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Être la meilleure

Opinion : Analyse introspective de la confiance en soi féminine.

Rose Chedid | Le Délit

Gravir des montagnes 

À toutes les étudiantes qui doutent d’elles tout en aspirant à tellement de grandeur : cet article ne vise pas à être un compte rendu objectif de la confiance en soi féminine, mais plutôt une analyse subjective de la société telle qu’elle nous empêche d’aborder la vie avec la même confiance que nos analogues masculins. Il m’a semblé que ce sujet était particulièrement intéressant, car tandis que le féminisme nous appelle généralement à lutter contre des inégalités qui nous sont extérieures et sur lesquelles nous avons peu de contrôle, la perpétuation des inégalités de genre réside également en notre for intérieur. Des discriminations articulent également nos membres et nos façons de vivre, elles sont alors a priori imperceptibles par nos sens, plus difficiles à identifier, et font pourtant tout autant de dégâts. Notre socialisation, notre éducation, notre culture et nos expériences personnelles façonnent irrévocablement notre caractère. Il est alors difficile de faire la différence entre ce que nous sommes vraiment et ce que les éléments extérieurs nous dictent d’être. Il devient alors intéressant de se questionner sur l’origine de certains de nos traits de caractère ou de nos comportements lorsque ceux-ci représentent des freins et semblent nous maintenir dans certaines positions de subordination. Est-ce le cas pour la confiance féminine ? Existe-t-il des fardeaux communs aux femmes qui les empêchent de jouir d’une pleine confiance en elles ? Une étude de l’Université de Munich faite en 2013 révèle qu’une femme sur huit négocierait son salaire à l’embauche, contre un homme sur deux. Un article du British Medical Journal datant de 2019 affirme que les femmes scientifiques utiliseraient 12% de qualificatifs positifs de moins que leurs confrères dans les articles qu’elles rédigent pour présenter leurs travaux. Bien d’autres études montrent encore que dans le monde professionnel, et également dans le monde des études supérieures, les femmes ont tendance à se mettre davantage de bâtons dans les roues. Pourtant, nous nous accordons toutes depuis longtemps pour affirmer que l’intelligence n’a pas de genre. Il me semble également que l’expérience féminine apprend le courage et la résilience d’une façon relativement générale. Je vous propose d’embarquer avec moi dans ce petit voyage à travers certains passages de vie qui, il me semble, ont beaucoup à nous dire sur la construction de la confiance en elle d’une femme occidentale, et en particulier sur son endommagement.

« Une étude de l’Université de Munich faite en 2013 révèle qu’une femme sur huit négocierait son salaire à l’embauche, contre un homme sur deux »

Là d’où je viens

Nous associons la confiance en soi à certains comportements qui ne sont traditionnellement pas toujours imprégnés dans l’éducation que reçoivent les filles. Il faut se penser la plus forte, la plus compétente, avoir une certaine croyance aveugle en ses capacités, une résistance aux chocs et aux doutes. La confiance en soi est associée à l’assertivité, à l’affirmation et à la réactivité. Ce sont des caractéristiques davantage associées à la masculinité stéréotypée, plutôt qu’aux attendus sociaux des femmes. Dès leur plus jeune âge, les garçons sont poussés à exprimer avec fierté leurs qualités, tandis que les filles sont plus généralement élevées dans l’humilité. Cet élément varie selon la famille dans laquelle nous grandissons, nous évoluons aussi toutes avec moins de modèles féminins pour beaucoup de sphères professionnelles. L’histoire du sexisme est ancienne, et il fut un temps où les femmes étaient complètement absentes du monde professionnel. Même lorsque cela n’est pas le cas, elles y sont moins représentées et accèdent plus difficilement à des positions d’élite. Je crois que quelque chose de très inconscient s’opère ainsi lorsque que l’on est enfant et que nous rêvons d’avenir, un avenir où nos seuls modèles de réussite sont des hommes. J’ai toujours rêvé d’être réalisatrice de films, ma petite sœur rêvait d’évoluer dans les sciences, dans des métiers pour lesquels les femmes sont largement sous-représentées. Il est ainsi plus difficile de croire en soi, de s’associer à ces personnes, car lorsque nous lisons leurs histoires, les hommes sont très différents de nous ; ils ne travaillent pas de la même façon et ont des parcours qui ne peuvent être ceux des femmes. Nous nous demandons si nous avons les qualités requises, nous avons parfois le sentiment qu’il faudra redoubler d’efforts pour parvenir à ces métiers. La culture populaire occidentale a également tendance à promouvoir l’image du garçon guerrier et combattant, prêt à se lancer sur le champ de bataille sans l’ombre d’une émotion. La férocité n’est pas associée aux stéréotypes de la féminité, les femmes apprennent donc sans cesse à se plier. Alors, les petites filles ont besoin qu’on leur rappelle la forme que peut prendre leur force, combien celle-ci peut être puissante et leur permettre de gravir des montagnes, de remonter des cours d’eau et de conquérir tous les métiers dont elles rêvent. 

