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« Aille âme McGill »

Protéger, commercialiser et arborer un logo. 

Chloé Anastassiadis

Porter les armoiries de son école, quoi de plus ordinaire ? Le Délit s’est donné pour mission d’écouter ce que le blason de l’Université McGill avait à dire aujourd’hui, afin de mettre au clair les messages implicites qu’il pourrait véhiculer sur le campus. Marque de fierté, appartenance à une communauté ou cachet de l’intelligentsia sont autant de murmures qui circulent à son sujet. En tendant l’oreille à gauche et à droite, on s’aperçoit qu’il est au centre de préoccupations insoupçonnées par le commun des étudiants. Des origines de l’enseigne au nouveau onesie gris disponible à la librairie McGill (bookstore), les trois oiseaux sans pattes, merlettes de McGill, ont une valeur qui, sans être volage, ne semble pas immuable.

Quid est hoc quod dicit ? 

Les armoiries de l’Université McGill, qui comprennent l’écu et le listel, sont inspirées de celles de son fondateur : le riche marchand de fourrure James McGill. Les trois oiseaux rouges sont des merlettes ; il est difficile d’établir avec certitude leur signification, mais l’hypothèse la plus probable est celle rapportée par Raphaël Thézé dans Le Délit spécial royauté du premier mars 2011 : « lorsqu’elles sont rouges, [les merlettes] symbolisent l’ennemi tué sur le champ de bataille. En héraldique [étude des armoiries, ndlr], elles sont habituellement représentées sans bec ni pattes pour illustrer les blessures reçues. » Le livre ouvert est le symbole de l’enseignement institutionnalisé et l’inscription en latin In Domino Confido se réfère à la devise de James McGill : « J’ai confiance en Dieu.» L’autre inscription en latin est celle du listel : Grandescunt Aucta Labore. Elle se traduit ainsi : « Par le travail, toute chose augmente et croit.» Or, parmi l’échantillon d’étudiants interrogés au hasard par Le Délit, qui n’avaient en commun ni la langue, ni le niveau d’étude et dont l’unique ressemblance était l’enseigne qu’ils portaient sur leur sac ou leurs vêtements, pas un seul n’était en mesure d’expliquer la symbolique de ce logo. Le peu d’importance accordée à la signification originale donne-t-il un autre sens au message véhiculé par l’emblème ? « Le propre d’un signe est qu’il demande d’être d’abord identifié avant d’être compris », indique M. Arnaud Bernadet, professeur au Département de langue et littérature françaises.

Marque de prestige 

« L’identité visuelle est l’un des plus grands atouts de l’Université », stipule la Politique d’utilisation de la marque déposée de l’Université McGill. D’ailleurs, pour reproduire le logo de l’Université, il faut suivre des contraintes très strictes ; on ne peut pas changer de police au gré d’une fantaisie, ni manquer de respect aux mensurations prescrites. Les armoiries comme marque de commerce de l’Université se seraient imposées d’elles-mêmes. Selon le professeur Bernadet, « ce n’est pas le logotype qui est une armoirie mais l’armoirie qui est devenue un logotype, c’est-à-dire dans son usage originel l’enseigne même d’une boutique, la boutique contemporaine du savoir ». C’est au fil des ans que les armoiries ont obtenu leur signification d’aujourd’hui, leur valeur de logo « comme preuve d’une histoire, d’une longévité, d’une tradition » ajoute M. Bernadet. Les armoiries sont donc inhérentes au message véhiculé sur le campus, celle de l’appartenance à une grande famille institutionnalisée. Ce qui est pour le moins étonnant, c’est qu’elles semblent être « gages de qualité » non pas grâce aux mots inscrits ou aux symboles, mais grâce au simple fait qu’elles sont des armoiries. Le contenu du message passe inaperçu, c’est le contenant qui communique. Il serait inexact de dire que la reconnaissance internationale dont jouit depuis fort longtemps l’Université McGill n’a pas procuré au logo son prestige, mais la contribution de l’image commerciale à sa renommée ne semble pas pouvoir être ignorée non plus.

