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Partager l’eau, craindre ou espérer ?

Les tensions croissantes au sujet de l’eau peuvent-elles aboutir à des conflits armés ?

Prune Engérant | Le Délit

Le 21e siècle sera, selon beaucoup d’analystes, « celui des guerres de l’eau ». Avec la récente explosion de populations, des besoins exponentiels et le réchauffement climatique, il est relativement facile de tomber dans un scénario catastrophe d’après eux. François Lasserre, professeur de géographie à l’Université de Laval, à l’occasion de sa conférence « La guerre de l’eau aura-t-elle lieu ? », nous montre que les perspectives sont plus nuancées.

Apprendre du passé

Dans les conflits ayant eu lieu dans l’Histoire, l’eau a souvent pu jouer un rôle d’aggravation de tensions, qu’elles soient politiques, sociales ou environnementales. L’on nous présente trois cas particuliers ; la Guerre des Six Jours de juin 1967, les conflits de l’Égypte et de l’Éthiopie dans le bassin du Nil, et les tensions autour du partage du Tigre et de l’Euphrate. Professeur Lasserre explique que ces conflits, ou quasi-conflits, présentent chacun des problèmes dans la gestion de l’eau, amplifiés par un manque de coopération ; Israël, sans aucun accord, mobilise les eaux du Jourdain ; l’Éthiopie, d’où le Nil prend sa source, refuse de reconnaître les droits sur l’eau d’autres pays en aval, etc… Dans ces contextes, il souligne bien que « la rivalité sur l’eau fait partie d’un complexe de tensions », on ne peut réduire les conflits à cette seule dimension, mais on ne peut la négliger.

L’eau, un facteur de paix ?

Face à des visions plus sombres, certain·e·s soutiennent que l’eau pourrait au contraire être perçue comme un outil de règlement de conflits. François Lasserre nous parle alors de l’accord syro-irakien de 1975, dans lequel la Syrie cède une partie des eaux de l’Euphrate, ce qui calme rapidement les tensions ; le traité de l’Indus, qui de 1960 entre le Pakistan et l’Inde assure la ges- tion pacifique de leurs ressources. Bien d’autres exemples montrent qu’un effort de communication désamorce souvent des tensions même très enracinées. Lasserre explique donc qu’une vraie confiance est nécessaire pour assurer une « paix grâce à l’eau », et il reste très difficile d’établir une gouvernance généralisée, voire mondiale ; beaucoup d’états restent réticents face aux accords, craignant pour leur souveraineté.

L’eau pourrait au contraire être perçue comme un outil de règlement de conflits

Savoir relativiser

François Lasserre insiste sur la domination de deux « concepts hégémoniques» ; selon lui, l’un frôle le catastrophisme, annonçant un avenir sombre parsemé de conflits violents, alors l’autre voit au contraire l’impossibilité d’un tel futur ; dans toute l’histoire du monde, une seule vraie « guerre de l’eau » aurait eu lieu, en 2500 av J‑C en Mésopotamie. Les chances qu’un tel scénario se reproduise sont minces. Cependant, d’après le conférencier, « on ne peut penser que le passé est garant de l’avenir », les circonstances ayant tant changé. Il est en effet très peu probable de témoigner d’affrontements interétatiques, ou de « conquête » de l’eau. Cependant une multiplication de conflits internes, « de basse intensité » est à prévoir, et est déjà observée. Et avec celle-ci, de vrais problèmes ; une rupture du lien social, une occasion pour la démagogie politique, etc… Tout dépendra donc de la capacité d’adaptation des états concernés dans les prochaines décennies, passant par le développement de technologies, et par un vrai changement dans la manière dont tous·tes vivent et consomment.


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