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La perspective trop souvent oubliée

Lors de drames mortels tels que les fusillades dans des lieux publics, les médias d’information négligent trop souvent les victimes.

Alors que les yeux de tous se sont tournés vers le meurtrier lors de la fusillade à Aurora, au Colorado, le Dr. Alain Brunet, spécialiste des chocs post-traumatiques et Directeur de la Division de recherche psychosociale à l’Institut Douglas, soutient que les victimes et les survivants sont trop souvent oubliés dans ce genre de cas :

Le Délit (LD): Comment interprétez-vous ce qui s’est passé au Colorado ?
Dr Alain Brunet (AB): Ma première réaction, c’est de trouver le profil du tueur un peu surprenant. Il n’a pas l’air de quelqu’un de marginal, même qu’il étudie pour obtenir son doctorat en neuroscience. Son coup d’éclat minutieusement planifié, les gens dans la salle, tout ça est très surprenant.

LD : Les victimes sont-elles oubliées dans ce genre de situation ?
AB : La tentation est grande de vouloir faire l’autopsie du tueur ; trouver un motif, savoir ce qui se passait dans sa tête. Par contre, en tentant d’analyser qui il était, on donne souvent trop d’importance au tueur.
En victimologie, il arrive même qu’on blâme la victime pour ce qui lui est arrivé. Par exemple, on peut dire que la victime est morte parce qu’elle n’aurait pas dû se trouver à cet endroit, à ce moment. C’est une manière de donner un sens à la réalité. 

LD : Face à une tuerie, quelles sont les réactions des gens ?
AB : Typiquement, un tiers des gens panique, un tiers des gens reste calme et un tiers reste entre les deux.
Par exemple, beaucoup de gens sont sur le pilote automatique lorsqu’ils vont suivre les procédures d’évacuation. D’autres sont moins fonctionnels, d’autres montrent des comportements plus héroïques… C’est très variable. Ce qui est sûr, c’est que les gens suivent leurs instincts.
Une chose à retenir : c’est un mythe de croire que l’ensemble de la foule peut paniquer. Comme lors de vols d’ailleurs.

LD : Quels sont les réactions typiques chez les survivants de ce genre d’événements ?
AB : La confrontation à notre finitude et l’effroi de se retrouver face à la mort génère une peur intense. Se rendre compte que notre vie aurait pu se terminer est bouleversant.
De plus, les victimes qui ont eu la vie sauve peuvent faire face à la « culpabilité du survivant » : Pourquoi suis-je encore là, alors que mon voisin a été tué ?

LD : Y a‑t-il aussi, chez les survivants, différentes formes de réactions à un événement bouleversant comme une tuerie ?
AB : La majorité des gens ont ce qu’il faut pour s’en remettre, donc n’auront pas de choc post-traumatique.
La réaction sur le moment, c’est le meilleur indicateur pour savoir comment les gens vont s’en sortir par la suite, dans les heures et les jours qui suivent.
Ceux qui se sont dissociés, par exemple, sont plus à même de vivre un choc post-traumatique. Par réaction de dissociation, je parle d’une peur intense, d’un sentiment d’impuissance, de réactions automatiques, du sentiment de voler au-dessus de son corps… Toutes ces réactions de dissociation péri-traumatique apparaissent parce que la période de stress est tellement intense que la personne disjoncte. C’est elle qu’il faudra suivre, après coup.
Les gens peuvent s’auto évaluer suite à un évènement traumatique, via notre site web, par exemple. C’est normal d’être bouleversé après l’événement, d’être incapable de dormir… Ce qui n’est pas normal, ce sont des symptômes qui perdurent après un mois. 

LD : Quels parallèles peut on tracer entre ces événements, par exemple avec la fusillade qui a eu lieu à la Polytechnique en 1989 ?
AB : Bien sûr, on peut comparer cette tuerie à Polytechnique, à Dawson, à Concordia et on pourrait croire qu’on n’apprend pas de nos erreurs.
Par contre, on voit des progrès du côté des interventions, avec le temps.
Polytechnique a été critiquée pour l’incohérence des interventions policières et des psychologues. Depuis, on intervient mieux plus rapidement. 


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