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En France, ne réforme pas qui veut

Le gouvernement choisi par Nicolas Sarkozy réforme en profondeur le système universitaire français. Non sans heurts…

« Non à une université au rabais!, criait-on à la manifestation nationale du 24 janvier dernier à Paris. » On y trouvait des étudiants aux côtés des fonctionnaires, réunis pour protester contre les récentes réductions de postes dans l’enseignement universitaire. Une fin d’année 2007 marquée par des blocages d’universités monstres, un prix Nobel fraîchement nommé qui s’oppose aux déclarations du président Nicolas Sarkozy sur la finalité de la recherche, une ministre malmenée forcée au dialogue : alors même que commencent à s’appliquer en France les premières dispositions de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU), les changements de grande ampleur voulus par le nouveau gouvernement provoquent inquiétudes et contestations. 

L’univers étudiant universitaire cristallise un malaise général, en particulier depuis la gigantesque mobilisation de 2005 contre un nouveau contrat de travail qui a poussé des millions de jeunes à manifester. La loi LRU est la goutte qui fait déborder le vase. Le texte de loi, d’inspiration libérale, provoque la colère d’un monde étudiant de gauche, colère habilement relayée par les syndicats étudiants puis par les politiciens, qui y voient un moyen percutant de s’opposer au président Sarkozy.

Mi-octobre 2007, sentant le moment venu, le principal syndicat étudiant français, l’Union nationale des étudiants de France (l’UNEF) appelle à une révision de la loi. L’argument principal est alors le pouvoir jugé « hégémonique » donné aux présidents d’université, qui ferait même craindre à certains une « féodalisation » de l’université. Le gouvernement Sarkozy refuse pourtant de discuter d’une loi « déjà inscrite dans le marbre » et qualifie de « manipulation » la collaboration entre 10 étudiants et les groupes idéologiques anti-sarkozy.

Alors que l’extrême-gauche appelle déjà à l’abrogation de la loi, les piquets de grève commencent le 12 novembre à succéder aux manifestations, et la contestation se nationalise. On voit soudain les pontes du Parti socialiste dénigrer violemment le texte à la télévision, critiquant la « précarité du personnel » qu’il instaure et évoquant le spectre d’une « université soumise à l’entreprise ». Le 27 novembre, alors que 45 universités sont bloquées au plus fort de la crise, la ministre annonce des mesures qui satisfont une partie des étudiants ; le 29, le président Sarkozy promet de débloquer « cinq milliards d’euros en cinq ans » pour l’université.

Généalogie du conflit

Si tout le monde s’accorde sur la nécessité du changement, le passage à l’acte s’est révélé autrement plus compliqué. Priorité déclarée du gouvernement formé par Nicolas Sarkozy, la réforme de l’enseignement supérieur a été menée tambour battant dès les premiers jours de son mandat. Début juillet 2007, le projet de loi est ficelé ; un mois plus tard, le 11 août, la loi est votée en procédure d’urgence devant une assemblée relativement vide. La réaction étudiante se fera attendre plus de deux mois.

Certaines mesures proposées font relativement consensus : création de centres d’orientation dans les universités, mise en place d’une aide nouvelle pour les étudiants en licence. Mais la loi renforce aussi énormément les pouvoirs du président de l’université, lui conférant notamment tout autorité sur les formations dispensées et la gestion du personnel. L’entrée obligatoire au Conseil d’administration d’acteurs de la vie économique soulève la question du pouvoir de l’entreprise au sein du monde universitaire ; et les nouvelles libertés accordées aux établissements (possibilité de passer des accords de financement et de prendre possession des bâtiments) sont vues par certains comme l’institution d’un système universitaire à deux vitesses : certaines universités prestigieuses seraient plus à même de signer des contrats fructueux avec des entreprises que d’autres établissements qui, isolés, péricliteraient.

