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Des cellules de prison aux rues de Montréal, il n’y a qu’un pas

Béatrice Malleret | Le Délit

Nous avons cherché à explorer les liens entre le système carcéral fédéral et l’itinérance à Montréal. Ce travail d’enquête mené depuis plusieurs mois est parti du constat que l’on n’entend presque jamais d’information dans les médias et dans nos quotidiens à l’université sur les conditions de vie des personnes incarcérées ou ayant été incarcérées et des personnes en situation d’itinérance. Puisque nous sommes un journal étudiant, nos ressources disponibles pour mener en profondeur cette recherche ont naturellement été limitées. Ainsi, nous avons pris la décision d’explorer les liens entre incarcération et itinérance selon un angle précis, conscient·e·s de l’impossibilité d’en couvrir en détail tous les aspects. Pendant ce travail, nous avons cherché à déconstruire nos propres biais, qui sont ceux nous semble-t-il d’une grande majorité de personnes, qui voient les personnes incarcérées et en situation d’itinérance d’un  œil simpliste, culpabilisant et déshumanisant, ignorant de la complexité de leurs réalités. 

Dans le cadre de l’enquête, nous avons donc concentré nos efforts de recherche sur la situation des hommes étant passés par le Service correctionnel du Canada et ayant donc vécu plusieurs années en institution carcérale. Si le Délit est conscient qu’il n’a qu’effleuré la problématique avec son dossier spécial, il est d’autant plus conscient que d’autres réalités ont été presque complètement occultées lors de la recherche. D’une part, la situation des femmes vivant soit en situation d’itinérance, de précarité sociale ou encore étant judiciarisées. D’autre part, la grave surreprésentation des personnes issues des communautés autochtones autant dans la rue que derrière les barreaux. Par ailleurs, la relation entre les forces policières et la population itinérante n’a également pas été abordée et mériterait un dossier complet à lui seul. 

Nous avons recueilli plusieurs témoignages, qui montrent la difficulté que représente la réintégration aux structures de la société civile existantes. Cela est notamment dû à la certaine rigidité des conditions de liberté conditionnelle qui, si elles visent à protéger le grand public lorsque nécessaire, empêchent parfois d’anciens détenus d’avoir accès aux lieux venant en aide aux personnes en situation de précarité. Ces témoignages nous ont mené à mettre en doute l’idée que les anciens détenus sont vraiment libres lorsqu’ils sont placés en liberté conditionnelle, puisqu’ils sont parfois très éloignés des ressources nécessaires pour une vie digne.

L’enquête nous a également suggéré que pour réintégrer la société civile, il faut malheureusement déjà en être membre. En effet, la conjugaison des règles administratives de différents paliers gouvernementaux ne communiquant pas entre eux encourage le maintien des personnes dans les conditions de précarité desquelles elles tentent de sortir. L’expiration des papiers d’identité, nécessaires pour les procédures, le besoin de preuves de domicile pour les démarches comme obtenir une carte d’assurance-maladie alors que des personnes sont justement sans-abris, les énormes dettes liées à des hospitalisations, etc. Tous ces facteurs érigent alors les murs d’un labyrinthe administratif qui déshumanise encore plus les personnes déjà privées de leur caractère humain par l’indifférence générale. 

Les tenants du pouvoir publics, notamment le Service correctionnel du Canada, mais également la Ville de Montréal et le gouvernement du Québec, ont donc le devoir de s’assurer de communiquer entre eux pour établir un véritable réseau de réintégration sociale. Nous ne pouvons accepter les excuses de la bureaucratie se relançant la balle en « gérant » des dossiers qui, ne faut-il pas l’oublier, représentent de véritable personnes.


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