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La primauté du français : une valeur québécoise

Suite à la décision de la Cour suprême de rendre la loi 104 inconstitutionnelle, des manifestants se sont réunis en face des bureaux de Brent Tyler, l’avocat qui a porté l’affaire en justice.

Le débat cacophonique sur la question linguistique au Québec a été relancé le 21 octobre dernier lorsque la Cour suprême du Canada a jugé la loi 104 inconstitutionnelle. Les magistrats ont donné raison aux familles d’enfants qui ont eu recours à la justice il y a sept ans pour pouvoir envoyer leurs enfants à l’école anglophone. À Montréal, quelque dizaines de manifestants ont protesté mercredi dernier contre cette décision. La manifestation a eu lieu devant les bureaux de Me Brent Tyler, l’avocat qui a mené l’affaire en justice au nom desdites familles, et a été organisée par le Réseau de résistance du Québécois (RRQ), un organisme en faveur de l’indépendance du Québec.

La Charte de la langue française, ou loi 101, prévoit que seuls les enfants dont l’un des parents a fréquenté un établissement scolaire anglophone au primaire au Canada peuvent aller à l’école en anglais à leur tour. Les immigrants et les francophones n’y ont donc ni accès, ni droit. Certaines familles avaient néanmoins trouvé un moyen pour envoyer leurs enfants dans les écoles anglophones subventionnées. Entre 1997 et 2002, environ 4000 enfants auraient bénéficié des écoles « passerelles », des institutions scolaires privées qui offrent aux enfants une éducation en anglais pour leur première année, leur permettant ainsi de passer par la suite à l’école publique ou subventionnée en anglais.

En 2002, le gouvernement Landry avait voulu mettre fin à ce phénomène en ajoutant des dispositions à la loi 101, connues comme le projet de loi 104. Des parents avaient alors contesté la loi 104 afin de pouvoir conserver le droit d’envoyer leurs enfants à l’école anglophone. Selon eux, la loi 104 portait atteinte à l’article 23 de la Charte canadienne des droits et des libertés, qui garantit aux citoyens canadiens de recevoir leur éducation dans la langue officielle de leur choix. Ils s’étaient donc tournés vers la justice, appelant Me Brent Tyler à défendre leur cause. La Cour suprême leur a finalement donné raison par une décision prise à l’unanimité.

Face à cette décision, des boucliers se lèvent chez les souverainistes. « Le français devient de plus en plus marginalisé à Montréal », a lancé Julien Gaudreau, membre du RRQ, qui s’alarme de voir la population francophone de Montréal « passer sous la barre des 50 %». Patrick Bourgeois, responsable du RRQ, a déclaré qu’«il faut absolument faire quelque chose. Montréal, c’est la moitié du Québec. Si on perd Montréal, comment peut-on encore parler d’un Québec fort et en santé ? »

Julien Gaudreau a cependant affirmé que « les anglophones à Montréal ont en général une bonne attitude et sont bilingues pour la plupart, mais que les allophones ne reçoivent pas le message comme quoi le français est la langue du Québec lorsqu’ils arrivent ici », précisant que « beaucoup d’entre eux s’intègrent à la communauté anglophone et se coupent du Québec français en faisant ce choix ».

Pour Patrice Vachon, autre membre du RRQ, la loi 101 a été « charcutée par les articles de la Constitution [canadienne] de 1982 ». Il est allé plus loin, affirmant que le Québec s’est fait « imposer une décision par une Constitution que le Québec n’a jamais signée et que, donc, la loi ne devrait pas être applicable au Québec ». M. Bourgeois, lui, a confessé avoir été « dérangé au plus haut point » par la décision. Il a souligné l’importance de la loi 101 comme un « outil indispensable pour la pérennité de l’identité québécoise ».

Sous une mer de drapeaux fleurdelisés, Victor Charbonneau, président de l’Union des peuples libres métis et québécois, a jugé que la décision de la Cour suprême ne visait qu’à « garder le Québec soumis ». Il s’est dit en faveur de l’application « de lois qui répondent aux besoins d’ici », considérant le Québec comme étant « une société distincte » du reste du Canada. « Comment s’expliquer pourquoi on parle encore français au Québec sinon par la rage de survivre ? », s’est-il interrogé.

À l’intérieur des locaux du bureau d’avocats, Me Jean-François Bertrand a estimé que les manifestants n’étaient pas « au bon endroit ». « J’ai l’impression que c’est à la Cour suprême qu’ils devraient aller manifester, [même si] probablement [elle] leur dirait la même chose parce qu’elle ne fait qu’interpréter les lois ». Au sujet de Me Tyler, Me Bertrand a affirmé qu’«il est un avocat, alors il a fait son travail ». Me Bertrand a jugé qu’«en bout de piste, [les manifestants devraient] aller protester devant le Parlement de Québec ». Il a ironisé qu’il faut « se prêter de bonne guerre à la pression démocratique, comme ce [que les manifestants] sont en train de faire en ce moment ».

Patrice Vachon a considéré que la meilleure solution serait d’appliquer la loi 101 aux institutions anglophones. La Cour suprême à donné un an au gouvernement du Québec pour modifier la loi 104. « Nous garderons la pression tout au long de l’année », a assuré Julien Gaudreau. 


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