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Sortir l’e‑sport du canapé

Le Délit rencontre Maximilien Martin, cofondateur du Club de Sport Électronique de l’UdeM.

Maximilien Martin

Maximilien Martin est un jeune homme français expatrié. Il est co-fondateur du Club de Sport Électronique de l’Université de Montréal. Mordu d’e‑sport, Maximilien cherche à partager sa passion et à la faire reconnaître en tant que véritable discipline sportive, tant elle engage de nombreux sens. Le Délit l’a rencontré afin de discuter de sa vision du sport électronique. 

Le Délit (LD): Peux-tu te présenter et nous raconter ce que tu fais dans la vie ? 

Maximilien Martin (MM): Je m’appelle Maximilien Martin, j’ai 21 ans, je suis français et j’habite au Canada depuis maintenant 5 ans. Je suis arrivé à l’UdeM en septembre 2015. Maintenant je suis en gestion de l’innovation à HEC Montréal. 

LD : À quels jeux joues-tu ? 

MM : Je suis un grand passionné de World of Warcraft, j’y joue depuis 2006 environ : c’est la scène e‑sport que je suis le plus. Je joue aussi à League of Legends, Counter-Strike. Je suis également un grand fan de RTS (Real Time Strategy, en français stratégie en temps réel, ndlr), notamment Company of Heroes 2, jeu sur lequel j’ai fait des compétitions. C’est de la stratégie en temps réel sur une carte et il y a deux ennemis qui se rencontrent. L’un des jeux les plus connus est StarCraft, un jeu développé par la compagnie Blizzard Entertainment en fin des années 90. StarCraft est le jeu qui a en quelque sorte donné la naissance du e‑sport en Corée du Sud, succès qui s’est ensuite répandu.

LD : Comment s’est passée ta rencontre avec l’e‑sport, et pour toi, que représente l’e‑sport ?

MM : C’est en jouant à World of Warcraft que je me suis vraiment intéressé à l’e‑sport. J’ai commencé à jouer en 2006 sur la première extension du jeu. Par la suite, League of Legends m’a beaucoup inspiré dans la poursuite de cette passion. En 2012, le jeu est le plus joué en Amérique du Nord et en Europe, ce qui a débouché sur des compétitions internationales. Le fait de voir le jeu auquel tu joues se faire jouer de manière professionnelle et « propre » si je puis dire. C’est un vrai spectacle. C’est comme regarder un match de football si tu pratiques ce sport. Tu connais les règles, tu sais comment ça fonctionne, mais c’est un véritable plaisir de voir le jeu se jouer de manière professionnelle.

Si les JO reconnaissent l’e‑sport, ça va le faire apparaître comme discipline à part entière et donc le démocratiser

LD : Il y a beaucoup de stéréotypes sur ce que représente le sport électronique. Beaucoup pensent qu’il s’agit de s’affaler sur son canapé en cliquant. Du coup, peux-tu nous expliquer concrètement ce que c’est l’e‑sport ?

MM : L’e‑sport est une pratique compétitive d’un média vidéo ludique. L’e‑sport c’est comme le sport, sauf que le terrain est virtuel et l’effort est concentré sur l’intellect. Les jeux dit e‑sport sont centrés sur une pratique assidue de mécanique de gameplay ainsi que sur des aptitudes cognitives.  L’e‑sport c’est donc vraiment un mélange de base traditionnelle sportive (aussi bien intellectuelle que mécanique, car ça engage beaucoup de réflexes). Il faut donc s’entraîner assidûment pour réagir correctement à la situation qui se présente. C’est un sport virtuel, le terrain n’est plus physique, mais intellectuel. Le terme e‑sport est donc trompeur car les jeux ont tendance à associer le sport à l’effort physique, chose qui n’est pas forcément vraie. Un sport peut aussi demander une rigueur intellectuelle, à l’image des échecs. C’est de l’analyse, et tout un travail préparatoire. Un sportif ne va pas courir un marathon sans aucune préparation. C’est pareil pour les joueurs d’e‑sport. On leur impose une préparation, un entraînement, en plus de les encadrer pour qu’ils aient une bonne hygiène de vie. « Un esprit sain dans un corps sain », pour reprendre Juvénal. Aujourd’hui on ne considère pas l’e‑sport comme un sport parce que ce n’est pas assez démocratisé, mais ça je te l’expliquerai ultérieurement. 

