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COP15 : une avancée « historique » critiquée

La COP15 pour la biodiversité s’est tenue du 7 au 19 décembre à Montréal.

Marie Prince | Le Délit

Du 7 au 19 décembre dernier a eu lieu à Montréal la Conférence internationale sur la biodiversité (COP15), organisée par la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique. L’événement réunissait les délégations de 196 pays sur la question de la protection de la biodiversité. Un accord qualifié d’« historique » par Steven Guilbeault, ministre canadien de l’Environnement et du Changement climatique, a été conclu le 19 décembre, mais a été largement critiqué pour son manque de vision et d’ambition par certaines délégations et groupes de la société civile. En parallèle de la COP15, l’Université McGill s’est engagée pour la protection de la biodiversité en signant l’engagement Nature Positive.

L’accord Kunming-Montréal

Au terme de 12 jours de négociations, les délégations mondiales se sont arrêtées sur 23 cibles pour endiguer la perte de biodiversité. Le « 30 pour 30 » a été l’une des mesures phares de cet accord, appelé Kunming-Montréal. Les 188 pays signataires se sont engagés à protéger 30% des terres, eaux intérieures et océans d’ici 2030. À l’heure actuelle, cette protection ne concerne que 17% des aires terrestres et 10% des aires marines. Les pays signataires ont également établi comme objectif la réduction des subventions gouvernementales néfastes à la biodiversité de 500 milliards US$ par an, et la diminution du gaspillage alimentaire de moitié pour 2030.

De plus, avec les cibles cinq et neuf, les pays signataires s’engagent à « respecter et protéger l’usage traditionnel et durable [de la biodiversité, ndlr] par les populations autochtones (tdlr)». En effet, les populations autochtones, représentant 5% de la population mondiale, assurent la gestion de territoires où l’on trouve 80% de la biodiversité mondiale.

La dernière COP pour la biodiversité, qui avait eu lieu au Japon en 2010, s’était soldée par un échec, aucun des objectifs annoncés n’ayant été mené à terme. L’arrivée à un accord lors de la COP15 répondait à des alertes urgentes de la communauté scientifique prévenant que nous serions en train de vivre la sixième extinction de masse. En effet, entre 1970 et 2018, la faune sauvage a chuté de 69% en moyenne, et plus d’un million d’espèces sont aujourd’hui menacées d’extinction.

La question du financement de l’accord a été source de conflits. Les délégations ont convenu d’une contribution des pays développés de 20 milliards US$ par an d’ici 2025 et de 30 milliards US$ par an d’ici 2030 au fond pour l’environnement mondial (FEM) des Nations Unies. La délégation camerounaise a qualifié cet accord de « fraude », tandis que celle de l’Ouganda a dénoncé un « coup d’État ». Ces pays demandaient un financement plus important, et à l’instar de la République Démocratique du Congo, la création d’un fond indépendant du FME, dont les principaux dépositaires sont la Chine, l’Inde, l’Indonésie et le Brésil.

« Les 188 pays signataires se sont engagés à protéger 30% des terres, eaux intérieures et océans d’ici 2030. À l’heure actuelle, cette protection ne concerne que 17% des aires terrestres et 10% des aires marines »

Les étudiants à la COP15

La COP15 a aussi été l’occasion de faire entendre la voix des jeunes sur la question de la préservation de la biodiversité lors d’événements annexes. Le Délit s’est entretenu avec Ambrine Lambert, une étudiante mcgilloise en sciences politiques et développement international qui s’est rendue à l’un de ces événements parallèles organisé par Youth Climate Lab. Les étudiants réunis en groupes ont discuté sur la question de l’éducation climatique, thématique présente dans les cibles 16 et 21 de l’accord Kunming-Montréal. Il s’agit « d’améliorer notre rapport à l’environnement par l’éducation », nous a expliqué Ambrine. Un point de désaccord rencontré lors des discussions étudiantes a été le « problème d’universaliser l’éducation » environnementale.

