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Disque dur et architecture

« Archéologie du numérique » donne voix au digital.

Peter Eisenman, Eisenman/Robertson Architects. Biozentrum, Centre de biologie de l’université J.W. Goethe, Francfort-sur-le-Main, Allemagne : Maquette d’étude, 1987. Peter Eisenman fonds, Centre Canadien d’Architecture

Pour s’immerger dans l’exposition « Archéologie du numérique » du Centre Canadien d’Architecture (CCA), il faut faire un bond de vingt-cinq ans en arrière et atterrir au début de l’ère digitale. Effectivement, les squelettes de la Lewis Residence de Frank Gehry (1985–1995), le Biocentrum de Peter Eisenman (1987), la Sphère Expansible de Chuck Hoberman (1992) et les toitures de Shoei Yoh pour les gymnases Odawara (1991) et Galaxy Toyama (1992) ont un point en commun : l’importance d’un numérique embryonnaire dans leur développement.

Dans la vidéo d’introduction, Greg Lynn, commissaire de l’exposition, soutient s’être : « toujours senti frustré lorsque les critiques, les théoriciens, les journalistes, ou même les historiens affirment qu’un jour futur, la technologie numérique nous permettra de le faire ». Un sentiment d’espérance improbable et peu encourageant semble accompagner une telle généralité. Quel est ce « le » indéfini qui semble pourtant bien trop familier dans le discours actuel ? Plutôt que de se projeter dans les possibilités inhérentes à l’espace digital, Lynn nous invite à nous concentrer sur son passé (forcément récent) et sur ce que nous pouvons faire au jour d’aujourd’hui.

La première salle regroupe brièvement les travaux des quatre architectes renommés qui contribuèrent à la réalisation de l’exposition. L’on y découvre les maquettes de la Lewis Residence de Frank Gehry, lauréat du Prix Pritzker en 1989, qui paraissent étrangement petites lorsque l’on apprend que l’édifice aurait fait plus de 2000 mètres carrés s’il avait été construit. L’influence de la technologie numérique se fait grandement ressentir dans ce projet, ce qui n’empêche pas l’architecte de signaler que « nous avons besoin du cerveau qui transforme cela en art pour aller au-delà du langage connu du programme informatique ». Gehry insiste ainsi sur l’aspect utilitaire du digital qui ne remplacera jamais la complexité physiologique et psychique humaine.

Les quatre salles suivantes sont respectivement attribuées à chaque architecte. Les toitures de Shoei Yoh sont marquées par le pragmatisme de ce dernier, qui ne manque pas de rappeler que l’architecture a un but pratique, qu’elle doit faire face à des contraintes économiques et environnementales. Dans ses projets, sa sensibilité guide l’usage de la technologie numérique et pousse ainsi à chercher des modèles à la fois optimaux et complexes, à l’image de ceux qui se trouvent dans la nature.

Mis à part le théorique, l’exposition possède également un aspect interactif, notamment grâce aux sphères expansibles développées par Hoberman. Ces dômes d’une mécanique sophistiquée peuvent servir d’abri, de toit rétractable pour stades, etc. Ingénieur aguerri, Hoberman dévoile ici tout son savoir-faire et explique comment AutoCAD et d’autres logiciels informatiques l’ont aidé dans son œuvre. De quoi intriguer les esprits logiques présents dans la pièce.

Une partie de l’exposition retrace également le parcours du numérique depuis le superordinateur Cray (1972) jusqu’à l’iPhone 5, en rappelant les progrès titanesques faits dans ce secteur dans un laps de temps très court. D’où la nécessité de  « théoriser cet espace digital », selon les termes de Greg Lynn. Difficile, cependant, pour des professionnels qui n’ont pas grandi avec le digital, qui n’ont pas le recul nécessaire pour accomplir une telle tâche.

Comme à son habitude, le CCA présente une exposition sobre et efficace qui mise sur la qualité de l’information et du message artistique. Le superflu n’a pas sa place et l’exposition s’organise aussi précisément qu’un système informatique. Se mettre dans la peau d’un archéologue le temps d’une visite pour décortiquer les mécanismes qui régissent la création architecturale assistée par ordinateur depuis la fin des années 1980, tel est l’expédition que nous propose d’entreprendre le CCA jusqu’au 27 octobre.


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