Une réforme dans la douleur

La mauvaise gestion de la controverse par la ministre de l’Enseignement supérieur, Valérie Pécresse, a empiré les choses. Après le vote de la loi au beau milieu des vacances universitaires, le gouvernement a refusé toute discussion malgré une grogne montante et une demande générale de moyens. Il a fallu que la contestation culmine en un blocage généralisé par des piquets de grève dans 45 universités pour que le gouvernement lâche du lest et annonce, le 27 novembre, de nouveaux crédits pour l’université, ce qui a définitivement déminé le terrain. Les mesures de la loi LRU s’appliqueront désormais progressivement en 2008, avec à terme la possibilité pour les universités de devenir autonomes dans cinq ans.

Un système bancal

Scindé entre « grandes écoles » et universités, le système d’éducation supérieure français est de nature à donner un mal de tête à toute personne non scolarisée dans l’Hexagone. L’université, institution de masse, absorbe les deux tiers des étudiants français. Elle donne accès à un grand nombre de formations sur un modèle de diplômes semblable au système canadien. La licence, qui correspond au baccalauréat américain, est obtenue en trois ans, le master en cinq, pour des frais d’inscription minimes : 162 euros, soit 240 CAD par an, les trois premières années. 

Prochaine étape : la recherche

L’étape de la loi LRU franchie, le président Nicolas Sarkozy a maintenant l’ambition de réformer le système de recherche français, dont le noyau est le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), lequel fixe les projets de recherche ayant lieu en France. Attaquant de front cette structure lors d’un discours de félicitations au français Albert Fert, gagnant du prix Nobel de physique 2007, Sarkozy s’est le lendemain mérité une répartie du scientifique. [NDRL : voir l’entrevue ci-contre]. D’ailleurs, la majorité de la communauté des chercheurs semble hostile au projet du président.

Qu’en pensez-vous, Albert Fert ?

Le Délit a recueilli les réflexions d’Albert Fert, scientifique français ayant reçu le prix Nobel de physique 2007 et membre d’une commission de suivi sur la loi LRU.

Le Délit (LD): M. Fert, croyez-vous que la recherche française soit confrontée à un problème de fond ?

Albert Fert (AF): Je ne pense pas que la structure fondamentale soit en cause. Le système [actuel] produit une recherche de qualité, coordonnée au niveau national par un CNRS qui fixe efficacement une stratégie à long terme et gérée au quotidien par l’Agence nationale pour la Recherche (ANR) qui prend des décisions plus immédiates.

L’université fonctionne en bonne articulation avec le monde de la recherche via les « unités mixtes » [NDLR : Il s’agit d’unités de recherche qui rassemblent des universitaires et des chercheurs du CNRS. Elles sont très courantes]. Supprimer le CNRS pour fragmenter la recherche française en instituts privés ou laisser toute l’initiative aux universités, comme l’avait suggéré Nicolas Sarkozy, me semble une très mauvaise idée. Je m’y suis d’ailleurs opposé publiquement.

LD : La loi LRU est perçue par certains comme instituant un système universitaire à deux vitesses. Y voyez-vous un risque réel ?

AF : Je ne relaie pas ces inquiétudes. Les universités françaises ont, comme dans tout pays, une évolution, un confort et une visibilité variés. Il est par contre vrai que certaines sont, aujourd’hui, dans un état assez pauvre. Je ne crois pas que la loi fasse empirer la situation.

LD : Le rôle de l’entreprise dans l’université française, toujours limité, est cependant accru par la loi. Se dirige-t-on vers une déresponsabilisation de l’État ?

AF : Il faut admettre les besoins de la société, dont les besoins économiques. L’essentiel est d’établir une réelle stratégie de formation mêlant des acteurs universitaires et privés. Mon expérience à la tête d’un laboratoire de recherche mixte CNRS-Thalès m’a convaincu de l’intérêt de tels partenariats [NDLR : Thalès est une grande société d’électronique industrielle]. 

Concernant la recherche scientifique, je suis cependant convaincu que la science ne peut se borner à satisfaire les besoins immédiats de la société ou à explorer les thèmes à la mode. J’ai plaidé, avec d’autres chercheurs, auprès du président Sarkozy pour que l’État finance plus les projets à risque ou sans application imminente ; j’espère avoir été entendu.

-Propos recueillis par Antoine Boudet.


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