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Ça tourne

La Compagnie Danse-Cité présente Çaturn, un spectacle hybride mêlant danse et cinéma expérimental.

Une œuvre toute personnelle de la danseuse et réalisatrice Naomi Stikeman, influencée par les approches artistiques de Robert Lepage, Édouard Lock, Bell Orchestre et Crystal Pite, ça donne Çaturn, un spectacle hétéroclite, métissé et éclaté.
Le retard et les difficultés techniques du début se sont vite effacés pour faire place à l’étonnement. Dans les premières minutes, un homme monte sur scène et, marchant dans le noir, éclaire de sa lampe de poche une série de dinosaures miniatures. Suit immédiatement un premier extrait vidéo qui fait sourire en présentant aux spectateurs Sophie, la protagoniste, et Chanel, la propriétaire d’un salon de coiffure de banlieue. Le spectacle se poursuit ensuite dans un entrelacement efficace de vidéo et de danse.
Côté danse, nous avons droit à une première séquence mémorable où Naomi Stikeman, dont le visage est camouflé sous une cagoule de nylon transparent, traîne une lourde crinière de cinq mètres de long dans un jet de lumière, avec des gestes lents et contrôlés. Dans le décor, un œuf de dinosaure éclairé par un halo de lumière fait allusion à la planète Saturne.
Un autre enchaînement à la gestuelle ample propose un duo entre Naomi Stikeman et le danseur Peter Chu, tous les deux affublés d’une perruque frisée aux couleurs pastel, d’une robe blanche et de chaussures Converse noires. Plus tard, une chorégraphie joue sur les contrastes en montrant Peter Chu, à quatre pattes sur une musique aux accents tropicaux, se produire aux côtés de la danseuse, vêtue d’un délicat « léotard » blanc à plumes, sur pointes. On la croirait suspendue par la cime de sa perruque en forme de chapeau de lutin.  Elle semble nager dans l’aquarium projeté sur le grand écran, transposant ainsi la petite Sophie en ballerine aux mouvements gracieux.
À un autre moment, l’ex-danseuse des Grands Ballets Canadiens entre sur scène avec une longue perruque rose qui l’enveloppe, fine et légère, à l’image d’une jupe de tulle qu’on porterait sur la tête. Mais le moment de danse le plus captivant reste le deuxième solo de Peter Chu, la révélation de la soirée, qui se montre à la fois simple et plein d’intensité. La précision de son exécution est à couper le souffle. Les segments de danse ne font pas partie de l’histoire, mais sont bien des prolongements physiques de ce qui est vécu à l’écran. La seule déception reste que les tableaux de danse sont parfois trop courts.
En ce qui concerne les courts métrages, les effets sont ingénieux et l’esthétisme du traitement de l’image est remarquable. Les petits pas de danse synchronisés des vieilles clientes du salon font sourire. Une chorégraphie s’inspirant du jeu de la chaise musicale rend compte de la solitude de la vieillesse. Notons aussi la présence de Janine Sutto, qui joue le rôle de la grand-mère de Sophie, de même que le jeu flamboyant de Frédérike Bédard, la coiffeuse. Enfin, le spectateur ne peut rester indifférent devant une chorégraphie filmée où il retrouve Naomi Stikeman coiffée des mêmes fils roses qu’elle portait auparavant. La beauté de voir au ralenti la perruque animée d’un souffle de vie, anticipant les impulsions de son corps sculptural, frappe par sa grâce.
Et côté symbolique ? Les dinosaures, des créatures mortes et oubliées. Les œufs et les ovules, représentant la naissance. Les anneaux de Saturne, qui symbolisent le cycle de la vie. Pièce sur les liens intergénérationnels et la mémoire des femmes, Çaturn est un double pari réussi.


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