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Entrevue avec Clémentine Langlois, candidate de France Insoumise (FI)

Cinquième volet des rencontres du Délit avec des candidat·e·s à la circonscription des français·e·s établi·e·s en Amérique du Nord.

Webmestre, Le Délit | Le Délit

Le Délit : Est-ce-que vous pouvez vous présenter rapidement ?

Clémentine Langlois : Je m’appelle Clémentine Langlois, je suis installée avec mes filles et mon mari à Ottawa.

J’ai commencé par faire des recherches sur les nouvelles technologies et leur impact social, économique, etc. J’étais spécialisée sur les rapports Nord/Sud. J’ai fait des études en France et à Southampton en Angleterre.

À partir de là, j’ai rencontré beaucoup de monde dans le domaine du logiciel libre, et je me suis orientée vers cette nouvelle culture : je m’y suis lancée à corps perdu en montant différents groupes et associations. Assez rapidement, il est apparu que je devais pouvoir maîtriser les nouvelles technologies. J’ai donc fait une formation à Paris en développement des applications. Cela m’a permise d’être directrice de projet, de programme, consultante, etc.

Et puis, j’ai eu l’impression de m’être un peu perdue. En voyant ce qui se passe dans le monde — je pense notamment au changement climatique — je me suis rendue compte que je me fourvoyais dans mes projets. J’ai commencé à me dire qu’il fallait que je revienne plus activement vers ce que je voulais à la base : la transformation numérique, l’économie collaborative, etc.

J’ai donc créé une société qui promeut ce genre de choses au sein des entreprises. Nous développons des logiciels libres en Afrique avec une association que j’ai créé qui s’appelle « Fongwama » ce qui veut dire « s’ouvrir » en lingala. Nous faisons donc des applications mobiles au Congo avec des Congolais. Nous rendons plus accessible l’éducation sur la santé. Par exemple, le premier programme concernait la lutte contre le paludisme.

De là, je me suis dit qu’il fallait que l’on traite le sujet des enfants réfugiés. Il faut savoir qu’en Afrique, comme ailleurs, il y a des enfants réfugiés qui sont martyrisés psychologiquement. Nous sommes en train de travailler sur une application qui permettra d’évaluer le niveau de stress post-traumatique des enfants.

Toute cette démarche a été faite en parallèle à mon investissement dans le mouvement de Jean-Luc Mélenchon. Je participais à des réunions dans le 15e arrondissement de Paris, où on se disait qu’il faut que l’on réussisse à renouveler notre démocratie. Dès que la campagne « France insoumise » a été lancée en 2015, nous nous sommes investis. J’ai créé le groupe d’appui de Paris XVe avant de faire la même chose à Ottawa.

 

LD : Quels sont les plus grand défi des expatriés français ?

CL : Le premier qui me vient à l’esprit — parce que c’est le plus important et que je le vis tous les jours — c’est l’éducation. Permettre aux Français de l’étranger d’avoir accès au lycée français à des coûts abordables n’est pas toujours facile : aujourd’hui, le lycée français de New York coûte 32 000 dollars par an. L’objectif de la France insoumise c’est de subventionner et de développer le réseau des établissements français. Il y en a 55 en Amérique du Nord.

Il y a aussi le développement de la culture. Au Québec, ça peut paraître simple, mais avoir accès à une bibliothèque francophone n’est pas donné partout. Il faut promouvoir des bourses de recherche, les échanges, et solidifier les alliances. En réalité, l’investissement n’est pas si lourd que ça. Cela demande juste un peu de stratégie et une vision à long terme. Il faut comprendre que le programme de la France insoumise, c’est du bon sens. Quand on le lit on se rend compte qu’il n’y a rien de clivant : tout le monde peut y adhérer.

 

LD : Quels sont les trois grands axes de votre programme ?

