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Aventures montréalaises (ou pas) de la société civile

Le Forum Social Mondial monte au Nord pour la première fois.

Raphaël Canet

Si vous ne le saviez pas déjà, Montréal accueillait la semaine passée la 16ème édition du Forum Social Mondial (FSM). Le FSM est un rendez-vous de la société civile internationale autour de nombreuses thématiques allant cette année des alternatives économiques « face à la crise capitaliste », à la lutte contre la dictature, à la justice environnementale, à la démilitarisation… Selon l’équipe qui l’organise, le Forum a accueilli cette année plus de 1300 activités autogérées : le programme pour les cinq jours de la conférence faisait plus de cent pages. La même équipe était préparée pour la venue de 50 000 personnes, sur la base de l’affluence aux éditions précédentes. Pourtant, selon Le Devoir, seuls 15 000 participants auraient participé à l’inscription en ligne. Pourquoi ce vide ?

Montréal au Nord du monde

Ce qui faisait de cette édition du Forum Social Mondial une première, c’était justement son emplacement inédit dans un pays de l’hémisphère Nord de la planète. Le premier FSM avait eu lieu au Brésil en 2001 et plusieurs fois après, deux fois en Tunisie, mais aussi en Inde, au Kenya… La charte de principes du Forum requiert que « les alternatives proposées […] s’opposent à un processus de mondialisation capitaliste commandé par les grands entreprises multinationales et les gouvernements et institutions internationales […]». On comprendra donc que Montréal, ville du Canada, pays libéral, et même récemment conservateur, allié économique des États-Unis, grand pollueur, fondé sur le colonialisme et aveugle face aux griefs de sa population autochtone, ne soit pas une destination de premier choix.

Pourrait-on inversement considérer la tenue du Forum dans un pays du Nord comme un symbolisme et une occasion de bouleverser le statu quo ? Un évènement d’une telle envergure peut permettre d’augmenter la visibilité de groupes activistes canadiens pour qu’ils se fassent justice en leur territoire. Mardi le 9 août, lors de la grande marche qui a traversé Montréal pour lancer le FSM, plusieurs groupes de premiers peuples du continent étaient en tête de cortège. Manon Barbeau, fondatrice du Wakiponi mobile (une association qui met à disposition de premiers peuples du matériel de tournage, ndlr), estime qu’«en ce moment, la question autochtone prend une place qu’elle n’a jamais prise ».

 

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Raphaël Canet | Le Délit

Placer le Sud au centre de nos préoccupations

Il n’empêche que les contrôles d’immigration canadiens ont grandement entravé la tenue du Forum Social Mondial. Selon Le Devoir, dimanche, plus de 300 personnes avaient contacté les organisateurs du Forum pour témoigner du rejet de leur demande de visa. Ces mêmes organisateurs ont récemment sondé 312 organisations du Sud invitées : 70% d’entre elles ont répondu s’être vu refuser un visa. Les prix élevés du voyage ont aussi empêché plus d’un de faire le déplacement. Kamoga Hassan, activiste et réalisateur LGBTQ+ Ougandais, a dû faire appel à la générosité du public sur GoFundMe (plateforme de financement participatif en ligne, ndlr): près de 2700 dollars ont été levés en neuf jours pour lui permettre d’assister au Forum. Il a pu participer, en outre, au premier grand panel organisé sur la cause LGBTQ+ lors d’un Forum Social Mondial. Mais tous n’ont pas disposé pas du soutien de M. Hassan. Le mois d’août est la haute saison touristique à Montréal, il est donc cher de se loger. Ajoutez à cela le prix de la nourriture, du visa, et le billet d’avion, vous obtenez une addition prohibitive pour beaucoup de militants (qui roulent rarement sur l’or).

Tous ces obstacles ont compromis la traditionnelle volonté inclusive du Forum Social Mondial, ce qui tue dans l’œuf son ambition première : renverser l’ordre des relations globales.


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