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Partager, plutôt qu’acheter pour jeter

Rencontre avec Fauve Doucet, fondatrice du Partage Club

Partage Club

Une table en bois en état presque parfait se trouve miraculeusement abandonnée sur le trottoir. Il suffirait simplement de revisser les pattes pour en faire le bureau idéal. Il faudrait alors se procurer un tournevis, mais ce n’est ni économique, ni écologique d’en acheter un si ce n’est pour l’utiliser qu’une seule fois. Alors pourquoi ne pas l’emprunter ? Le Délit s’est entretenu avec Fauve Doucet, entrepreneure en innovation environnementale et sociale, fondatrice de Partage Club, une application mobile visant à faciliter et encourager le prêt et l’emprunt plutôt que l’achat.

Le Délit (LD) : Pour commencer, peux-tu m’expliquer ce qu’est Partage Club ?

Fauve Doucet (FD) : C’est une application mobile sur iOS et Android de partage d’objets de la vie courante, entre voisins mais aussi entre communautés de confiance. Il s’agit, par exemple, de résidents d’un immeuble, de gens dans un quartier, de collègues dans un bureau ou d’étudiants dans une université.

LD : Partage Club semble s’inscrire parfaitement dans le principe du développement durable, en touchant autant à l’aspect environnemental qu’économique et social.

FD : En effet. Sur le plan économique, on sait qu’avec la récession et le taux d’inflation qui augmente, on ne peut plus se procurer les biens de la même façon. Tout coûte cher. Partage Club permet d’économiser en mutualisant et en partageant. Sur le plan environnemental, on fait de la réduction à la source [en réduisant la consommation, ndlr]. On est vraiment dans une des interventions de l’économie circulaire [un modèle économique priorisant la récupération, la réduction de la consommation et le partage des ressources, ndlr]. Puis, sur le plan social, on crée des liens de confiance, on crée de la cohésion entre différents maillages de classes sociales de différentes réalités familiales dans un quartier. Cela mène ainsi à l’ouverture et à la tolérance.

LD : Peux-tu me parler de toi et de ton parcours ?

FD : J’ai un baccalauréat en communication marketing de l’UQAM, et, bien vite, je suis tombée dans le monde des agences de publicité. J’ai adoré le côté innovant et créatif. Dans le milieu des médias et de la publicité, il faut trouver comment atteindre le public. J’ai parfois travaillé sur des campagnes de sensibilisation [pour des causes, ndlr] très nobles, mais j’étais quand même l’un des moteurs de la consommation. Je me suis rendue compte que beaucoup de gens en communication marketing ont ce conflit de valeurs. Puis, j’ai constaté que j’avais développé un pouvoir vraiment extraordinaire : j’étais capable de changer le comportement des gens à grande échelle. Je voulais l’utiliser pour faire quelque chose de bien. En étant maman, à un moment, on se demande ce qu’on laisse à nos enfants et dans quel monde ils vont vivre. J’ai pris mon courage à deux mains, et j’ai fait le grand saut pour faire naître Partage Club. C’est un privilège pour moi, chaque jour, de faire mon métier. Je contribue à régler un réel problème de notre société.

« Il y a beaucoup de jeunes étudiants qui viennent vivre en résidence ou en appartement, et qui ont de la difficulté à s’approvisionner. Le fait de pouvoir emprunter leur apporte vraiment un soutien économique. »

Fauve Doucet

LD : Comment l’idée est-elle venue de mettre ce projet sur pied ?

FD : Au début, j’étais une maman qui avait un petit garçon de trois ans, dans un condo à Montréal. Je trouvais ça complètement fou le nombre de jouets qui rentrait chez moi. Ça coûtait cher, et je trouvais que ce n’était pas bon pour l’environnement. Au même moment, il est arrivé quelque chose de très contradictoire. J’ai voulu acheter un tricycle usagé à mon garçon, mais je n’ai pas pu parce qu’il n’y avait pas assez de place. Je voulais tellement tout lui offrir, mais en même temps, je ne voulais pas surconsommer. Puis, je me suis dit qu’il devait y avoir une manière de mutualiser les jouets entre parents. J’ai suivi un cours comme étudiante libre en décroissance soutenable à HEC, donné par Yves-Marie Abraham, et c’est là que je suis entrée en contact avec les grands principes de la décroissance, dont la mutualisation comme l’une des solutions. Je me suis dit que pour qu’il y ait une mise en commun des biens, il faut qu’il y ait de la confiance et un lieu physique de rencontre. Puis, je me suis rendue compte que dans les quartiers, il n’y a pas que des familles. Il y a plein de types de gens, donc plein de choses qu’on peut mutualiser. En fait, quasiment tout ce qu’on utilise peut être partagé. 

LD : Dès son lancement, il y a eu un engouement pour le projet. T’y attendais-tu ?

