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De Saint Laurent à Céline

Slimane nous montre de la pire façon que la mode a changé depuis 2016.

Celine SS19

C’était un retour très attendu pour Slimane. Début 2016 : après trois ans à changer et à renouveler l’image de la griffe Yves Saint Laurent, le créateur Hedi Slimane, qui avait déjà inventé la silhouette masculine des années 2000 lors de son passage à Dior Homme de 2000 à 2007, est remercié par le groupe de luxe Kering et remplacé par Anthony Vaccarello. Il se retire alors pour pratiquer la photographie et gagne un procès intenté à ses anciens employeurs pour rupture abusive de contrat.

Janvier 2017 : LVMH annonce que Hedi Slimane remplacera Phoebe Philo à la tête de la création de la maison Céline. Son premier défilé a lieu à Paris, fin septembre 2018, pour la collection de l’été à venir.

Un style passé de mode

Celle-ci rend hommage à la nuit parisienne, dans le style typique de Hedi Slimane. Dans une ambiance rock se succèdent des mannequins habillé·e·s de pantalons très fins, de robes très courtes, de bombers sans volume, un style près du corps qui a fait la renommée de Slimane il y a bientôt vingt ans. Mais là où en 2000, puis en 2013, la critique criait au génie, la réception est ici toute autre.

Depuis le début des années 2010, ce style a été récupéré par des marques de prêt-à-porter de semi-luxe, telles The Kooples ou Zadig & Voltaire, qui proposent cette esthétique rock à des prix bien inférieurs au prêt-à-porter de luxe. Saint Laurent, qui a perpétué cette esthétique sous la direction d’Anthony Vaccarello, y a apporté une touche plus sophistiquée, jouant avec les volumes, les matières et donnant une impression de réelle couture. D’autres, comme Alexandre Vauthier ou Balmain, reprennent aussi l’approche rétro années 1980, la couture acérée ou les épaules très carrées qui avaient été introduites dans les dernières collections de Hedi Slimane chez Saint Laurent. En comparaison, les créations pour Céline paraissent dépassées, peu ambitieuses et sombres.

Celine SS19

Un défilé qui dérange

Cette collection, surtout, est un grand pas en arrière par rapport à la mode elle-même. Céline, ici, présente pour la première fois des pièces pour homme. Après une campagne de promotion très alléchante montrant des mannequins androgynes, nous pouvions espérer trouver des mélanges de vestiaires, un jeu sur le masculin et le féminin, que le prêt-à-porter féminin exhibe depuis déjà trois ou quatre saisons. Très majoritairement chez Céline, les hommes portent des costumes-pantalons dans des tons noir ou bleu marine, et les femmes portent des robes très courtes, dont les couleurs, vives ou argentées, tranchent avec le noir du défilé.

De plus, depuis la débâcle médiatique du créateur russe Gosha Rubchinski l’hiver dernier, critiqué pour ne présenter que des mannequins blancs, les castings des défilés ont pris l’habitude de représenter de plus en plus de mannequins non blancs. Il n’est plus normal, dans une collection présentée en 2018, qu’il faille attendre trente passages pour voir un mannequin non blanc.

Enfin, le cri d’alarme d’une part de l’industrie de la mode face à la fragilité des mannequins et au danger que représentent des modèles à peine sorti·e·s de l’enfance et aux mensurations inférieures à une taille 34 française pour les consommateur·trice·s de mode contemporaine, a porté récemment ses fruits. Les mouvements de body positivity, représentant aussi une tendance de la deuxième moitié de notre décennie, ont provoqué des défilés joyeux, avec des mannequins aux corps différents des normes déraisonnées de la profession. Hedi Slimane réinstaure les joues creusées, les jambes arachnéennes et les tailles si fines qu’un mètre de tissu suffit à confectionner une robe fourreau volumineuse. Le tout rend les seize minutes du spectacle difficiles à supporter, et un vrai malaise s’installe face à ce qui se déroule sous nos yeux.

Merci Hedi

Ainsi, Hedi Slimane a fait un retour très remarqué dans la mode, mais pour les mauvaises raisons. Les ventes de la collection détermineront sûrement sa place à la tête de Céline, qui a investi énormément d’argent dans le nom d’un génie de la mode. Pour nous autres, cette capsule temporelle de tous les travers de la mode est un parfait rappel du chemin qui a été parcouru pour changer une industrie en crise, et encourage à faire encore évoluer notre vision, pour que dans deux ans, grâce au boycott et aux autres changements d’habitudes vestimentaires, l’industrie devienne encore plus inclusive et éthique.


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