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Réflexions de fonds de tiroir

L’entrée de la police anti-émeute sur le campus jeudi dernier est devenue le compendium émotionnel d’un simulacre de choc intellectuel, avec rythmes pink floydiens en fond.

Je dis simulacre parce que si chaque bord aime se penser à l’opposé de l’autre, en réalité les deux jouent de la même orthodoxie idéologique, celle des marchés et de leur hégémonie intégrale.

Tous se battent pour l’espoir d’une vie confortable, pour l’espoir de voir ces quelques années de pénitence sur les bancs de l’université fleurir en une belle carrière. D’un côté, il y a ceux qui voient leurs aspirations menacées par l’épuisement des fonds et la dévaluation de leur diplôme ; de l’autre, ceux qui craignent pour leur seul accès à ces mêmes aspirations.

Tous se battent pour une place de choix dans la nouvelle économie des cerveaux. Les études universitaires sont une marchandise –gratuite, abordable ou chère– qu’on acquiert dans le but premier de l’échanger contre une position enviable dans notre société capitaliste. Dans ce contexte, aucun bord n’a le monopole des bonnes intentions, et aucun n’a le mérite de l’ambition intellectuelle.
L’éducation dite supérieure est donc un moyen, pas une fin, une simple étape sur le chemin de la vie, aussi longue puisse-t-elle devenir pour certains d’entre nous. Si l’on en faisait une fin en soi, l’éducation dévierait de l’efficacité des marchés. Elle abdiquerait son instrumentalité et deviendrait sa propre locomotive. De fait, elle ne promettrait plus forcément l’espoir d’avancement social qu’on lui connaît.

Peut-être que ce ne serait pas une mauvaise chose. Je ne remets pas en question les succès du capitalisme, surtout pas dans le domaine du savoir, pas plus que je ne répudie sa pertinence contemporaine. Seulement nous sommes rendus à un point où le soulas social se résume à des chimères libérales. Une poursuite dévotieuse du savoir animerait la société d’une vocation collégiale qui nous serait certainement salutaire.

Encore faudrait-il pour cela que l’on s’accorde à considérer le savoir en marge de la logique capitaliste qui dicte nos vies depuis les politiques d’austérité jusqu’à nos désirs inconscients, et selon laquelle les universités sont réduites à l’échelle de simples industries. Ensuite seulement pourra-t-on regarder le savoir non plus comme un marché parmi d’autres, mais comme un legs universel, intemporel et digne plus que tout (si ce n’est de l’amour) de notre passion.

En attendant, je ne puis m’empêcher d’entendre résonner l’écho de la dame de fer, comme si sa prophétie se réifiait par elle-même : « il n’y a pas d’alternative ».

Fiers étudiants que nous sommes, bien lotis dans une institution célébrée, l’ironie veut que nous retenions nos propres idéaux tels des réflexions de fonds de tiroir. Comme quoi, nous avons encore perdu une belle occasion de cogiter aussi loin que nous aimons nous en vanter.


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