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Ésotérisme urbain

Les citrouilles envahissent les marchés, squelettes et zombies s’étalent dans les vitrines, bonbons et autres gommes règnent partout. Halloween donne à la ville une nouvelle allure. 

Dès l’Action de grâce, une vive ambiance anglo-saxonne s’installe, atteignant son apogée lors de la grande fête pagano-amerloque. La ville se pare de cette tradition nord-américaine comme d’un masque, terme lourd de sens. Qui dit masque, dit mascarade ; qui dit masque dit peau, qui dit peau, dit vraie nature. Où est l’authentique, où est l’apparence ? Quelle est l’essence de Montréal ? Aussi dense qu’un grimoire. Il revient au promeneur d’engager sa quête de symboles sur la piste des feuilles mortes. Quel sens se cache entre deux stations de métro ? « Ne demande jamais ton chemin à quelqu’un qui le connaît car tu ne pourrais pas t’égarer » recommande le maître cabaliste Nahman de Bratslav.

Commençons. Pour beaucoup de torontois et de new-yorkais, Montréal est : « so French… so European, very old world ». Dans son ensemble, la cité a un épiderme très francophone, c’est indéniable. Mais « française », Montréal ? Il faut en finir avec ce bête réductionnisme à la South Park, qui dépeint les Québécois en grenouilles à béret. D’ailleurs, on peut sans mal ni faute qualifier Montréal de québécoise. Le lien semble évident.

L’ouïe et le regard apportent des preuves : sacres, tuques, poutine, fleur de lys… Hélas, le cliché rôde comme le Malin. Quelques sages comme Marius Barbeau ou Gilles Vigneault pourraient éclairer la voie, mais c’est trop tard, l’incertitude s’immisce. Quelle est la vraie nature de Montréal ? Dans le doute, le regard allogène se tourne vers le masque. Montréal est-elle anglo-saxonne ? Outre le folklore enraciné des dinners ou des pubs, l’architecture et la société paraissent fortement imprégnées d’un héritage britannique corpulent. Voilà de quoi hérisser la momie de Pierre Falardeau. Encore et toujours cette dualité.

D’après un conteur kéralais, il ne faut jamais geler d’un seul sens ce qui est par la taille et l’essence multiple. Au fil du temps, Montréal porte un masque différent, selon l’endroit où on se trouve. Prenons un Kenyan mcgillois vivant à East Westmount. Il étudie dans le centre-ville et partage ses sorties entre Saint-Laurent et Crescent. Sa vision de la ville est différente de celle d’un étudiant mexicain à l’UQAM dont l’univers pivote entre Beaudry et Pie IX. Sans tenter de noyer la binarité francophone-anglophone en brandissant les couleurs du multiculturalisme, rajoutons un Libanais qui zigzague entre Côte-des-Neiges, la Petite Italie et Outremont. Les spéculations gnostiques aboutissent parfois aux lapalissades les plus évidentes : une ville est plurielle. Son essence, c’est à dire sa culture, se renouvelle sans cesse en plus d’être diverse. Comme dans un poème hindou, l’apparente dualité s’efface et se fond dans un grand tout. Les masques tombent.

À chaque Montréalais son Montréal. Qu’il continue à flâner librement d’un quartier à l’autre tandis que les arbres rougeoient, en regardant alentour, avec en tête le talmudiste philosophe Emmanuel Lévinas, qui rappelle que l’Autre –avant tout un visage– est le miroir de Soi.


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