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¡Visca Québec i Catalunya lliures !

Une analyse des mouvements indépendantistes en Catalogne et au Québec.

Charlie

Ces derniers mois ont vu la possibilité d’une République catalane indépendante progresser à grands pas. Les récents élans indépendantistes de la population avaient été suivis par une union des deux partis séparatistes (les deux listes « Junts pel Sí », « Unis pour le oui » et la Candidature d’unité populaire, ndlr), qui affirment avoir le mandat pour légitimer la sécession. La victoire de la coalition séparatiste au Parlement de Catalogne a obtenu 47,8% des voix le 27 septembre 2015. Cela lui a assuré 72 des 135 sièges, un résultat au-delà de la majorité absolue. Cette distinction est due à la représentation inégale des diverses circonscriptions régionales, mais elle indique aussi que la majorité de l’électorat ayant participé désire rester en Espagne.

L’événement a été immédiatement suivi par une résolution du parlement régional déclarant « Un Estat Catalá Independent » (« Un État Catalan Indépendant », ndlr), autrement dit, la Catalogne s’est proclamée État souverain.

Suite aux événements, le président du gouvernement espagnol Mariano Rajoy, a déclaré que « La Catalogne ne s’en va nulle part, rien ne va briser le pays ». En effet, la résolution parlementaire a été immédiatement suivie d’une réunion exceptionnelle du Conseil des Ministres qui a accepté la demande d’appel devant la Cour constitutionnelle pour la nullification du décret parlementaire.

Dans son rapport, l’organe consultatif (qui agit avant la Cour constitutionnelle pour réunir toutes les législations nécessaires, ndlr) a suggéré que « les fondements légaux sont suffisants pour contrer la décision du Parlement catalan » car elle « néglige le noyau central de la Constitution en déclarant sa désobéissance à l´État souverain espagnol ». Il est vrai qu’un tel conflit entre l’État fédéral et sa région la plus rebelle n’est pas sans précédents ; cet incident indique néanmoins que la pression politique est montée d’un cran.

Cette tension est difficile à ignorer si l’on sillonne les rues bariolées de Barcelone. En effet,  un homme d’une cinquantaine d’années, qui s’interposait, drapeau levé, à la mairie de Barcelone, brandissant à bout de bras « le rêve commun de son arrière-grand-père et de son grand-père » me disait il y a quelques jours : « Nous, les Catalans sommes exactement comme les Colombiens et les Cubains !». À ce moment là, il est presque irrésistible de renchérir la figure de style par la mention d’une autre population à tendance indépendantiste… Celle du mouvement souverain québécois. Mais les deux régions sont-elles comparables ?

Charlie

Similitudes culturelles

À première vue, le Québec et la Catalogne comportent quelques similitudes. Tout d’abord, les deux sont des régions historiquement indépendantistes faisant partie d’un État fédéral souverain. De plus, les deux régions abritent des communautés linguistiques et culturelles distinctes de leurs fédérations respectives. Leurs différences sont affirmées avec fierté, favorisant un sentiment d’identité nationale.

Par ailleurs, que ce soit Montréal ou Barcelone, les deux régions possèdent une ville cosmopolite, à la fois moderne, multiculturelle, gorgée d’art, de mode et de musique avant-gardiste ainsi que parsemée de quartiers indépendants ou même hipsters.

D’un point de vue économique, il est possible d’avancer que leurs gouvernements régionaux respectifs appliquent un régime fiscal relativement plus paternaliste que les autres régions du même pays. Le Québec et la Catalogne collectent des impôts régionaux plus élevés et ont des services publics plus développés que les autres régions. Les deux entités sont aussi comparables à travers leur succès touristique et économique. C’est ce dernier point, qui, pour certains indépendantistes justifierait leur autosuffisance en tant qu’État.

Quelques parallèles historiques

Quand et pourquoi sont nés les premiers courants indépendantistes en Catalogne ? Les premiers essors séparatistes débutent en 1922 avec la création de l’« Estat Català », un mouvement révolutionnaire critique du pouvoir monarchiste qui réclamait déjà à l’époque la création d’une république indépendante. Curieusement, c’est à la même époque que l’on peut retrouver dans les écrits de Lionel Groulx, un prêtre catholique et nationaliste québécois, une critique de l’autorité de l’empire britannique sur « l’Amérique française ». 

