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Aaron sur le chemin de l’école

Un livre pour promouvoir une éducation durable et équitable. 

Luce Engérant

Aaron Friedland, ancien floor fellow de la résidence Gardner Hall, vient d’écrire un livre pour enfants, The Walking Schoolbus (Le bus qui marche, ndlr). Il organise aussi une campagne de levée de fonds pour améliorer l’accès à l’éducation dans une communauté retranchée de l’Ouganda. Après avoir obtenu son baccalauréat à McGill, Aaron Friedland a travaillé dans un organisme de recherche à la Barbade, et a beaucoup voyagé. Il est aujourd’hui en maîtrise d’économie à l’Université de Colombie ‑Britannique. Depuis son appartment à Vancouver, il a présenté son projet lors d’un entretien téléphonique avec Le Délit.

Le Délit (L.D): D’où venait votre motivation pour le projet de levée de fonds et comment avez-vous commencé à écrire le livre ?

Aaron Friedland (A.F): Pour être honnête, le livre est venu avant le projet. J’ai commencé à écrire le livre il y a cinq ans en rentrant d’un voyage en Afrique du Sud et en Ouganda, où nous travaillions pour une mission humanitaire et où nous aidions à construire une aire de jeux pour une communauté appelée Abayuda. C’est une communauté dont l’école mélange l’enseignement des diverses croyances, notamment musulmane, chrétienne et juive. L’école se trouve dans le village Nabagoya. C’est une communauté incroyable. On a été les témoins directs de la pauvreté et des barrières au développement. Quand cette mission a touché à sa fin, j’ai repensé au travail que nous avions effectué et j’ai réalisé que nous avions vraiment bénéficié de cette expérience. Le groupe de personnes qui y est allé pour aider avait reçu tellement plus que ce qu’il avait donné. Bien sûr, nous avons fourni l’équivalent de plusieurs milliers de dollars d’infrastructure, mais nous en avons tiré beaucoup plus en termes d’expérience. Et le travail n’allait pas être durable dans le sens où il n’a pas pu être entretenu sur le long terme. Alors quand je suis rentré, après avoir parlé avec tous ces enfants qui marchent sur des distances incroyables pour aller à l’école, j’ai commencé à écrire ce livre pour enfants.

L.D : Avez-vous écrit le livre pour sensibiliser les gens ?

A.F : Exactement, quand je compare l’éducation nord-américaine, celle que j’ai reçue, avec le combat des élèves sud-africains et ougandais pour se rendre à l’école, il y a une inégalité flagrante. Mon projet était donc important pour deux raisons. Je voulais lever des fonds pour que les enfants de ces communautés puissent avoir accès à l’éducation. Nous essayons de lever des fonds pour introduire trois bus dans cette communauté. Mais je voulais aussi faire comprendre aux élèves nord-américains le luxe dont ils bénéficient. Je voulais qu’ils sachent que l’accès à l’éducation est une chance, sans qu’ils se sentent coupables d’avoir tout ça. Surtout pour qu’ils n’oublient pas le privilège qu’ils ont. 

L.D : L’aperçu que l’on a du livre sur le site internet est remarquable. Qui dessine toutes ces illustrations ? Et qui sont ces deux enfants dont parle le livre ?

A.F : Bien sûr, le site n’est qu’un aperçu du travail final. C’est ce que j’ai fait avant d’avoir les fonds pour créer le livre.  J’ai décidé de faire réaliser quelques illustrations. Le plan est de travailler, dans le futur, avec des dessinateurs et des élèves ougandais. Pour l’instant, je travaille avec un illustrateur que j’ai rencontré en ligne, qui vient d’Afrique du Sud.

Les deux enfants… J’ai rencontré beaucoup d’enfants qui pourraient avoir inspiré ces deux personnages. Mais la vérité, c’est que ces deux enfants sont fictifs et représentent ma vision de tous les enfants que j’ai rencontrés et leur désir d’avoir accès à l’éducation.

L.D : Que symbolise The Walking Schoolbus ? Quelle idée représente-t-il ?

A.F : L’idée derrière le titre et l’histoire est de montrer l’expérience et les luttes quotidiennes de ces enfants, c’est-à-dire non seulement les distances entre eux et l’éducation, mais aussi les dangers qu’ils rencontrent sur le chemin de l’école.  Ce que le bus symbolise finalement, c’est cette capacité des enfants à s’unir et à lutter pour cette cause réelle qu’est l’accès à l’éducation. En même temps, le bus représente l’accès. Quand on voit les pieds des enfants qui dépassent sous le bus, on s’arrête pour se poser des questions. C’est en fait pour représenter comment ces enfants vont vraiment à l’école.

