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Accueillir les réfugiés, une tuque à la fois !

Entrevue avec Danielle Létourneau, la fondatrice de 25 000 tuques.

Créationeven.ca

Il est des situations où la médiocrité ne suffit plus, où les « J’aime » et les « partages » sur les réseaux sociaux ne veulent plus rien dire. Depuis le début des hostilités en Syrie, selon les Nations Unies, plus de 4,5 millions de personnes on étés contraintes de fuir leurs domiciles. Que leurs apporterons nos « J’aime » et nos « partages » ? Strictement rien. Face à cette crise sans précédent et l’apathie généralisée, des hommes et des femmes d’exceptions sont sortis de l’ombre pour nous prouver que la bonté humaine existe encore. Faciliter l’accueil des réfugiés syriens au Canada, c’est la mission que s’est donnée Danielle Létourneau avec l’initiative 25 000 tuques. 

Mahaut Engérant

Le Délit (LD): Parlez nous un peu de vous…

Danielle Létourneau (DL): Je suis une scriptrice d’émissions jeunesse qui cumule de nombreuses années d’expérience en improvisation théâtrale à la LNI (Ligue Nationale d’Improvisation). Ma sœur, qui vit en Serbie — et avec laquelle je communique souvent — m’a permise de voir différemment les échos de la guerre et d’avoir une autre perspective sur les enjeux des réfugiés en Europe. 

LD : Comment vous est venu l’idée de 25 000 tuques ?

DL : Par colère ! Au moment de l’idée, une pétition de 25 000 signatures pour faire reculer notre gouvernement (d’accepter d’accueillir des réfugiés syriens, ndlr) circulait. Je cherchais donc un moyen de faire du bénévolat et mes amies et moi avions des projets de soirées tricot. Par un beau mercredi soir, le 18 novembre 2015, les « fils se sont touchés » et les trois idées se sont arrimées. À ce moment-là, je n’avais nullement l’ambition de tricoter 25 000 tuques. Toutefois, j’ai utilisé ce nombre pour que l’appel soit clair : une riposte à l’appel pour 25 000 signatures contre l’arrivée des réfugiés et une réponse au 25 000 réfugiés qui allaient arriver. 

LD : Quels sont les enjeux auxquels vous et votre organisation avez dû faire face ?

DL : Comme il ne s’agit pas d’une organisation officielle mais bien d’un mouvement citoyen, ce n’est pas facile d’appuyer les efforts des gens sans les « organiser ». Pourtant, c’est bien ce qu’il y a de plus beau : une idée qui rassemble les gens sans les diriger ni les obliger. Dès le départ, pour éviter ça, j’ai demandé qu’on refuse les transactions en argent, les dons et les personnes associées à des organisations officielles avec des affiliations politiques ou religieuses. Pour éviter ça, nous avons donc fait appel à un ami sociologue à qui nous soumettions les propositions des organismes qui voulaient nous aider. Seule la Croix Rouge, les Canadiennes (une équipe de joueuses de hockey féminine bénévoles) et quelques rares autres ont passé le test jusqu’à présent. 

LD : Comment avez-vous surmonté ces difficultés ?

DL : En consultant des gens et en étant prudente (rires)!

LD : Combien de personnes avez-vous réussi à mobiliser jusqu’à présent ?

DL : C’est impossible à dire. Il y a des groupes partout à travers le Canada. Notre page Facebook est peut-être un bon indicateur ? On avoisine les 11 000 « J’aime » ! Plus de 7 000 tuques ont déjà été fabriquées, nous en recevons d’Israël, d’Italie et beaucoup des États-Unis. De plus, nous sommes aussi amis avec un groupe de tricoteuses de Belgrade qui nous a découvert par le biais de Facebook et plus encore ! 

LD : Quelle est votre plus grande réussite ?

DL : D’avoir rassemblé autant de gens sans leur imposer autre chose que la forme du message. Pour tout le reste, ce sont eux qui décident et font tout ! 

LD : Comment réagissez-vous face aux commentaires négatifs que vous avez parfois reçus sur les réseaux sociaux ?

DL : Il n’y en a pas eu tant que ça. J’ai rarement besoin de réagir moi-même, les gens se parlent entre eux. Si j’émettais moi-même une réserve, face au mouvement, c’est qu’on peut avoir l’air de se donner bonne conscience en posant un geste symbolique, qui n’est pas aussi efficace que bien d’autres. Quand je me questionne là-dessus, je me dis qu’il faut déjà en avoir une, une conscience, pour se soucier qu’elle soit mauvaise ! En plus, faire une tuque n’empêche pas mieux ! Nos membres qui ont les moyens et le temps pour s’impliquer plus à fond pour aider le font (et pas seulement pour aider les réfugiés). Pour les autres, ceux qui sont débordés et sans moyens, c’est un petit moyen d’agir afin de démontrer leur appui. 

LD : Quelle est la plus grande leçon que vous retenez de cette aventure ?

DL : Il vaut mieux ne pas se taire devant l’inadmissible. Ou encore : nous avons un devoir citoyen de support civil. Exercer la démocratie entre les périodes d’élections, ce n’est pas que « chialer » ! Ça a l’air prétentieux, mais il faut montrer l’exemple à nos gouvernements en posant ce genre de gestes-là !

LD : Est-ce que vous trouvez que le gouvernement fédéral a été trop ambitieux en souhaitant accueillir 25 000 réfugiés d’ici la fin de février ?

DL : C’est possible, le support aux réfugiés après leur arrivé est important et il est possible qu’on manque de bénévoles, de moyens, de ressources. Mais comme le disait une de nos tricoteuses : une guerre est une situation d’urgence. Et en cas d’urgence, il y a un effort supplémentaire à fournir. Dans les Balkans, les nuits sont froides, dans les camps, les jours sont durs. C’est une situation exceptionnelle (l’humanité n’a connu un nombre plus grand de personnes déplacées, sauf durant le Seconde Guerre Mondiale, ndlr). Quand on est conscient de ça, 25 000, ça n’est pas tant que ça. Avec les guerres et le réchauffement climatique (peu importe la cause!), ce qu’on vit en ce moment n’est qu’un entraînement, j’en ai bien peur.

LD : Quels sont les futurs projets de votre mouvement ?

DL : On rêve d’inviter les réfugiés qui ont eu le temps de s’installer à venir tricoter avec nous pour aider le plus grand nombre de gens possible et pour se donner un lieu de conversation. Mon rêve à moi, c’est que quand on aura couvert toutes ces belles têtes qui arrivent chez nous, qu’on se mette à envoyer nos tuques aux belles têtes d’ailleurs qui en ont besoin ! Mon ambition secrète n’est pas de conquérir le monde… c’est qu’on se joigne à notre mouvement ! C’est ambitieux, mais je voudrais que les cercles qui œuvrent se transforment peu à peu en cercles citoyens. Des endroits où l’on pourrait échanger librement sur ce que les civils peuvent faire pour s’impliquer, se renseigner et se soutenir. 

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