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Déjouer dans le labeur

Le Musée d’art contemporain de Montréal fait un tour d’horizon des oeuvres réalisées par Geoffrey Farmer au cours des quinze dernières années. 

Si vous êtes déjà allé au Musée des beaux-arts du Canada (MBAC), vous avez peut-être une idée de la façon dont travaille l’artiste vancouverois Geoffrey Farmer. La pièce Trailer, empruntée à la collection du MBAC dans le cadre de l’exposition montréalaise, surprend les visiteurs avec une semi-remorque entière dans une salle. Ce n’est qu’en l’observant de plus près que le visiteur pourra résoudre le caractère énigmatique de cette apparition.

Plusieurs des créations de Farmer invitent les visiteurs à repenser ce qu’est réellement un musée ou un espace d’exposition. Par exemple, pour l’œuvre inaugurant l’exposition –The Idea and the Absence of the Idea–, une portion du plancher a été coupée, pour être transformée en papier. Les feuilles sont empilées à proximité dans un recoin, à l’exception d’une seule, collée contre le mur, sur laquelle est gribouillé « Not the work, the worker ». Entre le clin d’œil fait aux artistes conceptuels dans le titre, la citation de Matta-Clark (on le connaît pour avoir déconstruit des édifices entiers) et la cabotine « déconstruction » du musée, le ton est donné : espiègle, mais cérébral.

À partir de ce coup d’envoi, deux thématiques récurrentes se distinguent. La première est une façon bien particulière d’envisager la création in situ. Les œuvres débordent du plancher, sinon du plafond, ou encore du musée lui-même. Nothing Can separate Us, un bric-à-brac caché derrière un mur de briques, contient une cloche improvisée dont l’activation nécessite de composer un numéro de téléphone portable.

Sont également dispersés à travers les salles d’exposition divers « personnages », y compris l’énigmatique balayeur que l’on aperçoit sur les affiches promotionnelles de l’exposition. Assemblés à partir de matériaux pauvres, ces personnages sont d’une figuration minimale. Néanmoins, on saisit sans difficulté l’humour d’un empilage de blocs lisant un journal.

La seconde thématique est d’aborder l’activité artistique en tant que travail et en tant que réflexion sur le travail. On le remarque d’abord par un « soleil » constitué d’une quantité innombrable de post-it. Plus éloquente encore est The Last Two Million Years, œuvre monumentale réassemblant librement des découpages de l’ouvrage du même nom publié par le Reader’s Digest. Cette installation, initialement accomplie au Drawing Room à Londres l’année dernière, témoigne d’un travail considérable, qu’il s’agisse du découpage des figures ou de l’assemblage de la structure finale.

Si certaines œuvres de Farmer s’intéressent au travail en tant que sujet et processus, cela s’accomplit suivant un angle critique. Il est facile de se perdre dans la besogne méticuleuse, un brin obsessive-compulsive de ses créations. Or, si on s’investit complètement dans une tâche, dans son aspect mécanique, on peut finir par perdre complètement le contexte qui entoure un travail. Nul doute qu’un peu de déconstruction et de recul, dans un musée ou ailleurs, nous aide à mieux saisir les excentricités de la routine et de l’habitude.


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