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Le Délit défend la francophonie depuis 1977, mais laquelle ?

Evangéline Durand-Allizé | Le Délit

Le Délit naît en 1977 sous le nom de The McGill Daily Français au sein d’une université anglophone fâchée par les questions de francophonie. Le mouvement indépendantiste québécois se fusionnait à un mouvement étudiant, portant comme trophée mcgillois la création d’un journal en français, fait pour et par les étudiant·e·s québécois·es du campus. Au fil des années, Le Délit s’est donné pour objectif de défendre la francophonie. Les conflits ayant pris place à McGill et à Montréal depuis 1977, mettant en péril la conservation du français québécois, ont alimenté la ligne éditoriale du journal qui s’engageait à protéger le français dans un climat écrasé par l’anglophonie. D’édition en édition, notre journal faisait le point sur l’état de la francophonie à McGill, à Montréal et au Québec. Mais, de quelle francophonie Le Délit s’est-il fait le bouclier ? 

À coup d’articles et d’éditoriaux, nos pages ont bien souvent mis en avant un rapport unilatéral à la langue française, seulement représentatif d’une francophonie occidentale et presque tout le temps blanche.

Cela pose plusieurs problèmes.

Le fait de vouloir défendre le français en tant que langue unitaire et pure exclut d’un seul coup de plume toute communauté qui ne s’exprime pas dans ce registre « standard » ou « pur », qui n’a pas été contaminé par les mots d’une autre langue qui est souvent également intrinsèque à l’identité de la personne. Comme l’explique le professeur Diouf, cela crée un « hiatus linguistique » particulièrement dur à vivre (entrevue p.10).

D’autre part, la revendication farouche du français promu à maintes reprises ici exclut celles et ceux qui n’ont pas forcément uniquement envie de parler le français et de le protéger, mais qui entretiennent un rapport complexe, voire violent à la langue. Celle-ci constitue un outil puissant de l’entreprise coloniale française : la francophonie des communautés affectées par la colonisation en est le résultat. Devraient-elles nécessairement apprécier parler français, ou même vouloir le protéger ? Ne parler de francophonie que dans l’objectif de défendre la langue nie les expériences de celles et ceux l’ayant subie, créant des conflits identitaires que peu prennent la peine de remarquer. En ne reconnaissant pas l’existence de relations plus conflictuelles au français et en faisant fi de la portée coloniale de notre langue d’écriture, les positions exprimées dans notre journal par le passé ont très certainement contribué à la silenciation des voix francophones issues de communautés victimes de la colonisation. Le Délit souhaite reconnaître cette complicité et s’engage à donner plus de place aux voix francophones postcoloniales. L’enquête publiée cette semaine (p8-11) souhaite initier ce travail. 


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