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Faire sauter la bulle

Paradoxalement, il n’est parfois guère de meilleurs porte-voix des étudiants francophones que les étudiants anglophones. C’est du moins ce dont témoigne le dernier éditorial de notre publication sœur, le McGill Daily, qui va au devant de la lutte pour le français en mettant le doigt sur un problème important de l’éducation à McGill : le manque de possibilités –pour ne pas dire les obstacles abracadabrants –à la découverte de la culture québécoise dans l’enceinte de l’institution, en commençant par l’apprentissage de la langue française.

La rédaction appelle l’université à élargir les occasions d’immersion des étudiants étrangers et anglophones dans la culture de la province, à travers des initiatives visant à faciliter et encourager l’inscription à des cours de français –généralement saturés, —à offrir des programmes de résidence « chez l’habitant », et à élargir le curriculum de certains départements afin qu’ils offrent plus de cours portant sur l’histoire et la culture du Québec.

L’argumentaire du Daily est juste, mais quelques points doivent être soulignés. Notamment afin de mitiger la focalisation sur la langue française.

Si bien des Québécois voient en McGill une fenêtre sur le monde, il est certes déplorable que McGill n’offre pas une telle ouverture aux étudiants venus d’ailleurs, qu’elle accueille chaque année par milliers, et qui s’enterrent souvent dans des cercles culturellement et géographiquement restreints. Si cela est réel, il est aussi aisé de reprocher aux « anglos » leur manque de curiosité, en oubliant qu’il pas difficile de se sentir exclu dans un Québec à majorité francophone où, en dehors de Montréal et parfois même ici, l’anglophone est parfois ignoré, et souvent caricaturé. La langue ici est bel et bien chargée de politique, le point focal de la défense d’une identité. Elle est par là même intimidante. Se faire rabrouer dans la rue parce que l’on parle anglais alors que « ici, on est au Québec ! », ou encore faire l’effort de parler français pour que votre interlocuteur, ayant remarqué votre accent, passe directement à l’anglais, ce sont des choses bien réelles et qui peuvent décourager.

McGill est certes le symbole des premiers marchands écossais venus s’établir au Québec, mais leur héritage est désormais une partie intégrante du Montréal d’aujourd’hui. Cela va sans compter les autres communautés qui sont venues s’ajouter à ce paysage culturel complexe. C’est cette complexité qui doit être reflétée à McGill. Cela nécessite certes de mettre l’accent sur l’apprentissage de la langue française, mais pas seulement. Comprendre les références culturelles et historiques d’un individu est probablement bien plus important que de pouvoir lui faire un brin de conversation dans sa langue maternelle.

Pour reprendre l’exemple du Daily, les étudiants saouls de McGill qui cavalent à travers le « ghetto » sont certes perçus comme des parasites par les Montréalais, mais ils le sont indépendamment de leur maîtrise du français. Pour preuve, les étudiants de l’Université de Montréal qui réveillent tout Côte-des-Neiges les soirs de fin de semaine ne sont pas moins détestés des riverains. Personne n’aime un étudiant ivre. Il n’est nullement ici question de diminuer l’importance cruciale du français dans la culture québécoise, mais plutôt de le désacraliser pour ouvrir la porte à une réflexion sur le rôle que McGill se doit de jouer pour ses étudiants pour rapprocher les solitudes.

Sur ce point, rappelons un fait bien plus grave souligné par nos confrères : McGill n’offre qu’un seul cours d’histoire du Québec cette session. C’est peut-être dans cette voie qu’il faudrait creuser plus avant. Le Québec, et a fortiori Montréal, n’est pas qu’une langue, c’est une histoire, qu’il est du devoir de McGill de mettre à la disposition de tous, en commençant par une offre enrichie de cours sur la province. En tout cas, le débat est lancé.


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