Produits dérivés

En plus de son rôle dans le commerce du savoir, le logo de McGill sert aussi à la vente de produits, multipliant les reproductions de l’enseigne sur toutes sortes d’objets disponibles à la librairie et au centre sportif. La marque de prestige en prêt-à-porter vivifie les affaires. « La vente de produits qui portent l’enseigne est une partie du business qui s’agrandit » affirme Jason Kack, directeur général de la librairie. Sans fournir de chiffres officiels, il confie que la vente des produits dérivés génère un profit de plus en plus important. Même si la vente des manuels scolaires et des notes de cours rapporte encore la plus grande part des revenus, elle décroit d’année en année et « l’impact de la baisse de vente des livres, reconnaît Jason Kack, n’est pas [encore] compensé par l’augmentation des ventes de produits dérivés malgré que ceux-ci soient plus rentables ». Il s’agit, selon lui, d’une période de transition : « c’est un phénomène qu’on remarque dans toutes les universités d’Amérique du Nord. » Il ajoute que le travail actuel qui se concentre sur la vente de produits permettra de pallier la diminution des revenus liée à la baisse des ventes de livres. L’enseigne de McGill ornera donc de plus en plus de produits divers. Cependant, le commerce se heurte à une difficulté : les contraintes de style imposées par le secrétariat, le gardien du logo McGill. Respecter la police, la disposition, etc. rend plus difficile l’adaptation à un marché étudiant. Impossible de vendre un chandail avec un logo délavé (ne parlons même pas d’une blague ou d’un heureux jeu de mots). L’image véhiculée de McGill doit rester conforme aux valeurs de l’Université.

La mue du logo 

Du côté du secrétariat, « l’autorité absolue en matière de cérémoniale » selon le site de l’Université, l’agente de règlementation Bonnie Borenstein est chargée d’octroyer, ou non, l’autorisation d’utiliser la marque de commerce de McGill. Préoccupée par l’écriture d’un article de journal sur le logo, elle déclare tout de suite que rien ne peut être affirmé à propos de sa gestion pour le moment car la Politique est en train d’être revue. Il est possible que l’enseigne change de gardien pour s’adapter, entre autres, à la nouvelle réalité des médias sociaux. Le directeur général de la librairie McGill indiquait qu’ils étaient les seuls, avec le centre sportif, à détenir le droit d’utiliser la marque de commerce sur des produits dérivés – exception faite du campus où les étudiants s’en servent parfois à petite échelle, ce qui représente une part négligeable du marché. Bonnie Borenstein, quant à elle, confie au Délit qu’une investigation est en cours pour déterminer si l’utilisation du logo par d’autres commerçants serait profitable, se rapprochant ainsi du modèle états-unien où les chandails Harvard sont vendus jusque dans les aéroports. Cependant, rien n’est encore certain et la préoccupation première du secrétariat est de protéger l’image de McGill, conformément aux valeurs de l’Université. « L’estampille sacrée », comme l’appelle M. Bernadet, doit-elle craindre la prolifération de ses reproductions sous peine de perdre en rareté ? Toutes les conséquences sur la réputation d’excellence de l’Université McGill doivent être pesées quand on touche à l’effigie, et cela implique une organisation complexe qui doit prendre en compte de nombreux partis. Quoi qu’il en soit, les merlettes ne sont pas en voie de disparition, même si elles n’ont, en théorie, pas le droit de sortir de l’écu sans autorisation spéciale. On remarquera tout de même que lorsque l’image est en jeu, l’étiquette a l’air de gagner en souplesse au profit de la notoriété et des intérêts commerciaux. En fin de compte, c’est peut-être en regardant sa trajectoire, plus que le logo lui-même, qu’on perçoit les multiples tenants de l’esprit de l’Université.


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