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Voter, mais encore…

Comment devenir une démocratie intergénérationnelle ?

Étienne Ravary

Le philosophe Thomas Paine croyait fondamentalement que la révolution était un signe de questionnement du statu quo par le peuple, et donc, qu’elle injectait dans le monde de nouvelles perceptions des droits humains. Paine croyait également que le pouvoir et l’autorité devaient entièrement reposer sur le peuple et que si ses droits étaient violés par un gouvernement qui devait le protéger, il avait le droit de se révolter ou de s’en débarrasser. Selon lui, la monarchie française violait les droits naturels de ses citoyen·ne·s puisqu’il s’agissait d’un système héréditaire et fondamentalement despotique, impliquant une concentration unique de la richesse aux mains de l’aristocratie. Pour ces raisons, Paine estimait que la révolution était légitime. Le résultat le plus conséquent – quoique lointain – de la révolution fut la démocratie représentative. Il soulignait que celle-ci devait contenir les principes qui régissent les modalités sur lesquelles un gouvernement sera établi et organisé : elle « n’est point l’acte de son gouvernement, mais celui de la Nation qui constitue un gouvernement ». Ainsi, quand la « volonté du peuple », cet autre nom de la Constitution, remonte jusqu’en haut, la démocratie peut être atteinte. Aujourd’hui, Paine accuserait les Canadien·ne·s et les Québécois·e·s de la prendre trop pour acquise. Il nous dirait que la démocratie protège les citoyen·ne·s, mais les citoyen·ne·s se doivent tout autant d’en être les protecteur·rices·s. Mais comment ?

« Il nous dirait que la démocratie protège les citoyen·ne·s, mais les citoyen·ne·s se doivent tout autant d’en être les protecteur·rice·s »

Voter

Au Canada, en 2019, 32% des jeunes de 18 à 30 ans n’ayant pas voté aux dernières élections fédérales justifient leur abstention par manque d’intérêt ou manque d’éducation sur les enjeux. Au Québec, une étude portant sur les jeunes de 21 ans démontre que parmi ceux et celles n’ayant pas voté, 44% ont fait un tel choix par manque d’intérêt. Peut-on expliquer ce faible intérêt par l’inverse ? La politique s’intéresse-t-elle aux jeunes ? Met-elle en jeu leurs préoccupations ? Il semblerait que non, ou pas assez. En effet, les enjeux qui touchent le plus les jeunes adultes semblent être sous-représentés dans les politiques publiques et les décisions gouvernementales, ce qui produit un clivage générationnel quant à la participation politique. Bref, les jeunes se sentent étrangers par rapport au « discours politique traditionnel », ce qui explique leur désintérêt face aux élections provinciales et fédérales.

À qui la faute ? Ou à quoi ? Si quelqu’un vous dit je t’aime une fois tous les quatre ans, comment la flamme peut-elle être alimentée ? Aux États-Unis, la Constitution a prévu que les citoyen·ne·s seraient consulté·e·s tous les deux ans. Au Québec, comme dans la plupart des autres démocraties occidentales, c’est le syndrome du chèque en blanc tous les quatre ans ; d’un côté des élu·e·s qui se sentent royalement au-dessus de la mêlée, de l’autre, pour ceux·lles qui se sont déplacé·e·s et ont voté, le sentiment de s’être fait avoir. La solution ?

