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Le journalisme d’enquête mis à mal

Entrevue avec Alain Saulnier sur les enjeux des récents scandales. 

Mahaut Engérant | Le Délit

Journalistes épiés par les autorités policières, coup de téléphone de la classe politique à des chefs de police, le Québec n’a pas eu très bonne presse à l’international dans les dernières semaines et pour cause, le journalisme d’enquête s’est fait donner des coups « là où ça fait mal ». Le Délit s’est entretenu avec Alain Saulnier, l’ancien directeur général de l’information de Radio-Canada (SRC) et instigateur de l’émission Enquête, pour revenir sur les événements. 

« Il y a une période que j’appelle « l’âge d’or » du journalisme d’enquête au Québec », celle de 2009 à 2013, débute Saulnier. Les journalistes se défiaient les uns les autres, mais sans jamais se dénoncer. Ils agissaient comme une confrérie et travaillaient pour l’intérêt du public ». L’ancien radio-canadien évoque une époque où les dévoilements de scandales se multipliaient. Une époque où les nouvelles sur la corruption au sein des municipalités et la collusion dans le monde de la construction faisaient régulièrement les manchettes.

« Ce qui est malheureux c’est d’apprendre que pendant ce temps, la police nous surveillait ». En effet, on apprenait au début du mois que le Service de police de la ville de Montréal (SPVM) a obtenu tous les relevés téléphoniques des journalistes de l’émission Enquête depuis 2008. Une demande qui fait réfléchir sur la relation entre journalistes et policiers. « Nous [les journalistes] ne sommes pas des amis de la police, on cohabite. Et comme nous avons fait un travail d’enquête qu’elle ne faisait pas, il y a eu collision », poursuit Saulnier. 

À l’encontre des droits et libertés

Les journalistes d’enquête ont toujours été bien au fait de la nécessité de protéger leurs sources et leurs recherches en raison de potentielle surveillance policière. Toutefois, les récentes révélations de « l’affaire Lagacé » témoignent d’un niveau d’espionnage plus important qu’anticipé. « J’ai été surpris d’apprendre qu’il y avait eu de l’écoute de notre travail de la part des policiers. Pour moi le scandale c’est cette permission de nous épier donnée aux autorités par la Cour », confit l’ancien directeur de l’information de la SRC.

Il serait donc là le problème. « Comment les policiers ont-ils justifié un tel besoin de surveillance ? Je crois que la population n’est pas encore au courant de la gravité des événements et de leur potentielle illégalité. Si les policiers ont menti, c’est un parjure. » 

Selon Saulnier, un autre aspect de cette histoire sur lequel politiciens et juristes devraient se pencher est celui des compagnies de téléphonie cellulaire. « Est-ce normal qu’il soit aussi facile d’obtenir des informations personnelles sur des individus ? Que ces entreprises participent à la surveillance citoyenne ? Tous ces acteurs sont complices d’un acte qui va à l’encontre des droits et libertés ».

L’héritage Lagacé

Un semblant de lumière a donc été fait sur une culture malsaine au sein des institutions judiciaires, mais aussi politiques. « Ce n’est pas normal qu’un politicien comme Denis Coderre appelle directement le chef de police de Montréal », remarque Saulnier en faisant référence à un événement survenu en 2014 alors que le maire de Montréal avait contacté le patron du SPVM pour se plaindre d’une potentielle fuite d’informations à son sujet au chroniqueur Patrick Lagacé. 

À la suite de ces révélations, quels changements pour la pratique du quatrième pouvoir ? « L’épisode que l’on vient de vivre représente une occasion pour les journalistes d’enquête de peaufiner leurs méthodes de travail, de mieux protéger leurs sources », soutient le journaliste. Cependant, l’héritage de « l’affaire Lagacé » est surtout constitué de nouveaux obstacles : « maintenant beaucoup de sources ne vont plus parler. Du moins, on vient d’échauder leur enthousiasme à le faire, c’est certain ». 

Espérons que l’enthousiasme des journalistes à continuer de faire leur travail ne soit lui non pas échaudé, mais échauffé. 


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