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La dégradation environnementale engendre de nouveaux réfugiés

L’exposition du photographe François Pesant révèle le sort de ceux qui subissent d’ores et déjà les conséquences des changements climatiques.

Jeudi soir, les lumières de La Tohu ont fait briller Les refugiés du climat. Lors d’un vernissage intime, François Pesant a présenté son oeuvre, fruit d’un an de recherche et de cinq mois en compagnie de communautés déracinées. C’est en allant en Inde en tant que bénévole pour une ONG que le photojournaliste a pris conscience d’une réalité que beaucoup s’efforcent de faire oublier, celle des réfugiés environnementaux. Durant son deuxième voyage, il a entrepris d’en ramener un échantillon pour que, justement, cette réalité ne sombre pas dans l’oubli : un reportage photo illustrant la résilience des victimes de la désertification, déplacées de chez eux, ayant tout perdu et attendant–parfois en vain– d’être relocalisées.

Des sans-statuts internationaux

Malgré la vague de négociations sur le réchauffement planétaire, ce phénomène des réfugiés climatiques –terme désignant autant les déplacés internes que ceux qui sont forcés à quitter le pays– ne retient l’attention de seulement quelques chercheurs et académiciens qui tentent avec peu de succès de faire reconnaitre cette réalité auprès de la communauté internationale. En effet, « ces réfugiés sont laissés à eux mêmes ; il n’existe aucune définition légale [de leur statut] et rien ne force les États à les aider, ni même à les accepter », explique le photographe. Pourtant, l’Organisation des Nations Unies prédit que le nombre d’éco-réfugiés –déjà deux fois plus nombreux que les réfugiés politiques– frôlera le milliard en 2050.

Ce « non-statut » est très problématique, du point de vue de la justice internationale notamment. Non seulement les réfugiés sont-ils victimes des émissions démesurées de gaz à effet de serre (GES) des pays développés et de l’inaction de ces derniers face aux changements climatiques, mais le sort de ces réfugiés est très souvent la conséquence directe de projets gigantesques de développement entrepris par des compagnies étrangères. Par exemple, depuis le début de la construction du pharaonique barrage des Trois Gorges en Chine en 1993, 1,4 millions de personnes ont été forcées à quitter la zone et il est prévu que quatre autres millions soient « encouragées » à faire de même d’ici 2020. Mais on ne peut déceler « aucun reflet de responsabilité de la part des pays développés qui prétendent que ce ne sont qu’affaires internes. Faute de prévention, les efforts de mitigation manquent de coordination internationale et l’aide humanitaire est effectuée au cas-par-cas par quelques rares ONG (pour ne mentionner qu’une des plus importantes, l’organisation mondiale pour l’immigration –OMI).

Quand les ONG remplacent l’État

L’absence de consensus affecte directement le travail des ONG. François Pesant raconte qu’au Sri Lanka, où il faisait un reportage pour l’Actualité cinq ans après le tsunami, « on dirait que c’est eux [les ONG] qui contrôlent le pays ». En effet, selon le photographe, on peut observer un « paternalisme incroyable » dans la reconstruction du pays. « Les ONG sont arrivées avec des plans et les ont clonés sur des milliers de kilomètres », explique- t‑il. « Des gens très pauvres sont relocalisés dans de belles maisons, avec des cuisines qu’ils ne peuvent même pas utiliser parce qu’ils n’ont pas assez d’argent pour acheter du gaz ! »

Contrairement aux ONG oeuvrant au Sri Lanka, celles du désert de Thar (en Inde) ont adopté l’approche opposée : les communautés ont été consultées par l’intermédiaire de comités démocratiques installés dans les villages. Pourtant, les sujets des portraits de François Pesant, eux, étaient totalement laissés à eux-mêmes ; aucune organisation n’était présente.

Le photographe revient tout juste de revenir d’Haïti, où il préparait une prochaine exposition. Il note la différence entre les catastrophes subites comme les tremblements de terre ou les ouragans et la désertification : « Les gens veulent reconstruire, revenir à leur vie d’avant, reprendre leur pays en main. En Inde, où le désastre environnemental est de longue durée, on sent le découragement s’installer. »

Ce découragement est aussi ressenti au Canada. Maryam Adrangi, organisatrice pour le Rainforest Action Network à Toronto, explique que les Premières Nations sont au premier rang des victimes des changements climatiques et de l’industrie des sables bitumineux. « Étant traditionnellement très connectés à leur terre, ils refusent de la quitter, mais beaucoup en meurent ! » Nos réfugiés du climat, donc, « sont peut-être à ce jour moins nombreux que ceux du tiers-monde, mais la réalité est qu’ils sont marginalisés, que leur voix ne possède aucun poids dans l’arène politique. Le gouvernement, avec l’aide des lobbies, s’efforcent de les maintenir dans cette position jusqu’à ce que le public les oublie », ajoute Mme Adrangi.

Heureusement les photographes sont là pour renverser cette tendance.

Les réfugiés du climat de François Pesant
La Tohu, 2345 rue Jarry est
Jusqu’au 25 avril
Table ronde : 22 mars
Visites commentées : 27 et 31 mars


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