CL : Le cœur de notre projet c’est l’humain et l’écologie : c’est l’homme dans son milieu. Le programme de L’avenir en commun n’est pas une vision linéaire ; au contraire, c’est une vision croisée. Chaque proposition prend en compte l’humain et l’environnement.

Articulé à cela, il y a les trois valeurs de la France que sont la liberté, l’égalité, et la fraternité. On a tendance à oublier les deux derniers. Quand on regarde les programmes politiques on se rend compte qu’ils sont principalement axés sur le libéralisme ils font fi de l’égalité des chances et de la fraternité entre tous.

 

LD : L’impossibilité de faire une candidature commune à gauche a été très médiatisée pendant les présidentielles. Parfois, on a l’impression que la gauche est divisée à outrance et que, finalement, ces factions sont d’accords sur l’immense majorité des thèmes. Quelle est votre analyse de l’état de la gauche française aujourd’hui ?

CL : Je vais peut-être faire grincer un peu les dents, mais pour moi, il n’y a qu’une seule « gauche française » aujourd’hui : elle se regroupe globalement autour de Jean-Luc Mélenchon. La seule politique de gauche qui soit vraiment affichée et qui sera soutenue à l’Assemblée nationale c’est la politique de la France insoumise.

Aujourd’hui, le PS est largement intégré dans la logique macronniste, qui est une politique d’austérité, de réduction du service public et qui promeut plutôt la financiarisation du monde. Ça n’est pas vraiment une logique de gauche.

Ce que je ne comprends pas c’est le positionnement de Hamon. Entre ce qu’il dit et le milieu dans lequel il vit, il y avait un monde. Au sein du PS, il était totalement isolé. D’une certaine manière, il a préféré son positionnement politique à ses valeurs républicaines.

 

LD : Qu’est-ce que vous dites à ce groupe qu’on peut appeler « les frondeurs » ? Est-ce que vous leur demandez de venir vers la France insoumise, quitte à lâcher le PS ?

CL : Oui. France insoumise ou autre chose, mais j’aimerais les voir revenir vers un programme réellement de gauche. Je ne veux pas qu’il y ait de négociations, de retrait de certains aspects du programme pour les remplacer avec d’autres politiques. J’aimerais un rapprochement vers une vraie force de gauche qui croit en ce qu’elle dit.

De manière générale, je pense que les Français en ont marre de voir des gens qui négocient simplement pour des intérêts personnels alors qu’il y a énormément de choses à faire.

 

LD : Mélenchon a beaucoup fait parlé de lui depuis le premier tour. Entre sa réaction aux résultats, son parachutage à Marseille, ou encore son tweet au lendemain de l’attentat de Manchester, certains disent qu’on a retrouvé le Mélenchon agressif et désagréable de 2012. A‑t-il mal géré sa communication post-électorale ?

CL : Jean-Luc Mélenchon est quelqu’un de vrai. C’est quelqu’un qui parle avec son cœur et qui voit tous les jours la réalité des inégalités sociales. C’est quelque chose qui, effectivement, peut déborder. Aucun être humain ne peut rester impassible devant tant de misère.

 

LD : Donc c’est en réaction à la misère du monde que Mélenchon peut sembler un peu énervé ?

CL : C’est le fait de ne pas être entendu, de se confronter systématiquement au pouvoir de l’argent. Il réagit non pas comme un politicien, mais comme un être humain qui est fatigué par une longue et difficile campagne.

 

LD : La campagne France insoumise s’est distinguée largement des campagnes classiques par l’implication active de ses militants. Un jeu vidéo été créé, Mélenchon avait la chaîne politique la plus regardé de YouTube, bref, on sentait qu’une communauté vivante s’organisait. Quel est son avenir ? Comment faire pour que cela ne s’essouffle pas au lendemain des législatives ?

CL : C’est tout simplement en votant pour la France insoumise et en faisant en sorte qu’il y ait au moins 289 députés pour qu’on puisse mettre en place ce programme qui a été co-rédigé par des milliers de personnes.

