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L’exode des cerveaux : une épopée intelligente

Environ 130 000 étudiants étrangers viennent fréquenter les établissements scolaires canadiens annuellement. Si la dualité de nos langues officielles et la qualité de l’éducation post-secondaire jouent un rôle dans leur décision de joindre nos rangs d‘école, le gouvernement se fait aussi un devoir de présenter le Canada sous ses meilleurs atours à l’étranger, entraînant de graves conséquences pour plusieurs pays en voie de développement. Le Délit s’est penché sur ce produit dérivé de la mondialisation.

Le Canada est à la fois une victime et un des moteurs du phénomène qu’est l’exode des cerveaux. Michael Dilworth, du Ross Clouston Scholarship, a longuement étudié le sujet au Canada. Il révèle qu’à chaque année des milliers de professionnels canadiens, entre autres des médecins et des gens d’affaires, quittent le pays au profit des États-Unis. Parmi leurs motivations figurent des avantages fiscaux et des opportunités professionnelles plus nombreuses. Cette migration, combinée au vieillissement de notre population, à un taux de natalité relativement faible et à une pénurie de main‑d’œuvre qualifiée, constitue véritablement un problème dans notre économie.

Ce manque est-il voué à être comblé par la venue d’immigrants ? La professeure Jennifer Hunt, spécialiste en économie du travail à McGill, demeure prudente dans ses propos. « Il est certain que les immigrants arrivant au Canada ont un niveau d’éducation très élevé, mais il leur est difficile de transférer leurs compétences au pays. Ils doivent souvent repartir à la case départ. Le véritable problème n’est pas la transférabilité de l’éducation, mais la transférabilité de l’expérience. » Une solution repose ainsi dans la façon de choisir la clientèle immigrante. « La nouvelle politique d’accueil des étudiants au Canada est prometteuse. Leurs expériences académique et professionnelle seront acquises ici-même, alors aucun problème relié au transfert de compétences ne sera soulevé. Plusieurs études démontrent en effet que les immigrants arrivant au Canada comme étudiants gagnent plus que ceux qui arrivent directement comme résidents permanents.»Toutefois, le défi de la transition démographique n’est pas seulement présent au Canada. Plusieurs pays occidentaux doivent y faire face. Et la compétition y est féroce pour attirer une clientèle universitaire. Si les États-Unis attirent celle-ci par le biais de généreuses bourses d’études, le Canada a décidé d’opter pour une stratégie axée sur l’immigration pour attirer et retenir ces gens éduqués.

Par exemple, le gouvernement fédéral a ajouté une catégorie d’immigration qui « attire les étudiants les plus talentueux dans le monde, tout en facilitant leur établissement ici ». Un étudiant peut donc postuler pour un statut de résidence permanente et accumuler ses années d’expérience en tant qu’étudiant au Canada, des années qui sont requises pour son acceptation. Ceci facilite davantage le processus d’application pour la citoyenneté canadienne. De plus, depuis 2006, le gouvernement autorise certains étudiants internationaux à travailler hors campus pour payer leurs frais de scolarité et ainsi participer à l’économie canadienne.

Est-ce que les étudiants internationaux sont dans la mire de l’administration de McGill ? Puisqu’ils paient des frais de scolarité plus élevés, l’université les apprécie particulièrement en raison de leurs généreuses contributions. « L’Université McGill a une réputation internationale pour son excellence académique et est intéressée à attirer des étudiants performants peu importe leur origine », explique Emily Kingsland, assistante au bureau du registraire de l’Université McGill. On dénombrait à l’automne 2009 environ 6800 étudiants internationaux, la majorité d’entre eux provenant des États-Unis et de la France. Néanmoins, une proportion considérable est originaire de pays émergents et en voie de développement tels que la Chine, l’Inde, l’Arabie Saoudite et l’Iran.

Y a‑t-il une entente entre l’université et le gouvernement fédéral pour retenir ces étudiants après leurs études ? « Il y a quatre ans, Immigration Canada autorisait les étudiants à rester au pays et à y travailler à la suite de l’obtention de leur diplôme. Le programme initial était d’une durée d’un an. Toutefois, depuis deux ans, ils sont autorisés à demeurer pendant une période de temps équivalente à la durée de leurs études, jusqu’à concurrence de trois années », ajoute madame Kinsland. Ainsi, sans même appliquer pour la résidence canadienne, ces jeunes peuvent demeurer au pays et acquérir une expérience durable.

Vendre son âme au Canada ?

Ces jeunes aspirant à une vie meilleure et à acquérir une solide éducation à l’étranger ont tout de même une variété de motifs pour venir s’installer au Canada. Ogake Anne

Angwenyi, originaire du Kenya et étudiante à l’Université Simon Fraser à Vancouver partage son expérience : « Tout est si facile au Canada. La vie y est bonne, et les Canadiens sont ouverts aux non-Canadiens. Et tout y est si fiable : au Kenya, un professeur peut donner un cours une journée et décider de ne pas venir le lendemain ! De plus, le nombre d’opportunités d’emplois y est très avantageux pour se bâtir une expérience de travail. » La généreuse bourse qu’elle a reçu, couvrant ses frais de scolarité ainsi que la majorité de ses dépenses a été la cerise sur le gâteau qui l’a convaincue de venir étudier au Canada.

