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Le règne du nombre

Une critique des classements universitaires mondiaux.

Esther Perrin Tabarly

Alors que des millions de finissants bouclent leurs dossiers d’inscription à l’université pour la rentrée prochaine, chacun d’entre eux établit un classement personnel de préférences. Si les postulants aux universités canadiennes ne sont pas tenus d’en faire un officiellement, dans certains pays où les candidatures sont centralisées, comme la France ou le Royaume-Uni, les futurs étudiants doivent hiérarchiser leurs choix. Véritable casse-tête, à un âge où l’on doit décider de son avenir. 

Pour les y aider, différentes institutions proposent des classements  nationaux et internationaux d’écoles et universités : les plus discutés dans les médias sont le classement de l’université Jiao Tong de Shanghai, le classement du Times Higher Education (THE) et, au Canada, celui du magazine Maclean’s.

De ces classements, tout a été dit : leurs critères sont partiaux et réducteurs ; ils classent des institutions très différentes, donc incomparables ; dans certains cas, la recherche se fait en grande partie en dehors des universités, comme c’est le cas en France, et n’est donc pas prise en compte. Et pourtant, chaque année, ces classements sont attendus avec impatience par les étudiants, les dirigeants d’universités et les investisseurs — philanthropes, industriels. Les politiques en font un moyen de jauger l’efficacité ou non de leur politique d’enseignement, qui a parfois pour objectif avoué d’améliorer la position des institutions nationales dans ces classements. Il ne s’agit pas de nier l’importance de ces derniers mais d’en interroger les critères, au lieu de crier sur tous les toits que l’Université McGill est première dans le classement Maclean’s — et s’en vanter — en oubliant de mentionner qu’elle est derrière l’Université de Toronto et de l’Université de Colombie-Britannique dans le classement de Shanghai. Quelle pertinence, alors, dans ce genre d’exercice ? Penchons-nous sur le plus célèbre d’entre eux, le susmentionné classement de Shanghai. 

Esther Perrin Tabarly

Shanghai à la loupe 

Le classement de Shanghai comporte six critères, les quatre premiers comptant pour 20% chacun, les deux derniers se partageant les 20% restant. Il prend en compte : le nombre de prix Nobel ou de médaille Fields dans le corps professoral, le nombre de chercheurs de l’institution qui figurent parmi la liste des auteurs les plus cités de la base de données Thomson Reuters, Web of Science, le nombre d’articles publiés dans les revues Nature et Science, le nombre total d’articles recensés dans le Web of Science, le nombre d’anciens étudiants ayant reçu un prix Nobel ou une médaille Fields, et un ajustement des critères précédents selon la taille de l’institution.

Que remarque t‑on, à la vue de ces critères ? D’abord, il y a une primauté, pour ne pas dire un diktat, du nombre. Quid de la qualité de ces recherches, si l’on n’évalue que la somme d’articles produits ? Le phénomène de citation et la prise en compte de certaines reconnaissances viennent nuancer la dimension quantitative du classement, mais il y a d’autres problèmes. Le classement de Shanghai fait la part belle aux sciences exactes en basant 40% de son évaluation sur le Web of Science de Thomson Reuters, compilé à partir d’une dizaine de bases de recherche dans le domaine des sciences — une seule des ces bases prend en compte les publications en Arts. Aussi, 20% de son évaluation est basée sur le nombre de publications dans deux revues différentes : la revue américaine Science et la revue britannique Nature. Elles font, certes, figures de référence dans le champ académique, mais ne prendre en compte que deux revues de sciences exactes semble assez dérisoire pour établir un classement mondial. Vouloir améliorer la position de son institution dans le classement de Shanghai reviendrait alors à faire publier plus d’articles dans ces deux revues. On voit l’absurdité d’un tel critère. N’oublions pas non plus que ce sont deux revues de langue anglaise : que faire des recherches dans d’autres langues ? Le classement de Shanghai n’en fait rien du tout, préférant laisser de côté cette question de la langue, d’où la part belle réservées aux universités anglo-saxonnes.

On l’aura compris : les classements internationaux prétendent comparer des institutions qui n’ont pas grand chose en commun. C’est le problème de ces classements mondiaux, qui font du milieu universitaire un espace de compétition à l’échelle de la planète, calqué sur le modèle du commerce. Surtout, l’analyse des critères montre l’impertinence de telles hiérarchies quand on en vient à choisir l’université dans laquelle on aimerait étudier.


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