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Concours d’écriture de chroniques journalistiques

Cette semaine, Le Délit vous présente le fruit de son tout premier projet collaboratif avec le Centre d’enseignement du français à McGill (CEF). Dans le cadre du cours « FRSL 449 – Le français des médias », les étudiant·e·s en apprentissage du français comme langue seconde ont été invité·e·s à soumettre des chroniques sur des faits marquants de l’actualité, culturelle ou politique, d’ici ou d’ailleurs. Ayant pour thème commun « Une image vaut mille mots », les chroniques développent les points de vue personnels des auteur·rice·s sur les enjeux sociaux illustrés dans des œuvres d’art ou des photos journalistiques qui ont attiré leur attention. Ces textes, préalablement révisés dans un contexte académique par la professeure Élisabeth Veilleux, ont par la suite été sélectionnés pour être publiés dans Le Délit. Nous vous présentons donc notre sélection des trois meilleures chroniques.

Les illustrations qui figurent ci-dessous ont été créées par les illustrateur·ice·s du Délit et s’inspirent librement des images originales.


Le droit de propager la haine
Emma Custer, Contributrice

Le 21 janvier 2022, un homme dans la quarantaine se tient devant l’ambassade de Turquie à Stockholm. Portant une casquette sur laquelle on peut lire « Stram Kurs », il tient un livre entre ses mains. Bien que la manifestation à laquelle il participe soit assez restreinte, avec une foule modeste de spectateurs tenus à distance par la police, les images de ce qui est sur le point de se produire vont faire le tour du monde. Avec quelques caméras fixées sur lui, l’homme prend un briquet et met le livre – une traduction en anglais du Coran – en feu.

L’homme s’appelle Rasmus Paludan, et ce n’est pas la première fois qu’il brûle un Coran. Il est le fondateur du parti politique danois de l’extrême droite Stram Kurs, dont les membres sont connus pour avoir brûlé des Corans à plusieurs reprises, en Suède comme au Danemark, dans le but d’exprimer leur opposition à l’Islam, explique un TikTok publié par Mise à Jour en avril 2022. Dès le moment où ces images ont été diffusées dans les médias, elles ont suscité de vives réactions des partisans comme des critiques de Stram Kurs. « Vive la Suède il faut qu’on se défendent (tdlr) », écrit un internaute pour montrer son soutien à Stram Kurs dans les commentaires du TikTok. « Les flammes de l’enfer se régaleront de leur chair pour leurs méfaits », écrit un autre pour critiquer les auteurs de ces autodafés.

« L’homme prend un briquet et met le livre – une traduction en anglais du Coran– en feu »

La question qui s’impose à la suite de cette polémique est la suivante : est-ce que la liberté d’expression s’étend aux autodafés de livres saints ? Les autorités suédoises affirment que oui ; tout en dénonçant l ́islamophobie, le ministre suédois des Affaires étrangères rappelle que la Constitution protège le droit d’expression. En revanche, selon un article de l’Agence France- Presse (AFP) et du Monde, les 57 États membres de l’Organisation de la coopération islamique se sont dits déçus que la Suède n’ait rien fait sur le plan juridique pour prévenir ces actes. Après tout, c’est ce qu’a fait le Danemark face à des incidents similaires, proposant une loi qui interdirait ces autodafés, a rapporté l’AFP dans un article relayé par Radio-Canada.

Clément Veysset | Le Délit

Cette illustration de Clément Veysset est une création dérivée d’une photographie de Fredrick Sandberg.

Tandis que le débat semble se centrer sur la question de la liberté d’expression, une question plus importante se noie dans les voix énervées : celle de l’islamophobie. Il suffit de regarder les effets virulents de l’islamophobie dans notre société pour comprendre que ces autodafés ne sont pas une cause, mais un symptôme d’un phénomène répandu à travers le monde occidental. Selon le Conseil national des musulmans Canadiens, le Canada était le pays parmi les états du G‑7 avec le plus de musulmans tués en raison de l ́islamophobie entre 2016 et 2021, ce qui n ́est pas choquant quand on considère un sondage mené cette année par l’Institut Angus Reid, qui révèle que 39% des Canadiens ont une opinion défavorable à l’égard de l’Islam.