Toutefois, une question éthique doit être posée : est-ce moralement acceptable d’inciter l’immigration au Canada d’étudiants universitaires de pays en voie de développement avec un excellent potentiel académique et intellectuel sachant qu’ils risquent de ne jamais retourner dans leur pays d’origine ?

« Je me sens personnellement inconfortable lorsque des Canadiens se vantent de la façon dont on a réussi à attirer tant de gens qualifiés provenant de pays en voie de développement qui ont grandement besoin d’eux », confie la Professeure Hunt. Si les pays riches sortent gagnants de cette course aux cerveaux, ce n’est pas toujours le cas des pays en voie de développement. « Cette situation est d’autant plus problématique si ce sont les gouvernements de ces pays en voie de développement qui leur ont donné leur formation. » Ainsi, sans s’en rendre compte, des pays du Nord peuvent en effet économiser sur le dos des pays du Sud en s’accaparant un capital humain essentiel au développement économique de leurs pays d’origine.

Louis-Philippe Tessier, étudiant de troisième année à McGill, s’occupe du groupe d’Entraide universitaire mondiale du Canada (EUMC). Il s’agit d’une organisation humanitaire ayant pour but de promouvoir l’accès à l’éducation auprès de gens défavorisés en Afrique ou en Asie. « À McGill, tous les étudiants donnent une contribution obligatoire de $0.50 qui sert à payer les frais de scolarité pour un jeune réfugié », précise le président. Louis-Philippe se veut rassurant : « Peut-être que le gouvernement aspire à retenir ces jeunes, mais la réalité est qu’ils peuvent aider leur pairs dans leur pays d’origine tout en participant à l’économie canadienne. »

Paroles des intéressés

Même son de cloche de la part de nombreux étudiants internationaux interviewés. Wan Farihah Ahmad Fahmy vient de la Malaisie et entame sa troisième année à McGill. « Venir étudier au Canada est une opportunité extraordinaire. Mais pourquoi ne pourrions-nous pas y rester ? Ne pensez-vous pas qu’on peut aider votre pays aussi ? » Elle ajoute que le choix de partir dépend du programme d’étude à l’étranger : « Dans mon cas, le département des services publiques de la Malaisie paie mes frais de scolarité et me donne une allocation de subsistance. Tout ce que je dois faire, c’est étudier puis retourner dans mon pays. Je ferai mon stage avec le gouvernement et travaillerai avec eux pour une durée de six ans. » Ce type de bourse, qui oblige les récipiendaires à contribuer en retour à leur donateur, est très commun en Malaisie. Par exemple, la compagnie pétrolière Petronas envoie chaque année des dizaines de jeunes étudier au Royaume-Uni et les embauche à leur retour.

Zina Mustafa est d’origine soudanaise : « Forcer quelqu’un à rester dans un pays ou bien à le renvoyer d’où il provient relève de la liberté civile. C’est difficile de légiférer dans ce domaine. » Cependant, Zina croit que le vent est en train de tourner. « J’ai l’impression que de plus en plus d’Africains retournent chez eux après leurs études à l’étranger. On a tous un attachement à notre terre natale, et on désire tous y retourner un jour. Il y a d’ailleurs un dicton qui affirme que peu importe ce que tu penses, tu retourneras au Soudan et y mourras. »

Ogake Anne, elle, retournera définitivement chez elle : « Je suis du Kenya, et mon peuple a besoin de mon expertise bien plus que les Canadiens. L’exode des cerveaux ne devrait pas être vu comme un vol de la part des pays riches mais plutôt comme un transfert de compétences. Tout ce que le Canada devrait faire, c’est préconiser le retour de ces jeunes chez eux par le biais de partenariats entre gouvernements, organisations et entreprises. »
Matière grise en zone grise

Afin de considérer le séjour de jeunes étudiants internationaux au Canada comme un acte de grandeur humanitaire, il faudrait que le gouvernement s’engage à orienter ce mouvement migratoire. Par exemple, des mesures pourraient être prises pour que les nouveaux venus soient encouragés à supporter financièrement leurs communautés dans leur pays d’origine dès la fin de leurs études. Il pourrait également y avoir des politiques incitant ces personnes à retourner chez elles, emportant ainsi avec elles leur expertise nouvellement acquise.

Toutefois, la seconde option pourrait s’avérer dangereuse. Mesures incitatives, certes, mais expulsions forcées, non. Dans ce monde globalisé, où la mobilisation de la main d’oeuvre et le libre-échange sont monnaies courantes, il serait discutable, voire déplacé, d’aller à l’encontre du choix individuel et de la libre volonté de chacun en ce qui concerne ses aspirations.


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