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De la démocratie en Amérique

Après l’apogée cataclysmique qu’a représenté l’arrivée de Barack Obama à la Maison Blanche, la possibilité d’élire un nouveau gouvernement à la tête de notre belle province paraît peu émoustillante. Alors que, deux ans plus tôt, la gauche angoissée regardait avec stupeur et tremblements la montée en flèche de l’Action démocratique du Québec, rien de semblable ne vient troubler la morne quiétude de cette campagne électorale. Le débat, cette semaine, a encore une fois beaucoup tourné autour d’une idée mille fois ressassée : Pauline Marois, chef du Parti québécois, serait snob. Pas assez proche du peuple. Trop éloignée du « vrai monde ».

Loin de moi l’idée de défendre Mme Marois, de prendre position pour ou contre le port de tailleurs Chanel ou de lui conseiller de laisser traîner ingénieusement un exemplaire de La Semaine lorsque des journalistes rôdent dans les environs. Il semble toutefois que le cas de Pauline Marois reflète la relation pour le moins complexe qu’entretient la population avec les politiciens lorsque les notions d’élitisme, et, par extension, de culture, apparaissent. Bernard Landry, quelques années auparavant, n’avait pas réussi à apprivoiser une masse souvent méfiante devant un homme intelligent, certes, mais peut-être un peu trop porté sur les citations latines pour ne pas être vaguement louche. Le savoir, les mots, ne suscitent pas l’admiration.

Plus tôt cet automne, Stephen Harper a décidé de réduire le financement en culture, et ce, tout à fait ouvertement. Alors qu’on reproche sans cesse aux politiciens leur manque de transparence, M. Harper a été d’une franchise exemplaire. Il l’a dit et répété : le bon peuple n’en a rien à faire, de l’art corrompu qu’une bande d’artistes gâtés et vicieux peut pondre aux frais des contribuables. Stephen Harper a d’ailleurs remporté son pari : il a été réélu sans que les coupures aient fait réagir hors des milieux culturels.

Depuis près de deux ans, l’écrivain Yann Martel, scandalisé par l’apparent manque d’intérêt pour la culture de notre premier ministre, envoie deux livres par mois à Stephen Harper, accompagnés d’une lettre, dans le but – quelque peu présomptueux – de faire son éducation littéraire. Hormis un laconique communiqué de l’attaché du premier ministre, Yann Martel n’a pas reçu d’échos ou de commentaires de la part de Stephen Harper. Bien sûr, il eut été surprenant que, soudainement éclairé, M. Harper tombe à genoux devant l’écrivain pour, dans un grand élan rédempteur, se convertir à la beauté des lettres. N’empêche, Stephen Harper donne le sentiment de n’avoir pas grand chose à faire de la culture, et de ne pas s’en porter plus mal pour autant.

Cette semaine, des écrivains américains ont applaudi l’élection d’un président amoureux des lettres et défenseur de la culture. Barack Obama, en effet, a été à maintes reprises félicité pour la littérarité et la richesse de ses discours. On respecte le nouveau président pour son éloquence formidable et ses capacités mobilisatrices. Barack Obama parvient à transmettre un rêve, une vision du monde complexe et inspirante en inscrivant son parcours dans une trame historique plus large. Si nous trouvons que nos politiciens ressemblent davantage à des hommes d’affaires ou à des gérants d’épicerie qu’à des leaders rassembleurs, c’est sans doute en bonne partie parce que la culture, dans son acception la plus large, a été évacuée de la place publique, par méfiance ou par manque d’intérêt. Mais alors, s’interroge votre humble servante, pourquoi cette méfiance, pourquoi ce désintérêt chez la population ? Même une snob doit tâcher de trouver une réponse à cette question…


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