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Lettre ouverte

À l’éditeur du Délit

En tant que dernier directeur de la Santé au Travail à McGill, je me dois de prendre la défense du docteur Corbett McDonald, fondateur de la Santé au Travail à McGill (1981), contre les allégations publiées dans Le Délit du 23 octobre, concernant ses recherches sur la fibre d’amiante. Ces allégations étaient particulièrement blessantes, venant de l’intérieur même de McGill.

De votre plume, nous devions conclure que suite à des contributions majeures menant à établir l’amiante comme une substance dangereuse, Corbett McDonald serait à blâmer pour sa conviction que certaines formes de l’amiante sont plus dangereuses que d’autres. D’après vous, il y a là évidence d’une collusion avec l’industrie de l’amiante.

Clairement, le rapport des doyens Fuks et Eidelman, que vous qualifiez de blanchissage, n’a pas modifié votre opinion, puisqu’on pouvait évidemment s’attendre à ce qu’ils défendent leur administration. Cependant, ici, à McGill, certains d’entre nous savent beaucoup de choses sur Corbett McDonald et ses activités.

Les relations avec l’industrie ne sont pas nécessairement suspectes, et peuvent être ouvertes et positives, même dans des situations difficiles. Dans beaucoup de cas, la coopération avec l’industrie est indispensable parce que l’industrie gère des installations et des milieux uniques, possède des informations détaillées et sophistiquées, de même que des capacités techniques et scientifiques qui sont introuvables ailleurs. McDonald a toujours identifié clairement ses sources de financement, tout comme Graham Gibbs et Margaret Becklake. Il a utilisé les ressources fournies par l’industrie pour salarier des spécialistes, et pour leur donner au Mont St-Hilaire des laboratoires d’hygiène modernes capables d’investiguer les problèmes reliés à l’amiante.

Si vous avez jamais tenté de publier un article dans une revue scientifique, vous savez que sous le feu des éditeurs, la diversité d’opinions techniques entre scientifiques peut générer des malentendus et même des sorties injustes, tout cela dans un esprit de saine discussion, bien sûr. Désolé de vous décevoir… le milieu scientifique n’est pas toujours tendre. Tous les types de fibres d’amiante doivent-ils être peints de la même couleur, tels les chapeaux de cowboys dans un film western ?

En 1996, Corbett McDonald a témoigné contre J. M. Asbestos devant la commissionnaire Louise Boucher dans l’importante cause Hamel, présentée devant la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (CALP). Étrange comportement, venant d’un homme dont vous mettez en doute l’intégrité, surtout que la décision a mené à l’attribution de compensations de plus de 13 millions de dollars aux travailleurs.

Corbett McDonald était l’un des meilleurs hygiénistes-épidémiologistes de son temps, allié à un niveau d’indépendance qui ferait rêver les journalistes. Dans la spécialité de Corbett McDonald, l’intégrité est absolument indispensable. Les journalistes sont garants des réputations, mais Corbett McDonald était responsable de vies humaines. Il a défendu la santé des travailleurs et des populations avec grande dévotion, et demeure un exemple et une inspiration pour tous ceux qui l’ont suivi.

En 2009, le Réseau de recherche en santé des populations du Québec lui a décerné le prix de Chercheur Émérite. À cette occasion, il a été dit que Corbett McDonald se distinguait par ses contributions uniques à la recherche et à l’enseignement, qui ont aidé à créer le domaine de la Santé au Travail au Québec, au Canada, et ailleurs, et qu’il continue toujours à se consacrer aux problèmes qui touchent la vie des travailleurs.

Je présume que vous ne serez pas impressionnés par le fait que depuis 2007, malgré une mobilité limitée, il consacre les dernières années de sa vie à défendre les populations défavorisées du Bangladesh de l’intoxication à l’arsenic, qui les menace dans l’eau de leurs puits. Tout ceci avec les mêmes connaissances uniques en hygiène et en épidémiologie qu’il avait déployées pour l’amiante.

Puisqu’il semble que McGill se refuse maintenant à soutenir la Santé au Travail, d’où viendra le successeur de Corbett McDonald, destiné à assurer la protection des travailleurs et de l’environnement, dans notre province et dans le monde ?

Une meilleure connaissance des faits et de l’homme qu’est Corbett McDonald devraient vous amener à la conclusion que des chercheurs en Santé Environnementale et Professionnelle de la trempe de Corbett McDonald sont des individus dont notre société a absolument besoin.

 

Paul Héroux, PhD
Directeur du programme en santé au travail
Université McGill

 


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