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Mythologie : l’Éducation

Rions, puisque nous sommes tous des cons !

Hugo Gentil

Dans l’histoire de l’éducation universitaire, le curriculum a toujours défini l’essence de l’université. Cette éducation s’intéressait aux affaires actuelles, mais surtout aux grandes questions philosophiques mobilisées dans les arts et les humanités. Pourtant, à l’avènement de la modernité, notre préoccupation s’est trouvée toujours davantage formulée selon les logiques techniques concomitantes à son développement technologique. Pareille situation trouve son paroxysme en Amérique libérale – spécialement aux États-Unis – et n’est pas sans conséquence sur le destin de nos communautés. En laissant tomber la marque de l’université, c’est-à-dire son idée de l’excellence d’esprit et de communauté humaine à même d’aspirer à la magnanimité, nous sommes tous devenus peu à peu des cons. Si l’on crut sortir la « religion » de notre éducation, ce n’est qu’une nouvelle doctrine métaphysique – celle de la soumission à la technique – qui vit le jour.

Notre éducation supérieure – si ce n’est toute éducation – a perdu essentiellement ce qui la définissait téléologiquement. Du moment où l’éducation supérieure entendait former non pas simplement un technicien mais sinon davantage un humain, elle se figurait « moyen ». En revanche, elle se veut dorénavant sa propre finalité – les diplômes pour les diplômes ! – et lorsqu’elle ne procède pas de cette logique, elle dresse un essaim qui devra assurer, dans une logique d’automate, le bon fonctionnement du système. Interroger les finalités dudit système nous ramène au triste constat qu’il n’a d’autre finalité que lui-même. Sayonara l’éducation propre à la vie bonne.

À force de choses, nos éducateurs ne furent eux-mêmes plus les biens éduqués, ils devinrent cons. On vit apparaître des chantres rayonnant l’innocence. Le terme d’« éducation supérieure » devint lui-même source de plaisanterie. Ce que l’on enseigne de « supérieur » n’a de supériorité que la spécialisation, la technicisation, nombrilisme autistique. N’ayez cependant crainte, frères marxistes. Nous pouvons tout de même célébrer avec grande ironie un certain nombre de conséquences. N’est-il pas vrai que nos bourgeois sont aujourd’hui eux-mêmes de sombres crétins ? Ils n’ont plus pour eux que le privilège des bons diplômes tant l’oblivion des nobles fiertés de l’humain les fit disparaître de nos curriculums, sans même que l’on ai daigné sourciller – quel sujet ennuyeux. Nous ne portons, depuis deux cents ans, que les plus infectes marques de cette maladie – ode silencieuse au néant, vide de toute extase. 

Le poète québécois Claude Péloquin fit polémique en 1970 lorsque son « vous êtes pas écœurés de mourir bande de caves ! » fut inscrit au-devant du Grand Théâtre de Québec. Il n’avait que trop raison. Nous pourrions épouser cette sentence et interroger : « Vous êtes pas écœurés d’être caves bande de caves ! » Hélas, cela serait tout comme lâcher une bouteille à la mer. Nous ne pouvons espérer des cons qu’ils veuillent cesser de l’être pour autant qu’ils ne sachent rien de leur situation. Seule consolation pour notre époque : les cons qui se savent tels et enquêtent à ne plus l’être. Ils sont déjà bien moins cons. 

C’est notre projet !

Ne plus être cons, ce serait déjà un formidable projet. Pourtant, les cons blâment ceux qui enseignent autre chose qu’eux-mêmes ! Comment, dès lors, espérez-vous que leurs galimatias ne se multiplient davantage. Schopenhauer notait déjà à son époque qu’« ils se sont de fait emparés du marché, veillant à ce que rien n’ait de valeur en dehors de ce qu’ils reconnaissent comme valable, le mérite n’existant que dans la mesure où il plaît à ces médiocres de le reconnaître ». Et c’est ce que l’on a tenté de faire ! C’est justement cela que l’on a appelé éducation ! Tout ce dont notre époque est fière, nous le vomissons. C’est la vérité qui parle par notre bouche. – Mais notre vérité est terrible. Nous sommes les futurs bourreaux des assistés sociaux, bureaucrates de la connerie, PDG du génocide, politiciens de la crasse – nous sommes les étudiants des castrations intellectuelles. Invoquons le fantôme de George Grant afin de rappeler son très ironique « the orgasm at home and napalm abroad ». On éduque à la mort stratégique et l’on galvanise notre connerie privée des divertissements les plus sots.

