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Raconter, c’est créer des connexions

Le récit d’histoires est un outil puissant pour briser les tabous entourant la santé mentale.

Parker Le Bras-Brown | Le Délit

Mise en garde : troubles de santé mentale, violences sexuelles, suicide

Le 27 janvier 2019, à l’occasion de la deuxième semaine annuelle du bien-être à McGill (du 27 au 31 janvier), le Bureau d’intervention, de prévention et d’éducation en matière de violence sexuelle (Office Sexual Violence Response, Support and Education, OSVRSE, ndlr), Consent McGill et le Pôle bien-être recevaient l’atelier Movies for Mental Health (M4MH). L’événement était présenté par Tanya Turton, facilitatrice pour l’organisation Art with Impact, que j’ai rencontrée pour parler du pouvoir des histoires dans les discussions sur la santé mentale.

Tanya Turton a grandi à Toronto. Elle a commencé à faire du travail communautaire par l’intermédiaire de son centre communautaire local. Aujourd’hui diplômée en travail social de l’Université Ryerson (2012) et en entrepreneuriat de l’Université George Brown (2014), elle s’est engagée dans sa pratique pour « renforcer l’amour de soi et le bien-être holistique ». Au fil des ans, elle a lancé deux initiatives : Adornment Stories, une association à but non lucratif qui utilise la beauté et les récits numériques pour aider des femmes noires qui font face à des défis en matière de santé mentale à transformer leurs expériences, et NiaZamar : Redefining Beauty, une entreprise sociale de beauté et de bien-être qui remet en question les mythes de la beauté par le biais de services, de produits et d’éducation pour accroître la confiance en soi. La vision de Tanya : construire des espaces de soins collectifs.

Avec Adornment Stories, elle a la chance de construire des relations plus durables et plus fortes avec les participant·e·s que lors des ateliers périodiques M4MH, et de les voir évoluer : « Il est transformateur d’être dans ces espaces, de construire une communauté, de voir que vous n’êtes pas seul. » Les participant·e·s sortent avec de nouveaux outils qu’ils·elles peuvent utiliser dans leur vie quotidienne, pour mieux faire face aux défis de la santé mentale. 

Un changement de paradigmes

Depuis le début de sa carrière, Tanya a remarqué un changement dans la façon dont les gens parlent de la santé mentale ; changement qui, selon elle, pourrait être associé au nombre croissant d’histoires, de films, de livres et d’autres œuvres narratives qui en parlent, mais aussi à une forte implication en ligne, de la part des jeunes sur les médias sociaux. « Quand j’étais plus jeune, les gens parlaient de bien-être et de santé holistique, de bien manger […] tout était centré sur le corps », « Nous ne parlions pas de [santé mentale] ». Elle se souvient avoir commencé à entendre parler de santé mentale dans les termes employés aujourd’hui en 2012, sur Tumblr. 

Tumblr, une plateforme de microblogging multimédia lancée en 2007, est devenue « l’un des sites Internet grand public à la croissance la plus rapide [en 2010–2011], son audience passant de 4,2 millions de visiteurs en juillet 2010 à 13,4 millions de visiteurs en juillet 2011 [soit une hausse de 218 %] » (Comscore). La plateforme, explique Tanya, permettait aux personnes souffrant de problèmes de santé mentale de raconter leur propre histoire. Cela a non seulement permis de sensibiliser le public à diverses questions liées à la santé mentale, puisque l’on comprend mieux les difficultés des autres lorsqu’on les voit dans des histoires, mais ce phénomène a également contribué à la guérison de plusieurs personnes. « Je sais que je guéris quand je raconte mon histoire », se confie celle qui a toujours aimé lire et écrire. « Je me sens validée et entendue. C’est libérateur de prendre quelque chose en nous et […] d’y mettre des mots. »

La notion de représentation est une partie essentielle de la solution, non seulement en ce qui concerne les personnes qui sont représentées dans les histoires que nous racontons sur la santé mentale, mais aussi en ce qui concerne les personnes qui prennent des décisions

Une question d’équilibre

« Comme toute chose, les histoires sont un outil », me dit-elle. « Tout le monde peut utiliser cet outil et n’importe quoi peut être raconté avec ». Il est donc primordial d’être très prudent·e avec la façon dont nous l’utilisons. « Certaines histoires peuvent être très dangereuses », dit Tanya. Je pense à la série 13 Reasons Why, diffusée par Netflix depuis 2017, qui a suscité l’inquiétude de nombreux·ses professionnel·le·s de la santé mentale en raison des représentations graphiques de problèmes tels que le suicide et le viol qui s’y retrouvaient.

