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Le mythe du Feministan

La parité n’est toujours pas respectée en 2015. 

Lisa El Nagar

Deux semaines après la Journée internationale de la femme, il est temps d’examiner les inégalités sexuelles qui persistent sur le marché du travail québécois, et chez les politiques. En matière d’égalité des sexes, le Québec est la dernière province canadienne à avoir accordé le droit de vote aux femmes (en 1940), et aujourd’hui encore, la Belle Province peine à dépasser la barre des 30% de femmes, que ce soit en affaires ou en politique.

La Gazette des femmes publiait le 9 février un article dans lequel Chantal Maillé  comparait le cercle de personnes influentes du Québec au début de cette année 2015 à un boys club. Cette professeure de science politique et spécialiste en études des femmes à l’Université Concordia soutient que la parité ne semble pas être une priorité du gouvernement Couillard. Elle explique qu’il n’y a pas d’engagement ferme de la part des partis politiques pour atteindre la parité. « Avec Jean Charest, il y avait autant de femmes ministres que d’hommes, mais aujourd’hui, il existe un déficit de femmes ministres », déclare-t-elle. Même sous l’ère de Pauline Marois, « l’exemple de le femme qui a réussi, qui a brisé un plafond de verre pour cette génération de femmes », le conseil des ministres n’a jamais atteint la parité. Aujourd’hui, d’après un article de Marie Lachance publié dans la Gazette des femmes (9 février 2015), au Québec, les femmes représentent 17% des maires, 32% des conseillers municipaux et 27% des députés. Pour ce qui est des femmes autochtones, la Loi sur les Indiens a changé la donne en conférant plus de pouvoir aux hommes. D’après un article de Mélissa Guillemette (Gazette des femmes, 6 février 2015), 34% des élus aux 40 Conseils de Bande du Québec, qui exercent le pouvoir local, sont des femmes. La représentation des femmes en politique est donc loin d’être égale à celle des hommes. De sa 27e position au rang mondial en 2012 pour la proportion de femmes dans les parlements nationaux, le Québec est passé à la 48e place en 2014.

En affaires, selon une étude de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) (publiée en mars 2014 par Maude Boulet), le Québec n’a pas encore atteint la parité salariale, même si les femmes travaillant à temps plein y sont moins désavantagées par rapport aux hommes que l’ensemble des canadiennes, et ce sur toute la période de 1997 à 2012. Même si l’écart s’est rétréci dans les quinze dernières années, en 2012, dans la même profession, les femmes étaient toujours rémunérées en moyenne 10% de moins que les hommes. L’étude avance également que les femmes ont tendance à travailler moins d’heures et à être moins représentées dans les plus hautes sphères des entreprises. D’après Lilia Goldfarb, directrice du développement et des programmes au Y des femmes, une association de soutien pour les femmes à Montréal qui existe depuis 1875, les jeunes femmes qui sont entrées sur le marché du travail après leurs études dans les dernières années sont les moins touchées par les inégalités salariales. Elle ajoute que le Conseil du statut de la femme (CSF), censé faire avancer les choses, n’évolue pas dans un contexte facile, manque de financement, et donc ne fait pas un travail suffisant. Récemment, les dysfonctionnements du CSF ont poussé l’avocate Julie Latour à démissionner du Conseil. Elle dénonçait au journal Le Devoir (13 mars 2015) l’«asphyxie matérielle » et le « musèlement intellectuel » au sein de l’organisme, censé promouvoir les droits des Québécoises. L’avocate reprochait notamment au CSF d’avoir pris position en faveur de la loi 20 sans consulter ses membres, une loi qui manque de défendre les femmes médecins. Elle accusait ainsi le Conseil de cautionner un retour en arrière de la société québécoise, soixante-quinze ans après l’obtention du droit de vote pour les Québécoises. Le gouvernement encourage pourtant l’entrepreneuriat féminin, qui a plus que doublé dans les vingt dernières années, d’après le budget provincial pour 2014 et 2015 publié en juin 2014 par la Banque Nationale. Par le réseau Femmessor, le ministère des Finances et de l’Économie du Québec accorde un fonds central d’investissement d’un milliard cent-cinquante millions de dollars afin de soutenir les entreprises dirigées par des femmes.

Par ailleurs, la proportion de femmes dans l’éducation supérieure québécoise est en hausse. À l’Université McGill, dirigée par une femme, Suzanne Fortier, la seule faculté qui se trouve loin de la parité est la Faculté de génie, composée aux trois quarts d’hommes et un quart de femmes. Stéphanie Breton, l’ancienne présidente de l’association Promoting Opportunities For Women in Engineering [Encourager les opportunités pour les femmes en génie, ndlr] explique que le problème d’inégalité vient d’abord des mentalités. « Lorsqu’on intervient dans des écoles secondaires pour promouvoir les études de génie, on rencontre souvent des jeunes filles qui n’auraient jamais envisagé de devenir ingénieure, parce qu’on imagine toujours que ce secteur est réservé aux hommes. Une fois à McGill, l’inégalité n’est pas dérangeante », raconte-t-elle. Dans les livres de théorie mécanique ou de dynamique, les problèmes représentent quasiment toujours des hommes avec des casques ou des outils, puis des femmes avec des ballons. D’après l’ISQ, sur le marché du travail actuel, les professions en génie montrent un taux de présence féminine de 17%. Selon Stéphanie Breton, il existe une ségrégation dans les entreprises où les employés sont plus âgés (on lui a déjà demandé lors d’un stage si elle était là grâce à son père) alors que cette ségrégation se ressent moins dans les entreprises où la moyenne d’âge ne dépasse pas les 30 ans. « C’est en train de changer petit à petit », souligne-t-elle, notamment puisque la présidente de la Engineering Undergraduate Society [Association des étudiants de premier cycle en génie, ndlr] sera en 2015, pour la première fois, une femme. Dans les autres facultés, la répartition entre les femmes et les hommes parmi les élèves est proche de la parité. Il y avait, au dernier semestre, 58% de femmes inscrites pour 42% d’hommes en premier cycle. Cependant, alors que les femmes sont plus nombreuses en premier cycle et en maitrise, la tendance s’inverse au doctorat. Les hommes pousseraient plus loin leurs études. 

Au Québec, les femmes ont donc encore du travail pour atteindre la parité. Que ce soit en politique ou en affaires, bien que leur participation soit en hausse, elles ne sont toujours pas justement représentées. L’absence de quotas en politique en est certainement une explication.


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