Ce que nous écrivons, disons, vociférons… cela n’est guère que le plus plat et pathétique des bavardages ; cette intervention n’y échappe pas. Aux prêtres qui nous jugeront, permettez que nous confessions notre propre médiocrité, notre propre sens du pathétisme – ironiquement ! Je vous le demande, savez-vous pourquoi nous sommes universellement et progressivement si cons ? M’entendez-vous ? Disons-le : nous ne savons plus ce qu’est vivre ! On prit un jour la vie et, comme des chrétiens frustrés du dimanche, on lui apprit qu’elle n’aurait dorénavant plus droit de citer dans nos grands empires technophiles : « Damnatio memoriae ab universitate usque ad universitatem ! »

Notre misérable petite éducation se résume à exemplifier ad infinitum notre bêtise ; nous provoquons la grande extinction écologique qui nous attend. Nous la sommons de se rendre à nous. Œuvre de notre arrogance la plus délétère, ne nous méprenons pas – au moins ! – sur pareil destin. Ce ne sont effectivement pas nos désirs et nos démesures qui viendront à bout du monde, c’est essentiellement notre éducation de rachitiques qui en est la cause. On fit de l’anémie un idéal et l’on canonisa ses manifestations fatiguées – nous voulons dire : on réalisa le « progrès », comprenez ! 

Deux minutes et c’est terminé !

Mais je vous vois vous méprendre, mes chers éjaculateurs précoces – n’est-ce pas vrai ? Vous, vous êtes unique et beau et bon et intelligent et d’une belle pensée – vous êtes différents ! Dans ce cas, ne devrions-nous pas vous offrir nos excuses ? Permettez que l’on s’incline devant votre impuissance à même pénétrer la question ; vos lumières ne peuvent attendre. Déjectez vos « connaissances », votre « savoir », votre « modération ». Que l’on puisse comprendre la fine analyse comparative de la sexualité opposant Léon Tolstoï au Marquis de Sade, ou encore que l’on puisse vous expliquer le rôle de l’Être dans l’Éthique à Nicomaque d’Aristote, à quoi bon si l’on en fait qu’une carrière. Vous n’êtes que le mépris de la pensée. « Permettez que l’on soulève quelques réserves, tout de même ! » Bien sûr ! Réservez la connerie, elle est vôtre, son commerce est en grande santé, répète-t-on dans nos journaux. Qui sait si vous n’en ferez pas une carrière ! Une existence emplie de « oui, mais » et vous saurez vous gratifier de n’importe lequel des opiacés actuels. Nous sommes totalement furieux et ce n’est aucune mesure qui nous libérera de la connerie. Disons-le : furieux d’être con !

La cruauté des mots n’est pas synonyme de dégoût. Voyons. On n’est cruel qu’envers ceux que l’on aime. Le reste, vous le savez, on nomme cela l’indifférence. Nous aimons tous les cons et n’osons que leur bien ! Être l’amant des idiots et avoir notre couche avec eux, c’est là notre plaisir. Amor fati, nous rappelait Nietzsche ! Ne tombons pas dans une caricature sans cesse renouvelée de la dureté. Nous n’en voulons pas à ceux qui ne sont que les centenaires fatalités d’un système qui les écrase. Cela n’est pas sans nous motiver à guerroyer avec candeur. 

C’est un préjugé de croire que nous sommes intelligents. Nos yeux, admettons-le, sont d’ores et déjà secs de toute honte. Le monde est bâti en fonction des instincts accouchés de ce préjugé. Nous sommes cons par manque de « réelles expériences » qui définissent l’humain. Rigueur, probité, musicalité, justice, clairvoyance, pathos de la distance, honnêteté, gaieté devant la souffrance du travail intellectuel, révélation. Nous n’arriverons à rien et serons condamnés à mourir en grands abrutis tant et aussi longtemps que nous ne retournerons pas à ces mots. L’éducation n’est pas une chose importante, sinon l’on serait collectivement furieux d’être cons. 


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