 

LD : Mais la chose intéressante avec la campagne de Mélenchon c’est qu’elle était imprégnée de la société civile. Il y avait un mouvement du bas vers le haut. Est-ce que vous êtes en train de me dire que la seule façon de conserver cela c’est de faire entrer cette société civile à l’Assemblée ? Si on n’arrive pas le faire, elle s’essouffle ?

CL : Non. Il y a aussi beaucoup de combats qui sont à mener tous les jours. On va mettre en place une plateformes collaboratives, ainsi que des outils de type mobile, pour que tous les citoyens puissent interagir, réclamer des droits, et mettre la pression sur le gouvernement pour que l’on puisse sortir des l’ornières sur un certain nombre de sujets.

 

LD : Le programme de France insoumise prévoit de faire payer aux Français de l’étranger la différence entre leur taux d’imposition dans leur pays d’accueil, et le taux qu’ils auraient payé s’ils étaient restés en France. Certains trouvent ça injuste : ils ne sont pas en France et ne bénéficient donc pas des mêmes services sociaux. Pourquoi pensez-vous que c’est justifié ?

CL : Avant tout, l’idée du programme, c’est de dire « les Français sont des Français ». Ils ont de facto des droits équivalents — en tout cas, c’est ce que nous souhaitons. C’est ce que nous essayons de faire en investissant dans l’éducation, ou en créant un réseau consulaire plus proche. Tout ça à un coût.

Mais il faut s’avoir qu’à la base, l’impôt différentiel n’était pas ciblé vers les Français de l’étranger mais plutôt vers les évadés fiscaux. D’autant plus que le programme de L’avenir en commun prévoit 14 tranches d’imposition au lieu de cinq. La quasi-totalité des Français de l’étranger n’auront pas à payer un euro de plus. Seuls les très, très, hauts revenus auront à payer une cotisation ; mais c’est à partir d’environ 190 000€ par an qu’on est concerné.

Évidemment, les opposants politiques caricaturent ce sujet à des fins électoralistes.

 

LD : Le programme économique de Hamon proposait un revenu d’existence ainsi qu’une taxation des robots, suggérant ainsi l’instauration d’une vision plus moderne du travail. À l’opposé, la France insoumise se base sur une relance keynésienne traditionnelle. Est-ce qu’il y a aujourd’hui deux gauches en France ? Si oui, est-ce que vous n’êtes pas héritière de la tradition de gauche qui n’est plus d’actualité ?

CL : On ne peut pas dire qu’il y ait deux gauches. Il y a un individu, Benoît Hamon, qui propose des choses au sein d’un parti qui n’est pas du tout d’accord avec ce qu’il dit. Il n’y a bien qu’une seule gauche.

Après, sur le côté moderne, au contraire ! La France insoumise n’est pas passéiste, elle est plutôt tournée vers l’avenir. Elle propose un modèle économique qui est éco-responsable. Le fait de parler de robots ne rend pas le programme de Benoît Hamon moderne. Nous, de notre côté, on parle d’économie collaborative et circulaire : c’est très moderne. Nous proposons de redéfinir la façon dont on voit nos structures sociales : c’est une autre façon d’imaginer le vivre ensemble.

 

LD : Le contexte social et philosophique de l’Amérique du Nord diffère énormément de celui de l’Europe. Des concepts tels que l’appropriation culturelle ou la discrimination positive sont largement discutés ici. Pensez-vous qu’ils soient compatible ou souhaitable avec la société française ?

CL : Les personnes qui forment le mouvement de la France insoumise n’ont pas une vision arrêtée des choses. Toutes les idées qui peuvent faire avancer les choses sont bonnes à prendre. Nous n’avons pas de philosophie fermée, si ce n’est que le programme doit être tourné vers l’humain, la responsabilité écologique, et qu’il doit conserver nos valeurs « liberté, égalité, fraternité ». Si il y a des choses dans d’autres pays qui nous semblent bonnes et qui sont en accord avec ses valeurs, alors, oui, nous sommes prêts à y réfléchir.

