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Noces d’or à Montréal

La Place des Arts fêtait son 50ème anniversaire dans la diversité artistique.

Afin de commémorer les cinquante ans de la Place des Arts, quelques 8 000 spectateurs se sont rassemblés pour assister à différents spectacles, entre autres, d’opéra, de théâtre et de musique symphonique. Le spectacle de l’Orchestre Symphonique de Montréal (OSM), pour l’occasion, a débuté avec une intervention spéciale du  baryton-basse Philippe Sly et de la présentatrice de CTV News Montreal Mutsumi Takahashi, lesquels ont résumé l’histoire de la Place des Arts, un symbole national des arts de la scène.

En première mondiale, l’OSM a débuté son concert avec la pièce Le cœur battant de la ville par Nicolas Gilbert, un compositeur montréalais. La pièce a été commandée à l’auteur spécialement en vue du cinquantième anniversaire de la Place des Arts. Nicolas Gilbert considère que le Mont Royal est le poumon de Montréal, et que la Place des arts en est le cœur battant. Ainsi, les instruments à vents y sont omniprésents. La pièce est énergique, électrisante et interpelle le spectateur peu habitué à la création contemporaine. Toutefois, le seul bémol de cette pièce est que les vents sont trop forts, de sorte qu’il est impossible d’entendre les instruments à cordes, alors que leur partition semble complexe et intéressante.

Par la suite, l’OSM a enchaîné avec les pièces de son concert de jeudi dernier intitulé James Ehnes joue Mozart. Tout débute avec l’ouverture de La flûte enchantée de Mozart. Quoique bien court, ce morceau est léger et joyeux : idéal pour une soirée de célébration.

Ensuite, c’est au tour du violoniste James Ehnes d’interpréter le concerto n°5 en La majeur, K. 219 de Mozart. James Ehnes joue avec une finesse et une délicatesse inouïe. L’interprétation se fait en douceur et légèreté dans cette magnifique salle qu’est la Maison symphonique .Kent Nagano conduit son orchestre et son soliste avec brio et maîtrise bien les intonations. Les effets de sa superbe gestuelle apportent beaucoup d’émotion, d’énergie et de passion à cette œuvre de l’époque classique.

Finalement, comme pièce de résistance de 57 minutes, l’OSM termine son spectacle avec la symphonie n°3 en Ré mineur d’Anton Bruckner, lequel l’avait dédié à Richard Wagner. On remarque d’ailleurs quelques références à Wagner dans la complexité et l’intensité mélodramatique. La pièce est grandiose et majestueuse. Chaque instrument a un solo bien marqué et on décèle pourtant une homogénéité surprenante  entre les cordes et les vents. Les instruments de l’orchestre viennent former un tout harmonieux et puissant, digne de l’événement. La trompette est mise de l’avant au début et à la fin, avec un magnifique solo réjouissant et triomphal.

Somme toute, le premier concert de la programmation de l’OSM était passionnel, joyeux et festif. C’est un excellent départ pour cette 80e saison.

- Emilie Blanchard

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Le 21 septembre 1963, la Place des Arts ouvrait son premier rideau sur l’Orchestre Symphonique de Montréal, dirigé conjointement pour les besoins de cette soirée inaugurale par deux chefs d’orchestre d’envergure : Wilfried Pelletier et Zebn Mehta. Cinq salles, 45 millions de spectateurs et surtout 50 ans plus tard, il semble que ce soit toujours le même symbole de rassemblement et de collaboration artistique qui anime la Place des Arts. C’est donc à travers cette volonté que, le 21 septembre 2013, le théâtre Maisonneuve a proposé un spectacle intitulé « Maisonneuve danse », rassemblant cinq des plus grandes compagnies de danse québécoises pour cinq extraits de pièces différentes : O vertigo avec Khaos, Les Ballets Jazz de Montréal avec Harry, La compagnie Marie Chouinard pour un extrait du Sacre du printemps, Le Groupe Rubberbandance pour Quotient empirique et enfin Danz, par les Grands Ballets.

