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Relativiser les « chambres d’écho » à l’ère numérique

Célia Pétrissans | Le Délit

Avant l’existence d’Internet, la presse écrite et les bulletins de nouvelles télévisés consolidaient nos biais cognitifs en hiérarchisant les sujets selon leur degré d’importance, en traitant l’actualité sous un certain angle, parfois même avec une certaine intention de commercialiser l’information. La ligne éditoriale d’un journal sous-tend toujours son lot de croyances et de valeurs auxquelles le public adhère ou non. Alors qu’il serait probablement édifiant de lire tous les journaux de Montréal pour les confronter entre eux, en avons-nous le temps, et sommes-nous réellement disposé·e·s à le faire ? La plupart du temps, nous nous contentons de saisir une idée dans un article qui a été vérifiée par une autorité, qui confirme notre vision du monde ou la met au défi. En ce sens, le phénomène des chambres d’écho, selon lequel un même type de contenu nous serait proposé de manière récurrente et renforcerait nos schèmes de pensée, s’est-il vraiment intensifié avec l’avènement des médias sociaux ?

Il semblerait hâtif de tenir les chambres d’écho pour responsables de notre renfermement sur des perspectives uniques. Plusieurs études montrent que le fameux phénomène des chambres d’écho devrait être relativisé, et non généralisé à l’ensemble des utilisateurs·rices : seulement 3 à 5% de la population serait véritablement dans une chambre d’écho, selon le professeur de sciences des données Chris Bail à l’Université Duke. Judith Möller, spécialiste en communication politique et en journalisme de l’Université d’Amsterdam, avance pour sa part que les algorithmes de recommandation nous confronteraient à un spectre élargi de réalités sociales, politiques, et culturelles, permettant une diversification des voix.

Le phénomène des chambres d’écho tend à rendre compte d’une vision des utilisateur·rice·s du web comme étant sous l’emprise des histoires leur étant fournies, dépossédé·e·s de leur faculté de jugement. Or, « l’exposition à des histoires incongrues ne conduit pas automatiquement à leur adhésion par le public (tdlr) », explique Mykola Makhortykh, chercheur à l’Institut de communication et d’étude des médias à l’Université de Berne. Ce n’est donc pas seulement l’algorithme qui doit passer en revue notre profil et nous proposer du contenu en fonction de nos intérêts. Nous devons également garder un œil critique vis-à-vis des contenus en libre diffusion sur Internet et conserver la saine habitude de corroborer une information par plusieurs sources.

Au-delà de son application circonscrite, la théorie médiatique des chambres d’écho pose en filigrane la question de la distinction entre une information fiable et non fiable. Ce problème se posait beaucoup moins avant l’avènement du web, lorsque les journalistes bénéficiaient d’une tribune dans la presse papier, à la radio ou dans les chaînes d’information en continu. Les informations journalistiques entraient alors beaucoup moins en concurrence avec d’autres types de contenus médiatiques et n’étaient pas conçues dans une recherche constante de l’attention du public. Aujourd’hui, les informations journalistiques se retrouvent de plus en plus sur un pied d’égalité avec des contenus médiatiques, potentiellement non vérifiés, du fait de leur présence accrue sur les fils d’actualités.

Et ce n’est peut-être pas une mauvaise chose. Il nous faut seulement garder à l’esprit que des discours de provenances hétérogènes peuvent se mêler les uns aux autres dans l’espace public, et que le risque de désinformation est dès lors accru. Tandis que notre attention s’éparpille du fait de la décentralisation de l’information journalistique, notre manière de lire l’actualité est en pleine transformation. Nous sommes placé·e·s face à une profusion de différentes visions du monde qui contiennent leur lot de contradictions et qui complexifient notre rapport à la réalité. Il reste à savoir si la multiplication des sources d’information contribue ou nuit à une bonne compréhension des nouvelles. 


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