 

LD : Certaines personnes disent que le programme économique du Front National et celui de France insoumise sont très similaires. Que leur répondez-vous ?

CL : Ce sont vraiment de mauvaises langues. Il est plus facile de caricaturer les gens que de réfléchir ou de penser différemment une société. C’est là le sujet de notre programme. Il demande de la réflexion et de la lecture.

Depuis des années nous nous battons contre le Front National. C’est grâce à Jean-Luc Mélenchon que l’on peut aujourd’hui dire que Marine Le Pen est une fasciste. Les personnes qui sont aujourd’hui dans la France insoumise n’ont rien à voir avec les personnes qui sont au Front National. C’est une opposition franche : nous n’avons rien à voir avec eux.

 

LD : Par rapport à l’Union européenne et à l’euro : est-ce que vous pouvez clarifier ce que vous, en tant que députée, voudrez voir être approuvé par l’Assemblée ?

CL : La logique de la France insoumise est la suivante : nous voulons une Europe de la paix. Il faut qu’elle respecte l’ensemble des cultures, il faut qu’elle soit sociale, etc. Nous ne sommes donc pas contre l’Europe.

Là où nous sommes contre, c’est quand l’Europe est dirigée par une banque centrale complètement indépendante des États, gérée par des grandes entreprises, et qui impose une austérité qui n’a aucun sens.

 

LD : Et donc ce fameux « Plan B » [la sortie de l’U.E., ndlr] de Mélenchon ? Quand est-ce qu’on l’enclenche ?

CL : Ce que dit Mélenchon est assez simple : il veut une Europe qui continue, mais une Europe de la paix. Les Français sont parfois un peu trop pessimistes sur leurs propres capacités. L’Europe sans la France, ce n’est pas possible. Si Jean-Luc Mélenchon arrive face à Merkel en lui disant « Je veux négocier » la discussion aura été ouverte.

 

LD : Donc le « Plan B » était une sorte d’épouvantail politique pour asseoir son autorité ?

CL : Évidemment ! Mais ça ne peut pas se présenter comme ça. Lorsque l’on est un dirigeant politique et que l’on veut mener une discussion de ce niveau avec ses partenaires on ne peut pas dévoiler ses cartes avant même de commencer !

 

LD : Est-ce que vous connaissez bien Montréal ?

CL : De mieux en mieux en tout cas !

 

LD : Que pensez-vous du gouvernement qu’Emmanuel Macron et son premier ministre Édouard Philippe ont annoncé ?

CL : C’est surtout un gouvernement de transition avant les législatives. C’est refaire du neuf avec du vieux, en mettant une bonne couche de peinture.

 

LD : Aujourd’hui on voit, en France comme ailleurs, un rejet des partis traditionnels. Est-ce que cette dynamique et positive ? À quoi vous l’attribuez ?

CL : Je pense que c’est super positif. C’est toute la société civile qui se lève, et qui veut s’engager. C’est un mouvement collectif : je trouve ça très bien.

Ça se voit dans les sondages : 80 % des Français sont en faveur d’une sixième république. À terme, c’est sûr qu’elle sera mise en place. Ces personnes de tous âges veulent une nouvelle république, plus participative, plus démocratique, plus citoyenne.

 

LD : Justement, cette sixième République, qu’apporte-elle aux Français de l’étranger ?

CL : Pour les Français de l’étranger, elle permet de participer plus activement dans la vie démocratique de la France. Les Français de l’étranger sont les premiers s’intéresser à la vie politique de leur pays : ils se sentent loin, et ont envie de s’impliquer. Cette sixième république accroît leurs droits de citoyens et permet plus d’échange.

On voit qu’il y a un collectif fort, une envie de participer. Malgré le fait que les gens soient partis depuis longtemps, ils restent français.

 

Les élections des français·e·s en Amérique du nord auront lieu les 3 et 17 juin 2017.


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