FD : Je ne m’attendais pas à ce que les gens comprennent aussi rapidement ce que c’était. Je reçois au moins une fois par semaine un message de quelqu’un qui dit avoir rêvé de cette application-là, ou qui demande « Pourquoi ça n’existait pas avant ? » Ça a tellement de sens dans le contexte actuel. On sort d’une pandémie, on a encore des blessures. Ce que je ressens, c’est que la société est en besoin de communauté, plus que jamais, parce qu’on a perdu le lien social. Il y a aussi une prise de conscience environnementale de plus en plus importante. Puis sur le plan économique, ça commence à être serré. Toutes les conditions macroéconomiques semblent être au rendez-vous pour faire en sorte que le Partage Club prenne son sens.

LD : Tu m’as dit que Partage Club faisait affaire avec l’Université Laval. Comment est-ce que l’application peut répondre aux besoins des étudiants ?

FD : Ce qu’on a vu avec l’Université Laval, c’est qu’il y a beaucoup de jeunes étudiants qui viennent vivre en résidence ou en appartement, et qui ont de la difficulté à s’approvisionner, que les objets soient neufs ou usagés. Ce qui est arrivé avec la COVID-19, c’est une rupture de la chaîne d’approvisionnement. Aussi, ce qui arrive c’est que les étudiants n’ont pas beaucoup d’argent. Ils vont souvent acheter des choses qui vont durer très peu longtemps, juste le temps de leurs études, ou qui vont se briser facilement. Le fait de pouvoir emprunter leur apporte vraiment un soutien économique. Cela peut aussi permettre d’essayer de nouvelles activités, par exemple en louant des skis alpins pour une fin de semaine. Ça crée des liens avec les employés et les professeurs, et entre les étudiants, tout en favorisant la cohésion interuniversitaire et dans le quartier. C’est dans une démarche de développement durable que l’Université Laval a entamé le pas.

Partage Club

LD : Est-ce qu’il y a des limites à ce qu’on peut prêter et emprunter sur l’application ? Par exemple, qu’en est-il des véhicules ?

FD : Il y a des choses qu’on ne peut pas prêter, comme tout ce qui est lié à l’hygiène. Pour ce qui est des véhicules, il y a des gens qui ont commencé à se prêter des camping-cars, entre autres de la marque Westfalia. Il n’y a pas encore d’assurances, donc c’est vraiment le prêteur qui prend la responsabilité. On est en train de réfléchir à intégrer une assurance à l’application. Il y a beaucoup de villes en région qui nous demandent de mettre en place un volet de partage d’automobiles, qui va venir avec une preuve de permis de conduire. Les gens commencent à s’approprier Partage Club !

LD : Le partage nécessite beaucoup de confiance. Existe-t-il des politiques pour éviter le vol ou les retards interminables d’objets empruntés ?

FD : Oui, on a un code d’honneur que les gens doivent accepter lorsqu’ils s’inscrivent. En bref, l’emprunteur doit ramener l’objet dans le même état. Des bris peuvent arriver, même si c’est rare, parce que les objets sont souvent sous-utilisés [donc presque neufs au moment du prêt, ndlr]. Dans ce cas-là, l’emprunteur peut soit réparer l’objet ou en acheter un nouveau. S’il y a un problème ou une question, ils peuvent contacter le Partage Club. On va aider à faire en sorte que la relation entre les membres soit conservée. On est un peu comme les bodyguards du partage. Vu qu’il n’y a pas d’échange d’argent, les gens font vraiment attention. Ce n’est pas comme dans une relation transactionnelle. Pour ce qui est des retards, dans l’application, on te talonne quand tu manques la date de retour. Souvent, les gens oublient tout simplement, alors on leur rappelle. Ils font attention, ils se parlent : « Est-ce que je peux te le ramener une semaine plus tard finalement ? », « Oui sans problème ! ». 

« C’est contre-intuitif, mais les gens sont très à l’aise de prêter, beaucoup plus que d’emprunter, souvent parce qu’ils sont gênés ou qu’ils sentent qu’ils doivent donner quelque chose en retour »

LD : On n’a pas l’habitude, je pense, de donner sans recevoir ou de recevoir sans devoir quelque chose. Comment peut-on apprendre à sortir des relations transactionnelles ?

FD : On se rend compte que, surprenamment, le prêt est beaucoup plus facile que l’emprunt. C’est contre-intuitif, mais les gens sont très à l’aise de prêter, beaucoup plus que d’emprunter, souvent parce qu’ils sont gênés ou qu’ils sentent qu’ils doivent donner quelque chose en retour. Les gens m’amènent des biscuits, des muffins, mais un merci suffit ! Dans notre société, on a un rapport très fort avec la propriété. Quand on a besoin de quelque chose, notre premier réflexe est de la posséder. Pour apprendre à partager, il faut seulement un petit peu de confiance. Rapidement, si tu as une expérience positive, ça crée de la confiance. Ça crée même des amitiés parfois !

Si Partage Club vous intéresse, n’hésitez pas à visiter son site web et son application mobile. Pour exprimer votre intérêt pour un partenariat potentiel entre Partage Club et McGill, écrivez à info@​partage.​club !


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