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L’encre ne coule plus

Requiem pour la fin de la presse papier.

Luce Engérant | Le Délit

À partir de 2016, La Presse ne sera plus pressée les jours de semaine. Hormis les samedi, les publications ne paraîtront qu’à travers son édition numérique. L’annonce a été faite la semaine passée, et ne surprend plus grand monde. La Presse ne sera pas la première ni la dernière publication à délaisser l’impression. Et pour cause : le nombre de contrats publicitaires augmente plus rapidement sur ces nouvelles plateformes. Elles permettent aux annonceurs d’atteindre la clientèle de façon plus créative et mieux orientée. La publicité est devenue  le véritable poumon financier du  journalisme. En effet, l’information vient à nous à travers nos  fils d’actualité : les nouvelles rapportées par les journaux n’ont plus rien d’ébouriffant. À quoi bon en importuner son porte-monnaie.

Les progrès de notre époque conduisent à une inévitable dématérialisation des échanges et des divertissements. Gâtés que nous sommes par la technologie, choyés par la facilité de communiquer, les vieilles méthodes d’impression nous paraissent soudainement aussi pénibles que superflues. Le lecteur, accoutumé à la simplicité de son écran tactile de poche, est de moins en moins tenté de s’encombrer d’une liasse de papier qui noircit les doigts. 

Pourtant, le plaisir de lire sur du papier existe bel et bien, et revient dans les moments propices (comme le samedi matin pour La Presse). Mais la profession doit se mettre au parfum du jour pour survivre. Le quotidien le plus lu dans sa version imprimée sur l’Île de Montréal est le journal Métro. Distribué à l’entrée des stations de métro, son format se rapproche de celui d’un magazine. C’est en effet plus commode dans un contexte de transport en commun bondé, pressé, et chargé. Outre sa gratuité, ce quotidien est aussi servi au bon moment, à des gens qui n’ont de toute façon que peu d’autres occupations durant leur passage sous terre. Les tunnels du métro étant en grande partie dépourvus de réseaux, ce sont peut-être les derniers endroits de la ville où les cellulaires ne sont pas rois. 

Partout ailleurs, nous sommes toujours plus assoiffés de Wi-Fi, à mesure que s’essoufflent les alternatives concurrentes au Web. Nous sommes forcés de finir en permanence la tête penchée vers nos machines intelligentes, à une distance raisonnable d’un routeur. 

« À la manière du moine copiste et du télégraphe, le journalisme papier tombe en désuétude. » 

Cet été, plusieurs gérants de cafés de Montréal ont exprimé leur mécontentement face à la consommation de Wi-Fi, plutôt que de café, dans leurs établissements. Ils regrettent l’ambiance traditionnellement gourmande et bavarde de leur commerce. La plupart d’entre eux mettent justement à la disposition des clients des journaux locaux. Dans un contexte de pause-café, ils semblent faire meilleure affaire. 

Les perfectionnements technologiques poussent fatalement à la disparition de certaines pratiques fondamentales, les altérant pour n’en garder que l’essentiel. À la manière du moine copiste et du télégraphe, le journalisme papier tombe en désuétude.  L’internet apporte comme tout progrès son lot de nostalgie, nous donnant l’impression déjà d’être dépassés. Malgré tout nous ne pouvons nous empêcher de nous émerveiller devant les sommets atteints par chaque nouveau gadget. Nous ménageons notre amertume, en nous forçant à ramer dans le sens du courant pour ne pas paraître arriéré. Mais nous reste en bouche cet arrière-goût nauséeux, ce sentiment d’impuissance, cette impression de rendez-vous manqué.

C’est ce que dégagent les photographies de l’artiste Will Steacy, dans son exposition Deadline, que l’on a pu observer dans le cadre du World Press Photo 2015 au Marché Bonsecours jusqu’au 27 septembre. Il immortalise la tristesse des locaux du Philadelphia Inquirer, laissés à l’abandon au fil des licenciements successifs depuis les années 1990. Steacy lève le voile sur la défaite des salles de presse, leur agonie devant la chute des tirages, et ce malgré un long combat pour leur survie. Selon l’organisation Future Exploration Network, les journaux papier disparaîtront aux États-Unis d’ici 2017, au Canada d’ici 2020 et en France d’ici 2029.

Il y a un deuil à faire. Ensemble, tâchons d’oublier les plaisirs périmés et de nous imprégner sans regret d’une vie informatisée. 


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