Aller au contenu

Le canard transatlantique

Le Délit rencontre L’Outarde libérée, le webzine franco-québécois.

Luce Engérant

Rédactrice en chef de L’Outarde libérée, établie depuis plus de 10 ans au Québec, diplômée en gestion d’entreprise de Paris-Dauphine et en journalisme de L’Université de Montréal, elle est membre de l’association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ) et de la fédération professionnelle des journalistes du Québec (FOJQ). 

Le Délit (LD): L’Outarde libérée existe depuis février 2013. Un événement particulier a‑t-il provoqué sa création ? 

Nathalie Simon-Clerc (N.S‑C): C’est né sur un coup de tête parce que nous, les journalistes français au Québec, on a un peu de mal à trouver une job à cause de notre accent, au moins dans ce qui est audio. L’idée était de faire un portfolio au départ pour continuer d’écrire, se faire connaître et ne pas perdre notre patte journalistique. Finalement, comme on nous reprochait d’être trop ancrés dans la réalité française, nous avons décidé de faire quelque chose qui parlerait de l’actualité franco-québécoise et puis également des Français au Québec. On est devenu un catalyseur de la communauté française au Québec. 

LD : On peut lire, dans l’«À propos » de votre site internet, que vous proposez « un regard croisé pour rendre compte de l’actualité des Français au Québec et des réussites québécoises en France. » Vous soulignez la réussite québécoise avec Xavier Dolan et Bombardier. Un acteur et une entreprise québécoise, alors que pour la France au Québec, vous écrivez : « La vie associative française est riche, les réussites économiques sont prestigieuses et les étudiants français arrivent toujours plus nombreux. » Ne trouvez-vous pas que l’opposition entre spécificité d’un côté et généralité de l’autre dénote un échange qui n’est pas réciproque ? 

N.S‑C : Il y a plusieurs éléments. L’échange n’est pas réciproque ; rien qu’au niveau des étudiants, il y a dix mille étudiants français qui viennent étudier au Québec chaque année contre mille Québécois qui vont en France. La relation est déséquilibrée, d’où la remise en cause des frais de scolarité par le gouvernement du Québec. Nous n’avons pas grand monde en France pour couvrir l’actualité québécoise. Or, elle est très riche, nous avons de très bonnes relations avec la délégation générale du Québec à Paris qui est extrêmement dynamique. C’est un axe de développement, nous voulons faire la même chose qu’ici : trouver des étudiants-journalistes finissants qui veulent bien couvrir l’actualité québécoise en France. 

LD : Nous avons lu, dans votre récent article « François Hollande en visite officielle au Canada début novembre », que « des indiscrétions obtenues par L’Outarde Libérée, ont révélé que les discussions entre la France et le Québec, concernant la révision des frais de scolarité des étudiants français sont au point mort. La révision ne sera pas prête pour la rentrée de septembre 2015, et la signature d’un accord, que l’on voulait rendre publique à l’occasion de la visite du président Hollande, est loin d’aboutir. » Que pensez-vous de cet accord sur les frais de scolarité ? Avez-vous une position éditoriale par rapport à cette question ? 

N.S‑C : Le principe est de ne pas avoir de position éditoriale, de garder une stricte neutralité. La seule exception que j’ai faite c’était juste après les élections consulaires, où j’ai publié un éditorial cinglant parce que, manifestement, il y avait des disfonctionnements qui étaient dus à un mauvais positionnement de la loi. Sinon on n’a pas de position éditoriale, ni par rapport à ça, ni par rapport aux autres problèmes. 

« Il y a une image du Français arrogant, qui est partiellement fausse.»

LD : Donc vous n’avez pas non plus de position éditoriale par rapport aux échanges bilatéraux ? Nous avons lu la lettre ouverte de plusieurs partis politique à propos de l’AECG (Accord économique et commercial global) dans la section tribune, qu’en est-il ?

N.S‑C : Nous offrons une tribune à tous ceux qui veulent écrire sur des sujets qui sont dans notre ligne éditoriale pourvu que cette tribune soit d’intérêt public, évidemment. 

LD : Les Français arrivent massivement au Québec, certains pour s’installer définitivement, d’autres pour étudier puis repartir. À quel public vous adressez-vous plus particulièrement ? 

N.S‑C : Alors, ça c’est une très bonne question. Idéalement, on souhaite s’adresser aux deux. Mais j’ai remarqué qu’on a du mal à capter le public étudiant qui vient un an, deux ans, trois ans maximum. Je pense qu’on n’a pas traité les bons sujets les concernant. En revanche, c’est un axe de développement dans l’année qui vient. 

LD : Quels sujets, pensez-vous, pourraient les intéresser ?

N.S‑C : Les frais de scolarité, les activités dans des bars, les sujets culturels, les problèmes de logements, les sujets qui sont relayés sur les réseaux sociaux étudiants. Je vous promets que dans l’année qui vient, on va s’adresser à eux. 

