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Parlons vagin

V‑Day le crie toujours plus fort

L’organisation V‑Day propose son annuelle représentation des Monologues du vagin à McGill.
Dirigé par Rachael Benjamin, ce spectacle célèbre la sexualité féminine dans son mystère et sa complexité.
Les Monologues du vagin est une pièce de théâtre d’Eve Ensler, créée en 1996 et qui connut un grand succès à Broadway, puis dans le monde entier. Cette pièce est considérée comme un pilier du féminisme. À ce jour, elle a été traduite en 46 langues et interprétée dans plus de cent trente pays. L’écriture de ces monologues s’est faite après plus de 200 entretiens avec des femmes de tous les milieux. Ils font appel aux expériences, fantasmes et souvenirs liés à la sexualité. Le but est que le spectateur ne regarde jamais plus le corps d’une femme de la même façon ni ne pense au sexe comme avant.

Leacock 132, un milieu stéril
La directrice de la pièce, Rachael Benjamin, en entretien avec Le Délit confie que « la salle est toujours un défi. On veut un grand espace pour pouvoir accueillir le plus de gens possible, mais ça veut aussi dire un endroit stérile et zéro intimité ». Elle rajoute qu’il n’est « pas aisé de faciliter la discussion et de mettre à l’aise le spectateur ». Alors, cette année, l’équipe des Monologues du vagin a décidé de jouer la carte de l’originalité : elle veut créer une ambiance salon sur les planches de Leacock 132. Des lampes, beaucoup de lampes, des canapés ou les comédiennes s’affaissent, et où l’on se retrouve chez soi. Madame Benjamin précise « qu’en soi, l’idée n’a rien de révolutionnaire, mais ça n’avait pas encore été fait à McGill ».
Cette pièce de théâtre prend la forme d’une succession de témoignages poignants. En tout, on compte dix monologues pour dix comédiennes. Elles abordent presque chaque sujet, des poils pubiens à l’orgasme en passant par le viol. Entre chaque passage, le spectateur se prépare à changer de registre avec une introduction donnée par une des comédiennes. Transition quelque peu abrupte, qui rappelle au spectateur la réalité, mais nécessaire tant les styles sont différents. Les transitions rappellent au spectateur qu’il n’est pas là pour assister à une performance, mais pour apprendre : la portée éducative des Monologues du vagin n’est jamais loin. Le tout donne une pièce chargée d’émotion : on pleure, on rit aux éclats, on sourit de gêne.

Un casting inégal
Le Délit a assisté à l’une des dernières répétitions du spectacle. Celle-ci se déroule dans un salon. La directrice de production nous explique qu’elle veut que les comédiennes s’imprègnent de l’ambiance confortable et intime de ce lieu et qu’elles transmettent cet état d’esprit lors de la représentation. Les monologues sont presque maîtrisés et l’émotion est là. Si les transitions sont à parfaire et qu’il manque encore un peu de travail de mémoire, l’enthousiasme est omniprésent sur scène. Les dix comédiennes dansent, chantent, s’étirent : elles forment dorénavant une petite famille, une communauté rassemblée par la volonté de s’engager.
La directrice n’a pas l’air de savoir ce qu’elle veut à une semaine du spectacle. Le dernier monologue sera-t-il fait avec toutes les comédiennes sur scène ou juste certaines ? À vous de le découvrir cette fin de semaine.
La diversité est aussi présente dans le casting. Nicole Rainteau interprète le sketch du viol de façon tellement émouvante qu’elle pousse le jeu jusqu’aux larmes. Georgia Peach et Lucile Smith sont, elles, pleines d’énergie. Seront-elles capables de garder ça dans le grand amphithéâtre ?

Un engagement à la fois individuel et collectif
Le spectacle, tout comme son action, est à la fois personnel et collectif. En effet la participation à la pièce témoigne d’un engagement personnel : les dix participantes n’ont pas toutes de l’expérience sur scène et chacune a ses raisons particulières de participer à la pièce. Ruth Pytka-Jones nous confie qu’elle participe pour sa mère, qui avait joué dans cette pièce des années avant elle. Malek Yalaoui, 28 ans, confie qu’elle y avait assisté alors qu’elle était étudiante : « Quand je l’ai vue, je me suis dit : il faut que je participe à ça un jour, et voilà ! Quelques années plus tard, je le fais ! » Elle ajoute que « c’est la puissance et la force que les femmes transpirent dans ce spectacle qui m’avait impressionné à l’époque, et qui m’impressionne toujours ».
Au-delà de cette perspective personnelle, chacune connaît la portée internationale de la pièce. Et pour les spectateurs qui l’auraient oublié, le dernier monologue « Un milliard se soulève » vient le rappeler.

Une actualisation constante
Si Les Monologues du vagin fonctionnent depuis si longtemps c’est qu’une partie du spectacle est actualisée chaque année, en fonction des événements les plus récents du combat des femmes.
En 2013, les scripts ont rajouté un monologue décriant les scènes de violences sexuelles qui ont lieu en Inde. Le 29 décembre 2012, une jeune femme victime d’un viol collectif décédait. Les médias ont partagé cette histoire qui avait choqué l’Inde et provoqué de grandes manifestations. La jeune femme, dont on ignore le nom, et qui a été surnommée « la fille de l’Inde » est maintenant considérée comme un emblème de la violence faite aux femmes. Le premier ministre, Manmohan Singh, a reconnu que les violences contre les femmes étaient « un problème » important en Inde où près de 90% des 256 329 crimes violents enregistrés en 2011 ont une ou des femmes pour victime(s), selon les chiffres officiels. Le premier ministre s’est engagé à mieux protéger les femmes contre les crimes sexuels et a souhaité des peines plus sévères pour leurs auteurs.
Le monologue qu’Eve Ensler a rédigé à propos de cette affaire est à la hauteur des événements : triste, touchant, bouleversant. Les comédiennes se tiennent par la main, les yeux fermés et lancent leur ligne, les unes après les autres dans un ordre aléatoire. Comme des boulets de canon, les phrases ainsi scandées viennent blesser le spectateur, lui rappeler la violence des actes décrits.

Un chapitre mcgillois de V‑Day international 
Le spectacle a été donné partout dans le monde. McGill organise une représentation annuelle depuis 2001. Ce spectacle est aussi à l’origine de V‑Day, une journée pour arrêter la violence contre les femmes et les filles. D’ailleurs, tous les profits sont remis à deux associations antiviolence : Head & Hands et Women Aware.
V‑Day fonctionne au travers de campagnes, de bénévoles locaux et d’étudiants qui montent le spectacle. Selon leur site officiel, V‑Day a rassemblé plus de 5 800 événements à travers le monde, éduquant les hommes et les femmes, un par un.
Le chapitre de V‑Day à McGill est une organisation du campus qui est un relai de V‑Day international. Dans l’esprit d’Eve Enseler, l’objectif est d’augmenter la prise de conscience de chacun et de rappeler que la violence faite aux femmes existe. Le chapitre a été créé à la fin 2002 par Queer McGill. Depuis sa création, le groupe revendique plus de 130 000 dollars de bénéfice reversés à des organisations montréalaises.
Ces levées de fonds servent aussi à financer la pièce de théâtre ou d’autres activités comme des ateliers d’auto-défense.


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