LD : La réalité virtuelle (VR) et réalité augmentée fait-elle partie intégrante du e‑sport ou est-ce une discipline complètement à part ? 

MM : En 2018, la VR n’est peut-être pas assez démocratisée pour pouvoir créer des jeux e‑sport/VR, bien que cela existe. Lorsque de tels jeux existent, la frontière entre l’e‑sport et le jeu vidéo est floutée. Lorsqu’on implique la réalité virtuelle, on implique donc le mouvement et le déplacement physique du joueur. 

LD : Que penses-tu de la place de l’e‑sport à Montréal ? On dit que le sport électronique est beaucoup plus populaire et répandu en Amérique du Nord que dans les pays d’Europe, en France, par exemple. Comment expliquerais-tu cette différence ? 

MM : Je nuancerais cette affirmation. L’e‑sport c’est une scène médiatique. Il y a plusieurs jeux qui sont dits d’e‑sport, et qui sont qualifiés de la sorte directement par l’éditeur du jeu vidéo et/ou par la communauté e‑sport elle-même. Si une communauté est séduite, c’est elle qui va continuer à faire vivre le jeu. Donc, chaque continent a son jeu préféré et de prédilection. Ce qui marche très bien en Europe, c’est Counter Strike. En Amérique du Nord, c’est Overwatch, développé par la compagnie Blizzard. En Asie, en Corée notamment, c’est StarCraft. En Corée, l’e-sport est d’ailleurs un véritable métier. Chaque continent, chaque culture s’approprient un jeu, et donc les niveaux sont différents selon les jeux et les endroits. 

LD : Pour la première fois, le sport électronique a fait son entrée aux Jeux olympiques d’hiver de PyeongChang. Perçois-tu ça comme une avancée majeure dans la reconnaissance de l’e‑sport ?

MM : C’est extrêmement important. La problématique de l’e‑sport à l’heure actuelle c’est le légal, donc son encadrement juridique. Aujourd’hui au Québec, on ne sait pas trop où le répertorier et il est encore considéré comme un jeu d’argent. On ne sait pas où le situer. Le cas de Peyongchang est donc particulièrement important car il s’agit d’une reconnaissance olympique, qui ferait que l’e‑sport serait considéré comme un sport. Si cette proposition aboutit, on verra de l’e‑sport aux Jeux olympiques de Paris de 2024 par exemple, et cela entraînera une explosion dans le milieu, parce que les barrières légales vont sauter. Les pays et les états devront prendre conscience de cette reconnaissance et ouvrir des fédérations provinciales et fédérales sportives de l’e‑sport. Au Québec, des initiatives sont déjà mises en place pour se préparer à cette reconnaissance. Si les JO reconnaissent l’e‑sport, ça va le faire apparaître comme discipline à part entière et donc la démocratiser. Ça permettrait donc à l’e‑sport de sortir du canapé. Si la discipline est démocratisée, tout le monde va pouvoir suivre des compétitions de e‑sport dans les bars, par exemple. 

LD : Certains pensent qu’il existe une corrélation entre jeux vidéo et violence, et donc que le jeu pose problème au niveau éthique. Qu’en penses-tu ? De plus, les problèmes de droits d’auteurs et de finance sont souvent évoqués. Vois-tu une solution envisageable à ces problèmes ? 

MM : Aucun. La corrélation entre jeux vidéo et violence n’a pas lieu d’être. Pour moi, il s’agit d’une fausse nouvelle. Je joue aux jeux vidéo depuis mon plus jeune âge, notamment à des jeux violents et je suis une personne saine. Il n’y a aucune étude qui prouve cette corrélation. On utilise souvent le jeu vidéo comme justification d’un cas agressif, alors que la problématique dépasse le jeu vidéo. Si une personne a un trouble psychologique et joue à des jeux violents, le jeu vidéo ne devient alors qu’un prétexte pour justifier sa violence. C’est pour ça qu’il me semble important d’avoir un suivi de l’enfant, et prendre conscience de son état avant de mettre le blâme sur le jeu en lui-même. En ce qui concerne le niveau financier, il y a une grosse problématique qu’il faudra régler lorsque le e‑sport deviendra reconnu par le CIO Olympique. Il s’agit du problème des droits d’auteurs. C’est-à-dire que quand on joue à un jeu vidéo, et qu’on veut l’utiliser pour faire des évènements, du contenu vidéo ou autres, on doit le citer, comme une source ou une musique. L’utilisateur paye des redevances. La problématique est donc la suivante, avec la reconnaissance du e‑sport, à qui devra-t-on payer ces redevances ? Au CIO Olympique ? Aux fédérations nationales/ supranationales ? Cette problématique n’a pas encore de réponses car elle n’a pas encore lieu d’être. Il faut que cette reconnaissance ait lieu pour que l’on puisse véritablement envisager une véritable solution. 

