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Regards sur Ta Mère

Le Délit a rencontré les fondateurs des Éditions de Ta Mère, créées il y a près de deux ans, afin d’en apprendre davantage sur le comment et le pourquoi d’une maison d’édition indépendante. Conversation littéraire autour d’un pichet de bière. 

Le Délit (L.D.): Comment vous est venue l’idée de fonder Les Éditions de Ta Mère ?

Maxime Raymond (M.R.): […] C’est Rachel [Sansregret]  , notre troisième partner, qui a toujours voulu être éditrice. On travaillait dans le même journal étudiant au cégep, qui était « ben plate ». On est rentré, puis on l’a tout refait à notre goût, avec « ben » des niaiseries. […] C’est de là que l’idée est venue. On écrivait déjà. Rachel nous a dit : « Tant qu’à écrire à moitié, écrivez un livre et on se part une maison d’édition en même temps ».

L.D.: Pourquoi « Les Éditions de Ta Mère » ?

M.R.: […] Sûrement que c’est dans une fête où on shootait une niaiserie parmi tant d’autres, puis celle-là est restée.
Guillaume Cloutier (G.C.): C’est de réutiliser un « gag » qu’on était tous « tanné » d’entendre : « Haaa ! Ta mère ! » […] Mais curieusement, la wave de dire ça est tombée juste après qu’on ait enregistré la compagnie…

M.R.: « Ta mère », c’est l’expression française : « Ouais… Ta mère… Ta mère est tellement grosse…» [Le nom] est drôle : « Je publie chez Ta Mère », « achète un livre à Ta Mère », « lis un livre de chez Ta Mère », « le site Web de Ta Mère»…

L.D.: « On lance Ta Mère…»

G.C.: (Rires) Celle-là reste encore bonne, je pense ! […] Ta Mère, ça se met en opposition avec une vague de noms de maisons d’édition plus sérieux, plus intellectuels, plus pédants, si j’ose employer le terme. On a longtemps dit que notre but était de « dépédantiser » la littérature, « fait que»…

L.D.: Quelle est votre mission, exactement ?

M.R.: Elle est très instinctive, notre mission.

G.C.: C’est surtout de promouvoir quelque chose qui va toucher à des formes différentes, des styles différents, pas nécessairement du linéaire. […] Mais ce n’est pas de l’underground trash non plus, nécessairement. Ça peut l’être, mais il faut qu’il y ait un travail de la forme. J’attache beaucoup d’importance à ça. [N.D.L.R. Guillaume est directeur littéraire.]

M.R.: C’est aussi des coups de foudre. […] Je pense que c’est ça notre premier point : si on aime vraiment ça, qu’on trouve que ça mérite un livre, […] on le sort. Mais on n’a pas cinq critères à suivre pour publier chez Ta Mère… […]

G.C.: C’est l’idée de ne pas se « garrocher » dans une recherche d’identité trop vite. […] Ça va se construire avec le temps.

L.D.: Avez-vous créé votre maison d’édition en réaction au milieu de l’édition québécoise ?

M.R. et G.C. (en même temps): Oui ! Non !

M.R.: On n’est jamais d’accord là-dessus. C’est ça qui fait la beauté de la chose. […] Disons que la maison n’est pas née pour dire « fuck you » à l’édition et à la littérature au Québec. La maison est née parce qu’on avait envie d’en faire une. Puis, parce qu’on est comme ça, elle fait un pied de nez. […]

G.C.: Sans compter qu’on ne s’en va jamais ‑comment je dirais?- off-limit parce qu’on est gardé de près par notre mère à tous… Rachel, bien sûr ! […]

L.D.: Comment faites-vous pour résister à l’espèce de lobby des grosses maisons ?

M.R.: […] On ne résiste pas à ça. On est juste ailleurs. Ce sont deux mondes à part. Ce n’est pas parce que je vends un livre que je vais en enlever un à n’importe quelle grosse maison d’édition. Elles, elles sont un marché. Nous, [notre maison], ce n’est pas un marché, c’est une passion. Nous, il n’est jamais question d’argent parce qu’on n’en fera pas de toute manière. […]

G.C.: Je dirais qu’il y a un intérêt évident [pour nos livres], une bonne réponse du public, mais pas de marché.

M.R.: Le problème qui [maintient] cette situation-là, c’est de les publiciser. C’est très très difficile.

L.D.: Comment fonctionne votre publicité ? 

M.R.: Par le bouche à oreille, les affiches… […] Mais la meilleure publicité qu’on ait eue à vie, c’est Expozine [N.D.L.R. : le salon annuel des fanzines, bandes dessinées et petits éditeurs de Montréal] où on a été invité par [Les Éditions] Rodrigol. […] Une fois que tu es là, tu rencontres tout le monde, tout le monde est ensemble dans cette espèce de grosse casbah-là. […]

L.D.: Et comment se passent vos ventes ?

M.R.: On arrive « floche ». […] En gros, publier un livre coûte 1200$. […] Jusqu’à maintenant, on arrive à se rembourser. Le but, c’est ça : se rembourser, puis faire le double pour en publier un autre.

L.D.: Le but n’est pas de faire de l’argent.

G.C.: On ne se rembourse même pas nous-autres ! […] Mais une fois qu’on est parti dans cette façon de procéder, […] on se dit : « Bah ! Balancer une couple de centaines de piasses, c’est pas grave ». En échange, on a l’autonomie et l’indépendance que peu d’éditeurs subventionnés ont. C’est assez plaisant de ce point de vue-là. […]

M.R.: On se fout de [comment l’industrie fonctionne] parce que ce n’est pas une façon de faire qui nous intéresse de toute façon. On y va « au pif ». On apprend à mesure. J’ai toujours dit que Ta Mère, c’était une école qu’on se bâtissait nous-mêmes. […]

L.D.: Quelle implication vous demande Ta Mère ? Combien de temps vous y mettez ?

G.C : Ça varie beaucoup. […] Un lancement, c’est beaucoup de job, on se tape des grosses semaines pour tout organiser, mais entre ça, c’est plus calme. On peut se permettre de travailler assez lentement parce que les auteurs, souvent, vont se fier aux délais et aux façons de faire des grosses maisons et que, elles, ce sont des délais épouvantables. Ça nous laisse un certain range. […] On met le temps qu’on peut mettre.

L.D.: En terminant, y aurait-il quelque chose que vous voudriez nous dire qui vous brûle les lèvres ? 

M.R. (aux lecteurs du Délit): Si vous avez des livres et que vous pensez qu’ils ne vont intéresser personne, mais qu’ils sont bons quand même, envoyez-les-nous.

G.C.: Ça peut arriver que ça intéresse les gens ! Et puis… Qu’est-ce qu’on pourrait dire ? Beurre de peanuts. Ta Mère loves you.


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