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Le corps a ses raisons

FAR, la nouvelle chorégraphie de Wayne McGregor, explore les interactions entre le corps et l’esprit.

Ravi Deespres

La compagnie Random Dance de Wayne McGregor était de retour à Montréal cette fin de semaine, dans le cadre de Danse danse, pour présenter son spectacle FAR sur la scène du Théâtre Maisonneuve.

Chorégraphe en résidence au Royal Ballet de Londres, Wayne McGregor est reconnu pour ses productions contemporaines alliant la danse et la musique, les arts visuels et la technologie. Entity, sa dernière performance offerte à Montréal à l’hiver 2011, avait ravi la critique par son caractère unique et son esthétisme calculé, par ses curieux ricochets de corps désossés.

Le titre de la nouvelle création, FAR, ‑qui résulte de l’acronyme de Flesh in the Age of Reason, un ouvrage de Roy Porter consacré à la relation entre le corps et l’esprit au 18e siècle- annonce le thème majeur de l’œuvre. Le nom de la compagnie, « Random Dance », reflète quant à lui son esthétique aléatoire et nerveuse.

Le spectacle débute avec un magnifique duo dansé sur l’air de « Sposa son disprezzata » interprété par Cecilia Bartoli, sur une scène illuminée par quatre torches enflammées portées par des danseurs vêtus de noir. À cette lente valse aux réminiscences baroques succède un environnement futuriste : les torches s’éteignent et cèdent la place à un vaste panneau composé de diodes électroluminescentes qui descend au fond de la scène. De nouveaux danseurs s’avancent, adoptant des poses distordues et progressant dans un mouvement heurté. Cette atmosphère froide et monotone suggérant les lendemains d’un désastre nucléaire, renforcée par le survêtement gris des danseurs, persistera jusqu’à la fin.

La chorégraphie met en évidence les rouages de l’anatomie humaine en animant les articulations de mouvements anguleux et saccadés, dans une exécution rapide de séquences répétitives. Le corps svelte et musclé des danseurs est réduit à un pantin fracturé, presque disgracieux ; la tête souvent désaxée par rapport au tronc, ces derniers évoluent dans l’espace selon une trajectoire erratique. Malgré leur simplicité apparente, ces postures désarticulées exigent une remarquable souplesse et une impeccable coordination. Paradoxalement, une certaine beauté fluide se dégage de leurs pas déchaînés. Le mouvement du corps semble mû par ses propres raisons.

Sous une lumière blanche épurée, le spectateur observe les danseurs comme le scientifique scrute l’anatomie de ses patients. À travers un propos imprécis sur l’interaction entre le corps et l’esprit, il devine des scènes de doute, d’altercation, de conflit, de lutte.

La musique électronique un peu grinçante de Ben Frost, qui crée une ambiance à la fois suave et oppressante, convient parfaitement à la chorégraphie. Le sobre éclairage de Lucy Carter ajoute à cette impression de désolation. L’écran lumineux affiche parfois un alarmant décompte du temps évoquant une catastrophe imminente ; sa pertinence s’avère cependant douteuse, car il distrait davantage le regard qu’il ne contribue à l’effet plastique. Pendant quelques instants, l’éclairage crée des sentiers et transforme la scène en espaces intimes rappelant la poésie de l’ouverture. Dans l’une des scènes les plus réussies, une lumière orange illumine les corps des danseurs comme s’ils scintillaient d’eux-mêmes.

Quoique moins bien ficelé qu’Entity, le spectacle FAR confirme la réputation méritée de Wayne McGregor en danse contemporaine. La troupe —surtout Louis McMiller et Anna Nowak, dont les prestations se démarquent— incarne efficacement les réflexions plastiques du chorégraphe sur la science et la technologie. Nous regrettons seulement que l’unité esthétique de l’œuvre confère à l’ensemble une redondance lassante malgré la brièveté du spectacle.


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