. Racistes ? Peut-être, mais la Maison Blanche appartient désormais à un Noir (métis). Pudibonds, prudes, homophobes, machistes ? L’industrie pornographique américaine est la plus prospère du monde. C’est tout autant le pays de l’émancipation homosexuelle que celle des femmes, d’ailleurs, dont les excès sont régulièrement dénoncés par les grandes figures féministes européennes. Bref, on instruit le plus souvent à charge un pays qui, loin d’être uniquement vertueux, cumule en fait les contrastes. L’ignorer, c’est se condamner à n’y rien comprendre. La grande leçon du 4 novembre, c’est peut-être ça : si nous avons mille raisons de haïr l’Amérique, il n’y a plus d’excuses pour ne pas au moins tenter de la comprendre. Quant à l’aimer, ben pas besoin d’aller voir un psy pour ça : c’est correct.


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