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Vers la troisième révolution industrielle

Le cri du cœur de Jeremy Rifkin à l’humanité.

Mahaut Engérant | Le Délit

Le nom de Jeremy Rifkin, pour les adeptes de cette discipline qu’est l’économie, en est un qui soulève une variété d’opinions. Si certaines des critiques sont assez féroces, lui reprochant un manque de rigueur scientifique, on ne peut nier que M. Rifkin a su se bâtir une renommée dans la communauté internationale comme l’un des experts de l’économie sociale les plus respectés. 

C’est partiellement en raison de ce renom que le premier ministre Philippe Couillard, ainsi que l’équipe organisatrice du Forum des idées pour le Québec ont jugé bon d’inviter M. Rifkin à s’adresser aux participants. Cette conférence dont la 4e édition s’est tenue les 23, 24 et 25 septembre derniers à Saint-Lambert avait comme thème les politiques sociales du 21e siècle. M. Rifkin a longuement parlé des changements industriels et technologiques qui amèneraient notre planète vers la prochaine ère. Plus urgemment, il a souligné l’importance d’adapter nos économies et nos marchés à ce changement, afin de combattre le réchauffement climatique et d’assurer la survie de l’espèce humaine.

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Mahaut Engérant | Le Délit

Crépuscule de la deuxième révolution industrielle

S’adressant à la salle via vidéoconférence en direct de l’Espagne, M. Rifkin a parlé pendant plus d’une heure. Il a d’abord débuté avec une perspective historique, expliquant que chaque révolution industrielle fut accompagnée d’une innovation en matière de communication, d’énergie et de transport. C’est la combinaison de ces trois types d’innovations qui permet d’enclencher une révolution industrielle. La première, au 19e  siècle, est venue avec l’invention de l’imprimerie à vapeur, le charbon et la locomotive à vapeur. La deuxième, au 20e siècle, fut due à l’invention de la radio et de la télévision, et au moteur à combustion. 

Cette deuxième révolution industrielle est, selon Rifkin, bel et bien terminée. En effet, si elle a permis de projeter les industries vers le futur, son temps est maintenant révolu. Pourquoi ? En raison du plafonnement de son efficacité énergétique agréée. Rifkin raconte que, suite à l’élection d’Angela Merkel comme chancelière de l’Allemagne, il l’aurait prévenue que la meilleure façon d’assurer la pérennité économique de l’Allemagne serait de maximiser son efficacité énergétique. Tout simplement, il s’agit de minimiser son entrée d’énergie et maximiser le rendement énergétique. Rifkin cite le Japon comme le pays ayant atteint la plus haute efficacité énergétique : 20%. Même si ce chiffre est une conséquence du miracle économique japonais, Rifkin affirme qu’il est une sorte de plafond dans l’ère industrielle du 20e  siècle. Pour passer ce seuil, il faut regarder vers une autre révolution…

Maintenant, la troisième

Alors que le pétrole, les automobiles et les appareils électriques ne sont plus novateurs, Rifkin parle désormais de la troisième révolution industrielle. Comme on peut en douter, cette nouvelle révolution est partie d’Internet. Effectivement, Rifkin parle d’un Internet de la communication, l’Internet de l’énergie et l’Internet du transport. Combinés ensemble, ces trois éléments constituent ce que Rifkin baptise « l’Internet des choses ».

L’économie du coût marginal zéro

Cette troisième révolution industrielle donnera évidemment naissance à une nouvelle ère économique. En théorie économique, le coût marginal est le prix qu’une firme doit débourser pour produire une nouvelle unité de vente. Normalement, il s’agit d’un coût important à considérer pour les compagnies dans la production de leurs produits. Cependant, dans cette nouvelle ère technologique de l’Internet Rifkin fait réaliser que notre économie se transforme rapidement en un environnement dans lequel le coût marginal est de zéro. 

Prenons en exemple les industries du jeu vidéo et de la musique. En octobre, la compagnie Electronic Arts (EA,  ndlr) lancera son nouveau jeu de tir à la première personne Battlefield 1. Ce jeu, tant attendu par les consommateurs, sera vendu en copie physique sur un disque en magasin et en ligne sur différents magasins digitaux. Pour chacune des copies physiques mises en marché, EA devra encaisser un coût supplémentaire, alors que pour les copies digitales du jeu, il n’en coûtera pas plus cher. De façon similaire, un musicien qui produit un album n’aura pas à débourser plus d’argent pour diffuser sa musique à une ou un million de personnes, grâce aux plateformes telles que YouTube, Spotify et Apple Music. C’est ce que l’on appelle le coût marginal zéro.

L’économie de partage

En plus de ce coût marginal zéro, Rifkin n’a pas manqué de parler de l’importance de l’économie de partage. En effet, selon lui, les innovations telles que Uber et Airbnb ont un impact plus que positif. Par exemple, en citant Larry Burns, haut placé chez General Motors, le partage des voitures pourrait éliminer plus de 80% de celles qui se trouvent sur la route.

En vantant l’économie de partage, et en soulignant la signification du coût marginal zéro, Rifkin nous incite à repenser notre façon de voir les économies mondiales. Il affirme que l’économie de partage est le premier nouveau système économique à être mis en place depuis l’ascension du capitalisme et du socialisme. Une véritable révolution.

Le cri du cœur de Rifkin

Devant un auditorium plein au Collège Champlain, en présence du premier ministre Philippe Couillard, Rifkin a su captiver. Dans sa longue intervention, qui a duré plus d’une heure, Rifkin a interpellé jeunes et moins jeunes. Et l’auditoire en a fait de même en période de questions. En réponse à ces questions, Rifkin dit que le capital social, outil  que le Québec a historiquement toujours bien utilisé, serait le moteur de cette révolution, plutôt que l’État-nation. Également, Rifkin a réitéré l’importance de se concentrer sur des initiatives locales, alors que l’on va de la globalisation à la glocalisation (mot valise de globalisation et localisation, ndlr).

Dans son plaidoyer, Rifkin n’a pas hésité à affirmer la chose suivante : d’ici huit décennies, nous allons perdre plus de 50% des formes de vie sur Terre. Selon lui, cela représente la sixième ère d’extinction de l’Histoire. Ceci peut paraître assez alarmiste pour certains, mais le discours de Rifkin était de nature plutôt rhétorique. Cependant, il a aussi partagé des statistiques assez inquiétantes pour faire passer son message. L’économiste américain a été clair : il faut vite adapter nos économies et nos marchés à la nouvelle révolution industrielle, ou notre civilisation pourrait être en danger. La balle est dans notre camp. 


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