En avril 2017, l’Association nationale des psychologues scolaires (NASP) aux États-Unis a publié une déclaration concernant la série, disant que « les recherches montrent que l’exposition au suicide d’une autre personne, ou à des récits de morts graphiques ou sensationnalistes, peut être l’un des nombreux facteurs de risque que les jeunes aux prises avec des problèmes de santé mentale invoquent comme raison pour envisager ou tenter de se suicider ». Le NASP a ensuite envoyé une lettre aux professionnel·le·s de la santé mentale dans les écoles du pays au sujet de cette série.

En mai 2017, l’Association canadienne pour la santé mentale (ACSM) et le Centre pour la Prévention du Suicide (CSP) ont publié une déclaration mentionnant des préoccupations similaires à celles soulevées par le NASP. L’ACSM estimait que la série pouvait glorifier le suicide et que certains contenus pouvaient entraîner une détresse chez les téléspectateur·rice·s, en particulier chez les plus jeunes. De plus, la représentation du suicide d’Hannah ne respecte pas les lignes directrices des médias telles qu’établies par l’Association canadienne pour la prévention du suicide (ACPS) et l’Association américaine de suicidologie. L’ACSM et l’ACPS ont fait l’éloge de la série pour avoir sensibilisé les téléspectateur·rice·s à « ce problème de santé évitable », ajoutant que « la sensibilisation doit se faire de manière sûre et responsable ». Un nombre important et croissant de recherches canadiennes et internationales a établi des liens évidents entre l’augmentation des taux de suicide et ses représentations médiatiques néfastes. 

Un autre exemple d’histoires potentiellement nuisibles se trouve dans la mode du selfcare consumériste et de la culture treat yourself, très présentes sur les médias sociaux et dans les espaces universitaires.

« Il y a cette mode du selfcare qui ne reconnaît pas l’importance des soins collectifs », explique Tanya. « Une personne peut travailler très dur pour prendre soin d’elle-même mais ne pas bien aller mentalement pour autant. […] Il faut aussi reconnaître l’impact de nos diverses identités (statut d’immigration, statut socio-économique, race, genre, orientation sexuelle…) sur la santé mentale. »La maladie mentale peut venir de facteurs biologiques, oui, mais aussi environnementaux. La question que nous devons nous poser, selon Tanya, est la suivante : comment créer des espaces dans lesquels les individus peuvent prendre soin d’eux-mêmes tout en créant des connexions avec les autres ? La notion de représentation est une partie essentielle de la solution, non seulement en ce qui concerne les personnes qui sont représentées dans les histoires que nous racontons sur la santé mentale, mais aussi en ce qui concerne les personnes qui prennent des décisions (dans les espaces de gouvernance) par rapport au financement des programmes de santé mentale et aux services sociaux — existe-t-il des espaces sûrs (des safe spaces) pour tout le monde ? 

Les politiques doivent suivre

Les histoires peuvent transmettre de nouvelles connaissances et peuvent avoir un impact sur la façon dont nous traitons les personnes qui font face à des défis en matière de santé mentale, en influençant notre compréhension de leurs réalités. Pourtant, « les histoires ne peuvent pas changer le vécu des gens. […] D’autres éléments sont systémiques et institutionnalisés », insiste Tanya. Où va le financement pour la santé mentale ? Est-ce seulement aux mesures cliniques, ou aussi préventives ? Quelle est la place accordée aux soins collectifs ? À qui s’adressent les services ?

Une grande partie du dialogue actuel sur la santé mentale ne tient pas compte de la culture et de la race, les services ne sont pas adaptés, conclut-elle. Il reste évidemment beaucoup de travail à faire.

Même s’ils ne sont pas suffisants si les politiques ne suivent pas, Tanya croit toujours que les récits et les événements tels que M4MH et la Semaine du bien-être ont un grand impact : « Votre présence physique montre que vous êtes intéressé·e et permet que des ressources soient investies dans la santé mentale ». 

Des resources en santé mentale sont disponibles à McGill et hors campus :

- Liste de professionnel·le·s racisé·e·s en santé mentale à Montréal, qui inclue le nom des professionnel·le·s, leurs titres, services offerts, disponibilités, coordonnées, ethnicité, langue(s), s’iels appartiennent à la communauté LGBT+, si elles ont besoin d’une référence, l’accessibilité de leur espace, leurs tarifs et si des assurances peuvent s’appliquer (rendu possible grâce à CURE Concordia).
Lien : https://​bipocmentalhealth​.tumblr​.com/​l​ist

- Vent Over Tea : un service d’écoute active qui prend place dans plusieurs cafés.
Lien : ventovertea​.com

- Peer Support Center : un autre service d’écoute confidentiel et par des étudiant·e·s, à McGilll.
Lien : psc​.ssmu​.ca/

- Empower me : un service qui permet aux étudiant·e·s mcgillois·e·s d’être mis·e·s en lien avec des professionnel·le·s de la santé mentale.

- Pôle Bien-être de McGill (les individus sans rendez-vous commencent à être traités à 9h).
Lien : www​.mcgill​.ca/​w​e​l​l​n​e​s​s​-​h​ub/


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