« Je crois que quelque chose de très inconscient s’opère ainsi lorsque que l’on est enfant et que nous rêvons d’avenir, un avenir où nos seuls modèles de réussite sont des hommes »

Laura Tobon | Le Délit

Les Autres 

Je crois que les réseaux sociaux, auxquels les femmes sont de plus en plus exposées et à un âge de plus en plus jeune, y sont également pour quelque chose. J’ai grandi dans une sphère imaginaire où les corps sont parfaits, les vies sont parfaites et où les encombres et les défauts n’existent pas. Ce que l’on voit sur les réseaux sociaux constitue un idéal, qui semble être l’idéal féminin, une perfection à laquelle nous apprenons à aspirer. Nos modèles ne montrent pas de gouttes de transpiration ou de voix fortes, ils incarnent les stéréotypes de la féminité, la douceur, la beauté, l’intelligence sans prétention et les sourires. Le regard des autres est un tribunal, les attentes de la société pour les femmes donnent le tournis et nous apprenons à être jugées, sans cesse, pour nos façons d’être, de paraître et d’incarner. Le conflit avec notre confiance en nous naît alors, car pour croire en soi, il faut s’accepter et s’affranchir des façons dont les autres nous ont définies. Il faut oser déranger, être convaincue de la valeur de ses qualités et savoir ce que l’on mérite. Lorsque notre confiance est abîmée par les critiques de nos physiques et de nos caractères, fondées sur des injonctions associées à la féminité, cela se répercute sur tous les aspects de notre vie qui demandent une affirmation. Il est intéressant lorsque vous faites face à des situations de stress avant un examen ou avant de parler de vous, de refaire votre propre voyage intérieur. Doutez vous de vous parce que vous n’êtes pas si douée que cela ou bien parce que vous vous êtes souvent senti rabaissée pour des facteurs qui n’ont pas rapport, comme, par exemple, votre physique ? Vous méritez de vous regarder attentivement, pour abattre les parasites qui vous ont été imposés et qui vous empêchent de jouir pleinement de qui vous êtes. 

« Le regard des autres est un tribunal, les attentes de la société pour les femmes donnent le tournis et nous apprenons à être jugées, sans cesse, pour nos façons d’être, de paraître et d’incarner »

Se déconstruire 

Le monde est à refaire, certes. Les inégalités et discriminations sont infinies, et il y a beaucoup à déconstruire. Or, nous sommes aussi le monde et notre intérieur est fait de cet environnement révoltant. Les barrières qui nous empêchent d’atteindre une parfaite équité sont aussi en nous, et les identifier permet tout d’abord de se déculpabiliser, afin de ne pas laisser le cheval de Troie nous envahir pour toujours. L’impression du « plafond de verre », à laquelle les femmes sont régulièrement confrontées, est aussi une affaire de société. La recherche d’équité demande parfois de mettre en place des dispositifs pour ajuster les discriminations si profondément ancrées dans la société qu’elles en deviennent intrinsèques aux individus, que ces derniers le veuillent ou non. 

« Les barrières qui nous empêchent d’atteindre une parfaite équité sont aussi en nous, et les identifier permet tout d’abord de se déculpabiliser, afin de ne pas laisser le cheval de Troie nous envahir pour toujours »

Les sphères ou formations qui ont pour but de permettre aux femmes de se réapproprier leur for intérieur sont ainsi pertinentes et doivent être plus amplement développées. Il n’est pas trop tard pour apprendre à voir et à profiter de notre force pour ne plus être notre première ennemie face à la difficulté. Parcourez vos corps et vos esprits comme s’ils appartenaient à un être cher. 


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