Comme ces autodafés ne sont qu’une des nombreuses conséquences de l’islamophobie, modifier une loi ne changera rien aux mentalités populaires. La question qui aurait dû être posée depuis le début est plus difficile à résoudre que celle de la liberté d’expression : comment peut-on éliminer les racines de l’islamophobie en Occident ?



De bonnes clôtures font des voisins précaires
Genny Plumptre, Contributrice

Clôturer et déposséder : c’est une pratique encore plus ancienne que le Canada. Dans les premiers temps de la colonisation du Nouveau Monde, les colons anglais et français s’appuyaient sur des signes de possession, tels que les clôtures et le développement agricole, pour manifester leur droit au territoire et l’exclusion conséquente des Premières Nations. Encore aujourd’hui, les clôtures sont une expression du contrôle exclusif dont les propriétaires bénéficient. Mais si clore son terrain est un droit de propriété privé reconnu au Québec, il ne faut pas oublier que cet acte physique et symbolique peut faire violence. C’est ce que nous apprend le court-métrage classique de Norman McLaren, qui documente une rupture des relations de voisinage à la suite de l’installation d’une clôture entre deux propriétés. Les clôtures peuvent faire du mal. Elles peuvent même tuer.

« Contrairement à ce que la Ville souhaite nous faire croire, les droits de propriété privée ne sont pas impénétrables ; ils doivent parfois céder aux droits et libertés constitutionnels. Au Québec, la Charte des droits et libertés de la personne affirme que nul ne peut empêcher autrui d’avoir accès aux lieux publics ou commerciaux sur une base discriminatoire telle que leur condition sociale, y compris l’absence de domicile fixe. Le partage d’espace figure donc parmi les valeurs fondamentales d’une société démocratique »

Telle est la réalité que vivent les habitants du secteur Milton- Parc, particulièrement les personnes en situation d’itinérance qui ont été expulsées du terrain vague situé à l’angle de l’avenue du Parc et de la rue Milton en 2020. Goldmanco Inc, la société immobilière à laquelle appartient le terrain, aurait installé une première grille pour apaiser des voisins qui se plaignaient du bruit, entre autres nuisances. En conséquence, la zone bétonnée qui servait autrefois de plaque tournante pour plusieurs personnes en situation d’itinérance – principalement issues des communautés inuites — leur est maintenant inaccessible. Malgré les efforts de certains organismes communautaires tels que le Comité des citoyen·ne·s Milton Parc, une deuxième clôture permanente a été érigée en juillet 2021.

Face à cette expulsion, la Ville de Montréal prétend avoir les mains liées. Dans un courriel envoyé au journal Métro, le Cabinet de la mairesse a indiqué que la municipalité ne peut pas intervenir quand il est question de propriété privée. Au lieu de se prononcer sur les actions de Goldmanco Inc, la Ville espère étendre les options de logements sécuritaires et abordables pour la communauté autochtone. Bien que louable, la solution proposée est inadéquate et esquive le cœur du problème. Lorsque l’exercice des droits de propriété met activement en danger un groupe défavorisé, ces droits devraient-ils toujours prévaloir ?

Rose Chedid | Le Délit

Cette illustration de Rose Chedid est une création dérivée d’un extrait du film de Norman McLaren, Voisins.


Le coût humain de la clôture est déjà manifeste. En 2020, Kitty Kakkinerk, une femme inuite, a été heurtée par un camion à quelques mètres de la grille. Des témoins de l’accident, dont son frère, ont affirmé que la clôture avait joué un rôle déterminant dans sa mort. Dans un rapport publié l’année dernière, Nadine Mailloux, l’ombudsman de Montréal, affirme que l’itinérance autochtone dans le quartier Milton-Parc constitue une « crise humanitaire ». Les relations au sein de la communauté semblent également s’être détériorées depuis l’installation de la clôture. En effet, la fermeture du terrain vague a contraint les sans-abri du quartier à s’établir sur le trottoir, ce qui engendre des frictions avec les établissements commerciaux.