Participer

Comment maintenir le lien quand les chiffres continuent de montrer que les jeunes regardent ailleurs ? Comment en faire de vrai·e·s acteurs·rices politiques ? Comment leur faire aimer la politique ? Le gouvernement a fait preuve d’initiative en créant, via le Secrétariat à la jeunesse, des programmes de simulations parlementaires qui permettent à ceux·lles qui le souhaitent de tâter la politique sur le terrain. Du 2 au 6 janvier dernier, il a invité une centaine de jeunes à assumer les fonctions du gouvernement, de l’opposition et des législateurs. Pendant la semaine de pause de l’Assemblée nationale du Québec, le salon bleu s’est transformé en scène théâtrale particulièrement réaliste par un jeu de rôle minutieux, la participation à des cérémonies symboliques, le port du veston cravate ; bref, par la reproduction fidèle de l’étiquette et de l’action politique. Les jeunes étudiant·e·s, et qui sait, futur·e·s politicien·ne·s, portaient les couleurs rouge ou bleue de l’ancienne, pas trop ancienne, dualité politique québécoise. C’était la 36édition du Parlement étudiant du Québec (PEQ). L’expérience a rappelé à beaucoup de jeunes la chance qu’ils·elles ont de vivre dans un pays démocratique, ainsi que l’importance de participer activement au processus gouvernemental. Gestion de crises, rédaction de discours, confrontation avec les journalistes, joute oratoire… En plus du bleu gauchiste et du rouge droitiste qui teintaient leurs arguments, ces jeunes ont pu y ajouter leurs propres couleurs en présentant des projets de lois réfléchis, à l’image de la jeunesse. Il s’agissait d’une occasion en or de discuter de l’actualité, retricoter le passé, tourner en dérision quelques hypocrisies, ou bien encore de tester des idées farfelues. Le tout avec cœur, le tout dans le respect des institutions et du magistral Salon bleu. On est loin d’un vote tous les quatre ans ; on est là où les choses se font entre ces rendez-vous trop lointains que sont les élections. Qui a dit que pour aimer, il faut connaître ? Il·elle avait raison. Le Québec s’est doté de programmes pour rendre sa démocratie plus inclusive, plus accessible, plus transpartisane : le Parlement des jeunes pour les élèves de troisième et quatrième secondaire, le Forum étudiant pour les étudiant·e·s de cinquième secondaire et du CÉGEP, le Parlement jeunesse et le Parlement étudiant du Québec pour les universitaires. Il s’agit d’opportunités concrètes pour les jeunes québécois·e·s qui s’intéressent à la politique d’y participer dès l’âge de 15 ans. Et ce, dans un cadre remarquable, celui des vraies institutions.

« L’expérience a rappelé à beaucoup de jeunes la chance qu’ils·elles ont de vivre dans un pays démocratique, ainsi que l’importance de participer activement au processus gouvernemental »

Écouter

Se faire critique d’un système défectueux est une tâche nécessaire pour le rendre juste. Thomas Paine serait d’accord. C’est ainsi qu’on incite le gouvernement à écouter et à changer, à s’adapter aux nouveaux besoins de cette génération. Mais au-delà d’événements comme les parlements jeunesse, comment maintenir l’engagement politique des jeunes ? Comment leur permettre de passer d’acteur·rice·s à électeur·rice·s et citoyen·ne·s engagé·e·s ? Comment faire pour que les soucis politiques, prioritaires pour les jeunes, ne soient pas des enjeux cosmétiques tous les quatre ans : changements climatiques, égalité des sexes, accès à l’éducation, pauvreté, santé mentale…? À l’échelle fédérale, le gouvernement canadien s’est muni d’un Conseil jeunesse du premier ministre. Or, dans la fédération canadienne, ce sont les décisions des gouvernements provinciaux qui ont le plus d’im- pact sur les citoyen·ne·s. Ce sont eux·lles qui stimulent le véritable changement environnemental, social, économique et culturel. Ne serait-il pas temps que le gouvernement du Québec imite son homologue fédéral et se dote d’un Conseil jeunesse du premier ministre ? Il ne suffit pas de faire aimer la politique, il faut écouter. Qui a dit qu’aimer, c’est écouter ? Il·elle avait raison. Un Conseil jeunesse serait une voix constante dans l’oreille du gouvernement.

Le défi est double. Comment en faire des électeur·rice·s plus volontaires et des acteur·rice·s plus constant·e·s ? En s’assurant que le gouvernement lui-même ne cesse jamais de les entendre, de les voir et de s’en préoccuper. Le Conseil jeunesse donne un statut officiel aux jeunes : lobbyistes pour leur futur. Seulement alors, le Québec pourra devenir un véritable laboratoire de démocratie intergénérationnelle.


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