Aller au contenu

Cacophonie familiale

Le Théâtre Jean-Duceppe présente sa dernière production : Disparu·e·s.

Caroline Laberge

Traduite par Frédéric Blanchette, la pièce Disparu·e·s — August : Osage County, en anglais — a été écrite au début du siècle par l’américain Tracy Letts et est présentée cette saison dans sa version française au Théâtre Jean-Duceppe, dans une mise en scène de René-Richard Cyr. Un alcoolique qui disparaît et une famille qui essaie de se réconcilier avec peine pendant cette tragédie, voilà la prémisse de Disparu·e·s. Les personnages se crient les uns sur les autres et c’est l’histoire d’une famille brisée qui est présentée. Retour sur cette adaptation québécoise d’un succès états-unien.

Osage County

Le choix du titre francophone réfère à l’une des répliques, qui témoigne de l’ébranlement des valeurs de chacun·e : « Ce qui est en train de disparaître était en fait déjà disparu », nous dit l’un des personnages. Le titre original de la pièce renvoie au peuple autochtone des Osages, vivant en Oklahoma, lieu où se déroule l’histoire. Cette Amérique, on nous la présente d’un point de vue peu reluisant : la pièce traite d’un enjeu secouant le continent depuis quelques années, la crise des opioïdes, c’est-à-dire une surprescription de ces drogues et un nombre catastrophique de morts liées à leur consommation. L’auteur a cherché à personnifier cette problématique en la mère de la famille, Violet, dépendante de ces pilules. 

Archétypes et espace

Si la pièce est portée par une talentueuse distribution – treize comédien·ne·s dans autant de rôles principaux, selon le metteur en scène –, les archétypes présentés ébranlent par moments la crédibilité des personnages. Christiane Pasquier se démarque parmi les artistes dans le rôle de la mère, pilier chancelant et déconnecté de la famille.  Le décor exploite bien l’espace de la scène, en présentant les diverses pièces de la maison. Cela permet des changements de scènes sans fermeture des lumières, au détriment d’un certain focus sur l’emplacement des scènes : les personnages restent parfois en arrière-plan, vaquant à leurs occupations personnelles.

Mélodrame comique

À mi-chemin entre le drame et la comédie humaine — si l’on considère qu’une réelle distinction puisse être faite —, Disparu·e·s fait osciller l’émotion à mesure que sont déclamées les répliques. Si les tensions familiales sont au cœur du récit, la violence banalisée entretenue entre les personnages peut choquer les spectateur·rice·s. La mère crie en pleine chicane : « La vérité, c’est que vous n’avez jamais eu de vrais problèmes, alors vous vous en êtes inventé. » Là reposent bien les névroses de chacun·e qui sont présentées dans les altercations familiales. Il est dommage que certains points tragiques aient été perdus, notamment par la vague de rires qui continuait de se propager dans la salle et qui enterrait les répliques suivantes. Je n’ai pour ma part ressenti une authenticité qu’en le personnage de Charlie Aiken (Roger Léger), le vieil oncle. Il est bien le seul à avoir su faire résonner en moi une certaine sympathie ; sa bonté était émouvante dans cette marre de personnages souffrants. Après deux heures d’altercations familiales, tous les personnages quittent la scène pour ne laisser que la mère, seule dans son désarroi et son malheur. Le silence planant contraste en tous points avec le reste du dialogue. La pièce se conclut sur les sages paroles du poète britannique T. S. Eliot : « C’est ainsi que prend fin le monde, pas dans une explosion mais dans un murmure. »

Disparu.e.s est présenté jusqu’au 23 novembre au Théâtre Jean-Duceppe.


Articles en lien