Après un discours inaugural, le silence se fait, le noir se fond. C’est d’abord à Ginette Laurin d’occuper le plateau avec son extrait de Khaos, pièce qui traite de cette abondance épileptique de mouvements et de sons qu’est la vie. Les danseurs, presque toujours en groupe, ne s’arrêtent jamais : leur corps est tour à tour intime et saccagé, chaotique et sautillant. Il arrive qu’un individu ou qu’un couple se détache de cette meute tumultueuse pour occuper un espace vide avec de prodigieux portés qui trahissent la superbe compréhension du poids des corps par la chorégraphe. Et pourtant, ça n’accroche pas. Khaos peine, en 10 minutes, à se condenser, à s’atomiser, et surtout à hypnotiser son public : ce n’est pas une pièce qui se prête au jeu de ce spectacle-anniversaire, à cause de la complexité de son fond, et du manque de temps pour le faire revenir à la surface.

« J’aime des spectacles qui soient non pas des « oeuvres‑d’art », mais des fêtes, des événements, des explosions, oui, fête, le mot est juste » écrit Maurice Béjart dans ses Lettres à un jeune danseur. C’est dans cette catégorie que nous rangerons les deux extraits suivants : le premier est Harry, des Ballets jazz de Montréal, qui dépeint le personnage éponyme dans toutes sortes de situations aussi bien frivoles (une hilarante scène de séduction) que métaphysiques. Le second extrait, c’est Danz, des Grand Ballets, lui-même composé de cinq extraits du répertoire de la compagnie. Ces deux pièces, par leur éclectisme tant musical que gestuel et la virtuosité des interprètes (on remarquera, entre autres, le caméléon Jean-Baptiste Couture, des Grands Ballets) se distancient du paysage grisonnant de la danse contemporaine conceptuelle. Elles réussissent ce pari en alliant culture populaire et maîtrise parfaite du corps, trame narrative simpliste et grandeur de l’ensemble.

Le quatrième extrait est celui du Rubberbandance group, Quotient empirique. La dimension poétique de l’œuvre est bien présente, notamment grâce à son dépouillement et son traitement du vide : pas de décor, peu de lumières, peu de danseurs. Victor Quijada, le chorégraphe de la compagnie, vise à explorer les relations qui existent entre temps et identité grâce à l’utilisation d’un mouvement organique issu d’une juxtaposition de la danse classique et de la culture hip-hop ; croisement nécessaire à la survie de la danse puisqu’il permet sa réactualisation perpétuelle. Malheureusement, ce métissage, dans le cas de Quotient empirique, demeure trop imparfait, trop fragmenté, plus vinaigrette que mayonnaise.

Vient enfin Marie Chouinard, avec son extrait du Sacre du Printemps. La chorégraphe fête donc deux anniversaires : les 50 ans de la Place des Arts, bien sûr, mais aussi le centenaire de la création du premier Sacre, celui de Nijinski. La pièce s’ouvre sur une figure mi-humaine mi-animale simplement éclairée par la douche d’un spot lumineux. Résonnent alors les premières notes du basson ancré dans la mémoire collective des spectateurs. Il est difficile de décrire ce qui se passe ensuite. Les figures des hommes-bêtes se succèdent, toujours seules, toujours éclairées par un simple projecteur. Le muscle se tend, la pupille se crispe. Les corps, eux, sont tour-à-tour grossiers par leurs pieds en-dedans, majestueux par leur musculature, dérangeants par leurs grimaces. Deux choses viennent alors à l’esprit. La première est une phrase de Nietzsche : « Je ne croirais qu’en un dieu qui saurait danser ». La seconde est une sensation sublime ; car si le Sacre du printemps est un rite païen, le long silence qui précéda les applaudissements, lui, avait un goût de sacré.

- Thomas Birzan


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