LD : Qui sont les plus gros commanditaires de l’e‑sport ?

MM : Ce sont beaucoup de compagnies informatiques : Intel, Corsaire, Riser, Cooler Master, Asus. Ce sont des marques qui sont issues du milieu du esport et de l’informatique. Les compétitions sont également mises en avant par les producteurs du jeu vidéo. 

LD : Quelle est la place du Club de Sport Électronique de l’Université de Montréal à l’échelle montréalaise ? Quels en sont les projets ? 

MM : En janvier 2016, Théophile Haldky et moi avons mis en place un comité regroupant plusieurs personnes dans le but de créer le Club de Sport Electronique de l’Université de Montréal, qui a vu le jour après des négociations qui ont duré plusieurs mois. L’organisation est un club sportif sous l’égide CEPSUM (Centre d’éducation physique et des sports de l’Université de Montréal) où l’on peut aussi retrouver l’équipe des Carabins de Montréal. 

Au sein de ce comité il y avait déjà l’équipe Polytechnique de Counter Strike, qui avait déjà fait des compétitions et qui étaient déjà reconnue. Nous avons donc construit le club autour d’eux. Nous avons pour vocation de rassembler les universités du campus de Montréal, en parallèle à d’autres missions. Notre première mission c’est de structurer, d’encadrer et éduquer nos athlètes à travers un programme prédéfini avec un coach, un analyste et un athlète. Toute cette structure est faite pour que l’athlète puisse développer ses compétences dans le meilleur encadrement possible, dans le but de les amener à la compétition, avec des suivis disponibles aussi bien physiques que nutritionnels. On cherche à professionnaliser l’e‑sport à travers notre encadrement. La deuxième mission est d’essayer de mettre en place un programme de recherche universitaire sur l’e‑sport. Nous travaillons avec un professeur du nom de Thierry Karsenti (Chaire de recherche du Canada sur les technologies en éducation), connu pour ses travaux sur l’éducation et le numérique. Nous travaillons aussi avec Alain Lefebvre, ancien athlète professionnel, il a entraîné l’équipe nationale canadienne de natation. Il a également travaillé sur la reconnaissance du triathlon comme discipline sportive aux JO. C’est pour cela qu’il est très intéressant pour nous de travailler avec lui, car il a lui aussi du faire face au problème de reconnaissance d’un sport.

Capucine Lorber | Le Délit

LD : Est ce qu’il y a un futur pour l’e‑sport féminin ?

MM : L’e‑sport féminin ça existe déjà. Sur Counter Strike il y a des équipes féminines qui jouent. Au Québec, il y a missharvey, qui est une des ambassadrices du e‑sport féminin. Dans le Club de Sport Electronique de l’Université de Montréal, nous cherchons plus de femmes à intégrer dans notre sphère, aussi bien en tant que joueuses mais aussi en tant que coach ou analystes. On cherche des femmes qui seraient intéressées à faire développer cette scène dans un milieu très macho et masculin. C’est la même problématique que le sport traditionnel. Ça existe, mais ce n’est pas encore mis en avant. 

LD : Il y a de plus en plus d’écoles à travers le monde qui s’ouvrent pour les métiers de l’e‑sport, qu’en penses-tu ? 

MM : C’est formidable. En 2015, il y avait 7 institutions scolaires nord-américaines qui avaient un programme consacré à cette discipline et fin 2017, le chiffre était monté à presque 80. Des bourses sont mises en place et tout un encadrement pour l’étudiant. Je trouve ça super. Ça permet à l’athlète de ne pas abandonner l’école et de recevoir une éducation/un diplôme tout en développant ses aptitudes au jeu. 


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