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La bataille à l’antiféminisme

Il faut combattre toutes les tentatives sournoises d’entraver les progrès gagnés.

Suite à la montée de la droite politique et du mouvement féministe, il fallait bien s’attendre aux contrecoups des antiféministes. Les adeptes de l’antiféminisme n’auraient pu défendre leurs opinions avec crédibilité s’ils s’étaient eux-mêmes décrits antiféministes ; c’est donc pourquoi la plupart d’entre eux se glissent malhonnêtement chez les masculinistes. Or, que pourrait-on qualifier de masculinisme ? Le mandat initial de ce mouvement est de démystifier et de sensibiliser la société aux problèmes sociaux touchant une majorité d’hommes comme le décrochage scolaire ou le suicide (pour ne nommer que ceux-ci), et son nom à lui seul suffit à créer la controverse. Il semble alors difficile de conserver cette supposée direction lorsque des individus qui se proclament de ce même mouvement sapent en même temps ses valeurs fondatrices.

Les antiféministes : tour d’horizon

Le mouvement antiféministe me semblait auparavant plutôt inoffensif, comme s’il s’agissait du simple résultat d’un manque de connaissances sur le féminisme, mais peu de recherches sont nécessaires pour réaliser que ce mouvement et ses revendications sont beaucoup plus dangereuses que ce que l’on pourrait croire. Le mouvement A Voice for men en est la preuve concrète. Une petite visite sur le site web de ce même mouvement fondé par Paul Elam illustre bien la manière dont on peut s’imprégner de cette désolante réalité.

C’est au premier regard sur la page d’accueil que je suis tombée sur un texte rédigé par le docteur Maxwell Light —docteur qui semble être introuvable ailleurs que sur ce site web— portant sur l’histoire du féminisme : A brief history of the feminist revolution (part 3). On y dépeint une réalité fictionnelle où le mouvement féministe, qui en est à sa quatrième vague, tirerait toutes les ficelles de la société, où l’homme n’aurait plus de réelle liberté, où le président des États-Unis, M. Donald Trump, serait censuré par ce mouvement contraignant, où les hommes, même s’ils dominent dans la plupart des métiers sous-entendant une position d’autorité, n’auraient plus de réel pouvoir puisque le féminisme les aurait forcés à se taire. Bien que tout ceci puisse apparaître grotesque, il faut probablement soi-même se plonger dans la lecture d’un texte de ce genre pour saisir toute l’ampleur que peut prendre cette fabulation masculiniste. 

Comme le mentionne Cécile Richetta dans son article L’abysse du masculinisme, il est désolant de voir le mot « masculinisme » associé avec celui de l’antiféminisme, mais c’est la couverture sous laquelle les partisans de ce dernier se cachent et se complaisent. C’est indéniable, les antiféministes, protégés par un mouvement initialement noble, viennent aujourd’hui teinter tous les combats pour leur donner une toute nouvelle couleur. Deux enjeux relatifs à cela gravitent autour du même thème : le corps.

Le rapport au corps

L’une des fins du féminisme serait, il me semble, l’appropriation du corps qui nous a été attribué. Dans un désir de désobéissance aux codes culturels, les féministes se réapproprient ce corps que les antiféministes ne sauraient voir. Les cartes ainsi brouillées, les codes désignant respectivement les hommes et les femmes ne faisant maintenant qu’un, certains individus, ne sachant plus sur quel pied danser, se mettent en colère et rétorquent à ces désirs avant-gardistes qu’ils ne comprennent pas. Le désir d’affirmation de la virilité chez certains hommes s’en voit donc renforcé, et c’est dans cette posture que s’enracine l’argumentaire antiféministe. Ainsi, Yvon Dallaire, psychologue, qualifie une masculinité de « saine » lorsqu’un homme présente des caractéristiques physiques et psychologiques telles qu’une forte libido ou du charisme, et de « malsaine » lorsqu’il se montre timide et émotif. Au-delà du contenu des articles antiféministes, ces derniers sont souvent ornés d’une image révélatrice, tantôt d’une femme tenant un fouet, tantôt d’un bras de fer entre un homme musclé et un autre sans musculature très apparente. Conséquemment, il est juste de dire que cette appropriation du corps dérange les antiféministes qui tentent un « retour aux sources », un retour au pouvoir symbolique de l’homme dans la société et sur la femme.