Contrairement à ce que la Ville souhaite nous faire croire, les droits de propriété privée ne sont pas impénétrables ; ils doivent parfois se soumettre aux droits et libertés constitutionnels. Au Québec, la Charte des droits et libertés de la personne affirme que nul ne peut empêcher autrui d’avoir accès aux lieux publics ou commerciaux sur une base discriminatoire telle que leur condition sociale, y compris l’absence de domicile fixe. Le partage d’espace figure donc parmi les valeurs fondamentales d’une société démocratique. Norman McLaren avait raison de dévoiler la brutalité des clôtures. Il est temps de revoir notre déférence inconditionnelle à l’égard de cet élément naturalisé du paysage urbain.



L’itinérance autochtone : une crise humanitaire
Molly Kines, Contributrice

Que diriez-vous si une crise humanitaire se déroulait au cœur même de votre ville ? Comment réagiriez-vous ? C’est une réalité regrettable qui a cours à Montréal actuellement, comme le montre une photo de Jacques Nadeau publiée dans Le Devoir. L’itinérance autochtone est un grave problème qui devrait tous nous préoccuper. En 2022, l’ombudsman de Montréal a publié un rapport avec cinq recommandations à la ville sur l’urgence d’agir pour les peuples autochtones dans le besoin. Depuis lors, malgré certaines avancées, l’itinérance au sein de la population autochtone à Montréal reste endémique. À mon avis, nous pouvons et devons en faire plus pour soutenir cette population vulnérable. Afin d’avancer vers une solution, il faut établir des logements à long terme pour les itinérants autochtones, ainsi qu’un meilleur programme d’accueil pour les personnes inuites qui s’installent à Montréal.

Rose Chedid | Le Délit

Cette illustration de Rose Chedid est une création dérivée d’une photo de Jacques Nadeau parue dans Le Devoir.


Tout d’abord, il faut mettre en place des logements sûrs, stables et disponibles à long terme pour ces peuples à Montréal. En 2022, l’Hôtel des Arts, un refuge qui accueille les personnes autochtones 24 heures sur 24,
a été construit dans l’arrondissement de Ville-Marie. Selon un article de Radio-Canada, cet hébergement ne compte que 50 chambres et a été conçu comme une solution temporaire pour les périodes de grand froid. D’après moi, ces refuges sont un pansement sur une artère coupée : insuffisants et lacunaires par rapport au vrai problème. Ainsi, la Ville de Montréal doit proposer un plan d’action solide, qui inclut une solution permanente à la question du logement.

Par ailleurs, la situation de la population inuite à Montréal est particulièrement préoccupante. Selon le recensement canadien de 2021, la population de Montréal comptait 1 130 personnes inuites. D’après un article de Radio-Canada, de nombreux Inuits déménagent à Montréal pour obtenir des soins de santé ou pour échapper à des situations précaires, mais se retrouvent ensuite à la rue. La psychiatre Marie-Ève Cotton, qui soigne la population autochtone à Montréal, affirme que cette dernière se heurte souvent à différentes formes de discrimination et à la difficulté de trouver un emploi et un logement. Des services sociaux, des ressources et des logements abordables doivent donc être fournis après leur arrivée, afin d’éviter qu’elle se retrouve en situation d’itinérance. Tout ceci devrait se faire dans les langues autochtones et en tenant compte des besoins psychosociaux liés aux traumatismes intergénérationnels qu’ils pourraient avoir vécus. Avec des ressources d’accueil culturellement sensibles, les personnes inuites seront plus à même de s’établir à Montréal.

« Le passé de cette population au Canada est chargé de racisme, de discrimination et d’abus. Bien que nous ne soyons pas les auteurs directs de ces mauvais traitements, nous occupons une position privilégiée en tant que membres du groupe dominant. Cette position implique une certaine responsabilité, malgré la gêne que nous pouvons ressentir face à ces vérités troublantes. Je vous laisse donc avec la question suivante : vous sentez-vous responsable ? Et si oui, comment comptez-vous agir ? »

De toute évidence, l’itinérance autochtone à Montréal est un problème qui persiste en dépit de nombreux appels à l’action. Malheureusement, le passé de cette population au Canada est chargé de racisme, de discrimination et d’abus. Bien que nous ne soyons pas les auteurs directs de ces mauvais traitements, nous occupons une position privilégiée en tant que membres du groupe dominant. Cette position implique une certaine responsabilité, malgré la gêne que nous pouvons ressentir face à ces vérités troublantes. Je vous laisse donc avec la question suivante : vous sentez-vous responsable ? Et si oui, comment comptez-vous agir ?


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