L.D : Ce qui est intéressant dans votre métaphore, c’est qu’elle donne l’idée d’un véritable mouvement social à l’échelle de la nation et initié par des enfants. Pensez-vous que l’éducation est vraiment la clé du développement ?

A.F : Oui, à cent pour cent. Surtout du point de vue de quelqu’un qui est en maîtrise d’économie. L’impact économique de la collaboration entre croyances m’intéresse énormément. Je pense que les attaques à Paris et les événements de ce dernier mois illustrent bien cette idée le manque d’éducation des gens les dirigent vers une idéologie extrémiste. D’après moi, le seul vrai moyen de réduire ces problèmes est d’éduquer nos jeunes de façon adéquate. Plus que simplement éduquer, il faut leur donner les moyens d’apprendre l’existence de diverses croyances dans la société. Je pense que les écoles monothéistes ne sont pas nécessairement une mauvaise chose, mais je voulais montrer que nous voulons soutenir un type d’éducation qui assure une paix durable et ce en facilitant l’accès à une école qui enseigne trois croyances différentes de façon simultanée. C’est beau de voir comment ces enfants coopèrent et c’est ce type d’éducation que je veux soutenir. 

L.D : Dans votre biographie, vous écrivez que vous avez rédigé The Walking Schoolbus parce que vous vous voyiez incapable de changer le passé et que vous étiez dans l’espoir de faciliter un futur plus éclairé. Comment voyez-vous le futur ? 

A.F : Quand je vois mon expérience en Ouganda et en Afrique du Sud, et surtout l’image de l’apartheid, je pense que beaucoup de gens ont eu du mal à accéder à l’éducation, mais il y a eu aussi des gens qui sont complèment tombés dans les failles du système. Je suis dyslexique, et j’ai vu beaucoup de cas où les gens les plus éduqués et doués s’en sortaient parfaitement, alors que ceux qui avaient besoin d’assistance dans leur éducation, comme moi, ne recevaient aucun soutien. 

En Inde, j’ai pu avoir un exemple de cette injustice lorsque des enfants pauvres nous parlaient en anglais et qu’on leur répondait en allemand pour ne pas avoir à leur refuser de leur donner de l’argent sans arrêt, et que des enfants indiens se sont mis à discuter avec nous en allemand. Cela m’a montré que les enfants les plus doués, ceux qui savent prendre avantage de l’éducation qu’ils reçoivent, réussiront bien mieux. Mais les nombreux élèves qui ont plus de mal avec le système académique et qui nécessitent des mécanismes de support, comme moi-même, sont ceux qui ne sont pas pris en compte dans nos sociétés sans services sociaux adéquats. Ce sont eux qui tombent dans les failles du système et qui ne sont jamais vraiment capables d’échapper à ce piège qu’est la pauvreté. Assurer l’accès à l’éducation, mais aussi améliorer concrètement l’éducation même est mon but principal. Je suis en train de collaborer avec des professeurs pour retravailler les programmes scolaires et renforcer l’apprentissage informatique. 

Le futur, pour moi, sera de fournir les meilleurs services possibles pour les élèves des trois écoles avec lesquelles nous travaillons. En travaillant avec des écoles multiconfessionnelles, nous encourageons l’accès à l’éducation, mais aussi l’enseignement de la tolérance, et nous souhaitons surtout repousser les fondamentalismes religieux. 

L.D : Que diriez-vous aux étudiants qui veulent ajouter leur grain de sel ?

A.F : Depuis le mardi 24 novembre, les étudiants ont l’opportunité de participer à un concours pour nous accompagner lors d’un voyage tous frais payés en Ouganda. Ils auront l’opportunité de faire du volontariat dans l’école multiconfessionnelle et d’y enseigner l’anglais. C’est très intéressant, du point de vue du développement durable mais c’est aussi l’occasion de vivre une expérience incroyable. Pour entrer dans la compétition, il faut suivre deux étapes : donner cinq dollars à la campagne, puis publier une photo de soi à l’envers sur facebook ou instagram (ou simplement une photo retournée), en incluant le hashtag #TWSBflipaccess2ed et le lien de la campagne dans la description. 

La démarche d’Aaron Friedland est un exemple de l’effet que peut avoir une production culturelle sur le développement durable, par la sensibilisation des populations privilégiées aux problèmes des autres, mais aussi par l’éducation qu’un livre offre. L’éducation, comme Aaron Friedland l’a affirmé, est la clé d’un développement plus équitable, durable, et promoteur de paix. Le message unificateur de The Walking Schoolbus semble nécessaire à l’heure où les croyances divergentes semblent diviser les populations, et où l’éducation semble être le seul moyen d’enseigner le respect et la tolérance.

Luce Engérant

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