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Horloge théatrâle

Le Théâtre de Quat’Sous remet à neuf la pièce Variations sur un temps.

Mahaut Engérant

À l’occasion des soixante ans du Théâtre des Quat’Sous, le directeur artistique général Eric Jean ambitionne de faire revivre les temps fort de cette institution du théâtre québécois en revisitant une pièce montée par Pierre Bernard en 1996. Variations sur un temps doit son texte d’origine à David Ives dont la traduction de l’anglais est exceptionnelle. On assistera à cinq tableaux, ou variations, rythmés par des répliques pointues qui s’enchainent les unes derrières les autres jusqu’à ce que la pression tombe et mette fin à la pièce.

Le premier tableau s’ouvre sur ce qui semble être un vestiaire sportif. De gauche à droite, des casiers habillent le décor. En haut à gauche, une horloge, un chrono, un compte à rebours. Les mots de présentation se hâtent d’être prononcés avant que la machine ne se mette en marche et que le temps se mette à fuir sous les yeux des spectateurs. Nul besoin de coups de théâtre, le coup de départ est lancé. 

Mahaut Engérant

Un homme et une femme entrent en scène, ouvrent un des casiers pour en sortir deux clubs de golf. Nous sommes en  date  au mini-putt. Saviez-vous qu’avant l’ère humaine la terre était peuplée par des nains et que la seule chose qui nous reste de leur civilisation est le mini-putt ? Swing lancé, balle rentrée, fin du jeu. Un homme et une femme entrent sur scène, ouvrent un casier, en sortent deux clubs de golf. Deux couples sur scène, deux dates, deux swings lancés, deux balles rentrées, fin du jeu. Un troisième couple entre en scène pourra se livrer à la même partie de mini-putt, pendant que les deux autres — sont-ce les mêmes d’ailleurs ? — continuent de jouer et de se tourner autour. Jeux de dédoublement, répétitions, renvois de balle, le premier tableau est une délicieuse polyphonie.

Une femme assise dans un café est en pleine lecture de la Recherche de Proust. Un homme l’aborde et dans le style d’un jeu vidéo tente de franchir les obstacles qui mèneront à sa conquête, avec des checkpoints, ou sauvegardes automatiques, pour l’aider dans sa partie de séduction. Niveau un : tenter de briser la glace. Première tentative échouée, retour à la case départ. Niveau deux : il arrive à s’asseoir. Essayer d’engager une conversation. Échec, il se relève. Niveau trois : lui plaire. Parler de Proust comme d’un vieux snob ? Échec. Dire qu’il trouve ses phrases longues et épuisantes ? Échec. Partager avec cette belle demoiselle comment Proust a changé sa vie ? Bonne réponse. Derrière la drôlerie de la scène, David Ives pose la question du hasard de la rencontre amoureuse, et la terreur qu’inspire le caractère irrémédiable du temps.

Avez-vous déjà été coincé dans un Drummondville ? Un Drummondville (un Philadelphie dans la version originale américaine), c’est un espace-temps où rien ne va pour vous. Commandez un sandwich à la viande fumée dans un delicatessen, c’est une poutine qui vous sera servie. Essayez de prendre un taxi pour vous rendre en centre-ville, le chauffeur ne se rend qu’à Brossard. C’est ce qui arrive au personnage du troisième tableau. 

Et si vous saviez la date et les conditions dans lesquelles vous alliez mourir mais pas l’heure exacte, comment réagiriez-vous ? Si vous aviez l’occasion de revivre votre dernier moment encore et encore et encore, que diriez-vous ? C’est ce qui arrive à Trotsky, une hache plantée dans le crâne, lisant dans une encyclopédie sa notice biographique.

Le compte à rebours défile encore sous les rires des spectateurs ébahis par la maitrise du timing comique des acteurs qui ne cessent de courir dans tous les sens. Plus que quelques minutes avant la fin et des nuages de farine voltigent dans la face des personnages. Enfin, si cette pièce a mis tout le monde d’accord il y a vingt ans, le consensus reste le même : à mourir de rire et à voir absolument !


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