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Arc-en-ciel sur René-Lévesque

Montréal sort toutes ses couleurs à l’occasion du 34ème défilé de la Fierté.

Évangéline Durand-Allizé

Le dimanche 19 août à 13h, l’intersection René-Lévesque/Bleury est noire de monde. Certains spectateurs sont installés sur la pelouse, à l’ombre des arbres. D’autres sont assis des deux côtés de la rue. Des bénévoles vêtus de t‑shirts, célébrant la diversité des pronoms : « ILS. ELLES. OK. Tous les pronoms sont valides. » arpentent la rue, repoussant la foule débordante sur le trottoir, pour laisser de la place au défilé. 

Peu après, toute cette foule se lève comme un seul être. L’anticipation est palpable. Puis enfin, un arc de ballons multicolores apparait à l’horizon ; derrière une voiture de police, un groupe muni d’une pancarte annonçant « Femmes trans premières – plus jamais dernières » débarque en tête. La foule éclate en cris enthousiastes ; le défilé commence. Commençant sur la rue Metcalfe, celui-ci longe le boulevard René-Lévesque sur 2,7 kilomètres pour arriver jusqu’à la rue Alexandre-Desève. Cet itinéraire relie l’ancien quartier LGBTQ+ de Montréal au Village actuel, représentant ainsi un pont entre le passé et le présent.

Explosion de couleurs 

Toutes sortes de gammes de couleurs se dressent dans la foule : le bleu-rose-blanc-rose-blanc-bleu des personnes transgenres, le noir-gris-blanc-violet de la communauté asexuelle, le dégradé rouge-rose des lesbiennes, le rose-jaune-bleu des pansexuels, le rose-violet-bleu des bisexuels… Certains ont pris soin d’honorer le bleu : la célèbre Tracy Trash s’est déguisée en Neytiri, l’héroïne bleue d’Avatar. A l’occasion du 34ème défilé de la Fierté de Montréal, la ville a d’ailleurs mis l’accent sur cette couleur, pour célébrer l’harmonie. D’autres ont préféré afficher leurs propres couleurs, comme la drag queen d’Air Canada, dont la gigantesque robe rouge-noir-blanc évoque la reine rouge d’Alice aux Pays des Merveilles. D’autres encore restent fidèles au sempiternel drapeau LGBTQ+, comme le Premier Ministre Justin Trudeau, qui arrive tout sourire, à la tête d’une foule brandissant  leurs drapeaux arc-en-ciel. 

Le défilé est aussi un évènement qui célèbre le dynamisme et la vitalité. Une équipe de roller derby passe en trombe au-dessous d’un drapeau arc-en-ciel ; un groupe de cowboys se livre à une démonstration de line dance ; la fondation Les P’tits Lutins, pour le soutien des victimes du SIDA, débarque avec de joyeux lutins qui sautillent, le sourire aux lèvres. La foule semble particulièrement impressionnée par la troupe des Aigles Noirs, qui slaloment la piste sur leurs trottinettes électriques, déployant fièrement leurs ailes peintes sur des voiles.  Bref, ça bouge !

Dans le vacarme, un silence 

À 2h30, arrive le Cercle Bispirituel de l’organisme communautaire Montréal Autochtone. Quatre personnes assises en cercle entonnent un chant traditionnel, accompagnées d’un tambour. La fête bat son plein, mais d’un geste soudain plein de réserve, un bénévole vient interrompre les musicien(ne)s. Peu à peu, le silence gagne les autres chars. La rue René-Lévesque semble se figer tout entière, en hommage aux membres de la communauté LGBTQ+ victimes de violences ou du SIDA. Partout, plusieurs personnes lèvent ensemble un poing silencieux. 

Au bout de quelques minutes, une personne sourit et pousse une grande exclamation ; son cri transperce le silence et est amplifié par la foule. La musique reprend, et le défilé s’ébranle. Les cris des spectateurs paraissent plus enthousiastes, les gestes des danseurs plus vigoureux qu’avant, comme pour redoubler de ferveur et de joie après le silence, non pas pour oublier les disparus, mais pour les honorer.

Le mot d’ordre est fierté, mais aussi diversité et inclusion. Tous les âges sont représentés (…)

 

La diversité au pouvoir 

Le mot d’ordre est fierté, mais aussi diversité et inclusion. Tous les âges sont représentés : depuis la coalition montréalaise des groupes jeunesse LGBTQ+ jusqu’à l’ARC, un organisme pour aînés et retraités de la communauté gay. Plusieurs familles suivent le défilé avec des poussettes, aux côtés de personnes âgées tenant des affiches pleines d’humour – « Gay and grey », ou encore « Mémé fait son coming-out. » La ville de Montréal a pris soin de rendre le défilé accessible aux personnes à mobilité réduite : des zones réservées sont disponibles à l’angle de René-Lévesque et de la rue Place Philips, ainsi qu’à l’angle de René-Lévesque et Amherst. L’organisme local Passion et Handicap est également venu montrer son soutien à la communauté LGBTQ+.  Le côté « geek » de la communauté est représenté par le groupe des  gaymers de Montréal, ainsi que par de nombreux cosplayers éparpillés dans le défilé : un Aquaman, une Wonderwoman, plusieurs Captain America et des Superman. L’arrivée de Shiro, un personnage de la série Voltron, dont l’homosexualité vient d’être confirmée, est accueillie par un tonnerre d’applaudissements.

Le défilé accueille de plus des représentants de la communauté religieuse de Montréal, comme les Sœurs de la perpétuelle indulgence, des membres du Diocèse anglican, ainsi que l’église de St. James. Par ailleurs, l’Association des Libres penseurs athées est également présente.

C’est difficile de dire ce que la Fierté représente pour moi. J’imagine que c’est une période de quelques jours dans l’année, pendant lesquels la culture queer se montre, au lieu de se cacher

Qu’est-ce que c’est, la fierté ? 

« C’est juste cool de pouvoir s’exprimer en public », dit Sophie, étudiante du cégep Dawson, « parce que c’est le genre de choses qu’on doit apprendre tout·e seul·e, souvent sur Internet. On peut en parler entre amis, mais ce n’est pas vraiment la même chose, c’est sur une autre échelle. » Ses doigts se referment sur le badge affichant « Ace » sur sa salopette. « Dans le bus, je me demandais si je devais cacher mon badge avant d’arriver au défilé… puis je me suis dit non, je n’ai pas besoin de le cacher. » 

À la même question, Jérôme, originaire de Toronto, hésite avant de répondre. « C’est difficile de dire ce que la Fierté représente pour moi. J’imagine que c’est une période de quelques jours dans l’année, pendant lesquels la culture queer se montre, au lieu de se cacher. » C’est un thème qui semble revenir souvent : l’idée de se taire, de se cacher, de se dissimuler, puis, à l’occasion d’un festival qui a lieu une fois par an, se montrer. 

Il semble y avoir quelque chose d’enivrant, dans l’atmosphère festive du défilé de fierté ; il représente pour beaucoup quelque chose de spécial, une occasion de se lâcher, un jour pas comme les autres. « Ça représente la liberté d’expression, tout simplement » résume une autre personne, dont le nom s’est perdu dans les cris de la foule. 


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