Interrogée sur l’aboutissement de la COP15, Ambrine a souligné que l’accord représente un « pas révolutionnaire pour la biodiversité », mais a déploré « l’absence de mécanismes de suivi » des 23 cibles de l’accord et une « temporalité qui manque d’urgence » face aux menaces pesant sur la biodiversité. Ambrine a aussi dénoncé le « manque de synergie » entre la COP15 sur la biodiversité et la COP27 sur le climat organisée en Égypte en novembre dernier. En effet, alors que cette dernière avait réuni des chefs d’États du monde entier, la COP15 n’a accueilli aucun président ou premier ministre à l’exception de Justin Trudeau.

Une COP contestée

Tout au long de la COP15, de nombreuses manifestations contre sa tenue ont eu lieu dans le centre de Montréal. Des centaines de protestataires étaient réunis le 9 décembre, arborant des banderoles « Pour la biodiversité, contre la COP » pour dénoncer l’« hypocrisie » de la COP15. Au sein de McGill, la COP15 a fait l’objet d’une résolution de l’Association Étudiante de l’Université McGill (AÉUM), prenant position contre sa tenue.

Contacté par Le Délit, Divest McGill a accepté de nous livrer sa lecture de l’accord Kunming-Montréal. « Nous souhaitons que cet accord apporte des avancées sérieuses pour la préservation de la biodiversité, mais l’histoire de ces conférences nous rend sceptiques (tdlr)», nous a confié Divest McGill, avant de critiquer les « conséquences néfastes » que pourraient avoir certains objectifs. « Des mesures comme celles-ci [30 pour 30, ndlr] ont historiquement légitimé la saisie de terres autochtones et d’autres violations des droits humains », souligne le groupe activiste environnemental.

En effet, l’objectif de protéger 30% des terres et océans d’ici 2030 pourrait passer en partie par un système de conservation-forteresse, transformant des aires terrestres ou marines en sanctuaires naturels interdits à l’humain, expulsant ainsi les communautés vivant sur place, expliquait Fiore Longo, responsable de recherche pour l’organisation non gouvernementale Survival International au journal Libération.

McGill s’engage à son tour pour l’environnement

Le 8 décembre dernier, l’Université McGill, à l’instar de 117 universités à travers le monde et 11 au Québec, a signé l’engagement Nature Positive. Lancé par l’Université d’Oxford et le programme des Nations Unies pour l’environnement afin de coïncider avec le début de la COP15, cet engagement souligne l’importance du rôle des universités dans la protection de la biodiversité. Contactée par Le Délit, Frédérique Mazerolle, agente des relations avec les médias de McGill, a accepté de nous expliquer ce que cet engagement signifie pour l’Université. « En adhérant au mouvement, les universités québécoises reconnaissent […] qu’elles ont une responsabilité au regard de la crise de la biodiversité et, surtout, qu’elles font partie des solutions », nous a écrit Mme Mazerolle. L’engagement Nature Positive de McGill, qui s’inscrit dans la stratégie climat et développement durable 2020–2025 de l’Université, vise à « intégrer la durabilité dans tous les secteurs clés de l’Université ». McGill devrait publier sa stratégie officielle pour la biodiversité en 2023, afin d’accroître le financement de recherches et projets liés à la biodiversité.

Interrogé sur l’engagement Nature Positive de l’Université, Divest McGill n’a pas hésité à le qualifier de « présentation trompeuse de l’Université comme étant progressiste et respectueuse de l’environnement ». Pour eux, les prises de position et les programmes de l’Université en faveur de la protection de la nature « sont de bons projets en apparence, mais ils sont loin de respecter l’engagement de l’Université envers une véritable “nature positive», prenant pour exemple le refus de l’université de « désinvestir des énergies fossiles, ignorant les dommages environnementaux et sociaux infligés » malgré les demandes répétées du groupe. 


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