Quelques années plus tard, quand l’Espagne établit la Deuxième République en 1931, la région reçoit des concessions du gouvernement central pour s’auto-administrer à travers la « Generalitat ». Ceci résout temporairement le conflit régional, et réconcilie les deux partis. Quand la guerre civile éclate en 1936, la Catalogne se bat pour préserver une Espagne républicaine face au coup d’état franquiste. La victoire du dictateur Francisco Franco renforce l’unité nationale et restaure l’hégémonie des valeurs traditionnelles en Espagne. Ceci réduit à la fois l’autonomie de la « Generalitat », et donne naissance à nouveau au mouvement indépendantiste. 

Aujourd’hui la Catalogne reste déconnectée de certaines valeurs traditionnelles et des influences catholiques toujours très présentes dans le reste de l’Espagne.

Quelques années plus tard, après la Deuxième Guerre mondiale, des échos anticolonialistes prennent de l’ampleur dans les discours politiques, aussi bien sur le continent européen qu’américain. C’est à ce moment-ci que naît réellement le mouvement nationaliste au Québec,  mais  il n’existe encore qu’auprès de certains intellectuels de gauche, universitaires et travailleurs inspirés par des événements tels que la révolution cubaine. Il faut attendre 1957 pour voir émerger la première association séparatiste du Québec, l’Alliance laurentienne, qui dénonce l’impérialisme britannique. 

Celle-ci est suivie d’autres organisations telles que l’Action socialiste pour l’indépendance du Québec (ASIQ), le Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN) et le Mouvement Souveraineté-Association (MSA) créé par René Lévesque. Les différents mouvements finissent par s’unir et former le Parti Québécois (PQ) en 1968. Tel que « Junts pel Sí », il réussit ainsi à accroître sa représentation au Parlement. La sécession québécoise est soumise au vote lors d’un référendum, le 20 mai 1980, mais elle est rejetée par 60% des voix. Les mêmes demandes référendaires commencent à se faire en Catalogne après la mort de Franco, toutefois, à la différence du Québec, la Catalogne n’obtient pas gain de cause. 

Présent et futur

Comme le Canada, l’Espagne a récemment eu des élections nationales. Ces dernières ont abouti à des résultats partagés représentatifs d’une crise démocratique et politique qui s’aggrave depuis presque dix ans. Il semblerait que la poussé du nationalisme catalan ait été catalysée par la crise politique espagnole, ou peut-être même européenne. En effet, depuis les dix dernières années, le pays a été sujet à des scandales de corruption, des financements illégaux de partis, des scandales d’évasion fiscale et des abus d’immunité légale. La monarchie elle aussi a été engloutie par des critiques de la même nature. 

Si le manque de transparence et de responsabilité légale des agents publics a donné lieu à un grand mécontentement de l’électorat espagnol, celui-ci est davantage exacerbé en Catalogne. Cette crise démocratique a été statistiquement illustrée par un rapport de l’agence Transparency International, qui a constaté que 74% des Espagnols estiment que les efforts de leur gouvernement pour lutter contre la corruption sont inefficaces. En outre, le rapport  explique que 73% des citoyens considèrent que le niveau de corruption avait augmenté entre 2007–2010.

Selon l’ONG, les institutions les plus corrompues en Espagne seraient les partis politiques. Cette méfiance envers les anciens partis a donné naissance à « Podemos », un parti socialiste et anti-austérité, et « Ciudadanos », d’orientation libérale, qui promettent tous deux une réforme politique profonde. 

Ces derniers se rangent au centre de l’échiquier politique. Ce phénomène a brisé le statu quo politique privant, à ce jour, le pays d’un gouvernement stable. Les analystes prédisent vraisemblablement de nouvelles élections, et une grande partie de l’électorat réclame d’éminents changements politiques. 

Il n’est donc pas exclu que des changements institutionnels importants interviennent en Catalogne en 2016, à l’inverse du Québec, qui semble aujourd’hui être à l’abri de tels bouleversements, tout en bénéficiant d’avantage d’autonomie régionale grâce à l’élection du Parti libéral de Justin Trudeau.


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