LD : Ne craignez-vous pas qu’un tel journal se pose comme frein à l’intégration des Français au Québec ? Pourriez-vous m’indiquer ce qui différencie, selon votre point de vue, intégration et assimilation ? 

N. S‑C : C’est encore une très bonne question. Je dirais que là, j’ai une position éditoriale. Intégration, oui ; assimilation, jamais. Bien sûr, il faut s’intégrer. Ça veut dire appréhender la culture québeco-américaine d’ici. Il y a une image du Français arrogant, qui est partiellement fausse. Je crois que la menace qui peut être perçue provient du fait qu’il y a des différences de comportement. La confrontation, chez nous, ce n’est pas se chicaner mais plutôt faire avancer des idées. Mais il faut s’adapter, c’est la clé de tout, il faut comprendre la culture d’ici pour ne pas être perçus comme arrogants, comme des gens qui arrivent en terrain conquis. On a plein de choses à apprendre et à apporter au Québec, mais gardons notre spécificité de Français ; ce n’est pas refuser l’intégration, bien au contraire. 

Je ne crois pas que nous soyons un frein à l’intégration, on traite beaucoup l’actualité franco-québécoise, ce que les médias français ne font pas. Il y a beaucoup de choses qui se passent en échange franco-québécois dans tous les domaines : étudiants, culturels, économiques. Être bien intégré dans une société d’accueil, c’est ne pas oublier qu’on est Français, c’est participer à la vie locale, c’est participer aux élections, c’est aller s’inscrire au Consulat. Plusieurs cultures, c’est une richesse, c’est complémentaire. 

LD : Pour rebondir là-dessus, la description de L’Outarde Libérée stipule : « Journalistes franco-québécois, nous vivons au Québec depuis plusieurs années, car nous portons cette terre francophone d’Amérique dans notre cœur. » La langue et la terre, est-ce que cette position ne risque pas d’être perçue comme presque colonialiste ? Comment se défaire de l’image ambivalente du Français au Québec, entre le bon cousin et l’envahisseur ? 

N.S‑C : Ah ! On est au cœur du problème. Moi je me définis comme franco-québécoise, parce que d’abord j’ai les deux citoyennetés. Qu’on ne me demande pas de choisir, c’est un peu comme choisir entre son père et sa mère. J’ai choisi de vivre ici, ce n’est pas par hasard. En revanche, je n’ai pas oublié la terre de France. Le Québec, c’est un bout de terre francophone en Amérique, et je n’ai pas dit terre française en Amérique parce qu’en France, on fait souvent l’amalgame. Pour ne rien vous cacher, en début de semaine j’étais au Consulat, on avait un briefing avec l’Élysée sur la visite de François Hollande et le mec de l’Élysée un moment nous dit : « Ah mais vous au Québec, c’est presque la France. » Non ! Le Québec ce n’est pas « presque la France ». Le Québec, c’est un bout d’Amérique qui parle français et qui se bat depuis des centaines d’années pour continuer de parler français. Ce n’est pas du colonialisme, c’est juste que « je me souviens d’où je viens ». Si on a une petite pierre à apporter à l’édifice québécois, c’est par la défense de la langue et la culture française. On ne se pose pas comme des néo-colonisateurs mais simplement comme des gens qui se souviennent qu’on vient de la même terre. 

LD : Comment fonctionne plus précisément votre journal, en termes de diffusion, financement , etc.? 

N.S‑C : Notre magazine repose sur une plateforme web, l’écrit et l’utilisation de multimédias relayés par les médias sociaux. Je crois beaucoup à Twitter et nous devrions l’utiliser beaucoup plus, mais on a un problème de disponibilité parce qu’on est tous bénévoles. Je crois que dans le journalisme web, chacun doit inventer son propre modèle économique. Nos axes de développement sont les suivants : demandes d’aides à nos parlementaires qui ont une oreille attentive à notre journal ; très bonnes relations avec les autorités consulaires et diplomatiques, l’ambassadeur nous donne des entrevues et nous tient informés, nous lui en sommes gré. Nous avons aussi en vue de permettre à des étudiants finissants en journalisme d’avoir leur première tribune et leur premier espace de publication, ce qui n’est pas aisé, a fortiori pour des étudiants français. Nous pensons aussi faire de la vidéo promotionnelle et également vendre des espaces de publicité. 

LD : Vous comptez, à long terme, rester un journal de bénévoles ?

N. S‑C : Non, l’objectif, c’est de rémunérer les journalistes, même les étudiants finissants. Toute peine mérite salaire. Notre objectif à moyen et long terme, c’est aussi de développer encore plus la vidéo et puis d’être présents en télé-web, d’avoir une chaîne privée, de faire une émission hebdomadaire avec une université, par exemple.


Articles en lien