L’enjeu du rapport au corps concerne donc non seulement les femmes, mais aussi les hommes qui voient d’anciennes contraintes sociales et culturelles renaître de leurs cendres. Ainsi, cette réaffirmation d’une « virilité ultime » nous concerne tous.

Une liberté qui dérange

Outre le recentrement masculin et les rectifications concernant la virilité chez l’homme d’aujourd’hui, ce désir de retour « au bon vieux temps » se ressent dans les interactions entre homme et femme et dans les désagréments qu’entraînent les libertés sexuelles et sociales des femmes. On peut ici parler de slut shaming lorsqu’il s’agit de juger une femme sur la base de son activité sexuelle. Malheureusement, ce phénomène connaît de la popularité, et ce chez les individus de tous genres. Les femmes se jugent entre elles par rapport au nombre de partenaires sexuels, à la nature de leur relation avec leur·s partenaire·s, bref toutes les raisons semblent bonnes pour critiquer ouvertement une femme libre sexuellement. Il va sans dire que certains hommes adhèrent à ces mêmes critiques. On voit bien, dans ce genre de situation, la généralisation du désir de retour à des traditions sexuelles rassurantes et auparavant bien ancrées dans les relations interpersonnelles. Les antiféministes nourrissent avec plaisir ce double standard sur la liberté sexuelle et minent ainsi la crédibilité féministe si laborieusement acquise au fil des années. C’est aussi dans cette optique que les revendications féministes deviennent des armes pour l’antiféministe du dimanche.

Dans un désir de désobéissance aux codes culturels, les féministes se réapproprient ce corps que les antiféministes ne sauraient voir 

Masculinisme et féminisme

Il semble révoltant de se battre pour quelque chose d’aussi naturel que la liberté et la sécurité de nos corps, ou plus simplement pour nos droits sur celui-ci. Il est extrêmement difficile de croire qu’après tout le chemin parcouru, nous en sommes toujours, en quelque sorte, au point de départ. Pourtant, il faut y croire et y penser toujours, puisqu’un seul moment de stupeur semble suffisant pour laisser les idées reçues et les doubles standards prendre le dessus sur nos victoires. Je mets ici en lumière les exemples les plus frappants, et bien que mon but ne soit évidemment pas de provoquer une haine envers le mouvement masculiniste ou de la misandrie, il faut parfois être rudement secoué pour mieux avancer.

La quatrième vague de féminisme en est une sans répit, les réseaux sociaux ne dorment jamais, et les avancées du féminisme se retournent contre les femmes lorsqu’elles se retrouvent entre les mains d’antiféministes. Le monde sert de scène a bien d’autres combats incluant les hommes, et les hommes souffrent aussi de plusieurs maux, mais dire que les femmes et le féminisme font partie des éléments déclencheurs de ces maux est non seulement faux, mais enlève de la crédibilité à une noble bataille. De même que pour le masculinisme qui perd lui aussi, nécessairement, des lettres de noblesse lorsque les antiféministes greffent à lui les trop nombreuses idées qui sont les leurs, il nous faut prendre garde. La force et les techniques utilisées par ces antiféministes semblent résider dans l’apposition excessive d’étiquettes et l’accusation. Il s’agit d’une technique efficace dans la mesure où elle attire un large public indifférencié cherchant à décomplexer une vision du monde réprimé par les féministes. Malheureusement, pointer du doigt n’a jamais réglé quoi que ce soit, et c’est le piège dans lequel les féministes et les masculinistes doivent bien se garder de tomber. 


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