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Un samedi à Montréal

Il est à peine plus de midi lorsque je sors de chez moi ce samedi. L’escalier encore miteux il y a deux jours vient d’être verni par le voisin du dessus. C’est le fils de la vieille du rez-de-chaussée. Le voilà qui arrive d’ailleurs, tout sourire, comme d’habitude, et toujours l’air si seul ! La trentaine, célibataire évidemment, sacristain à la basilique Notre-Dame. Elle, une bouffie sexagénaire, sourde comme un pot –tant mieux, elle dort juste en dessous de moi !

J’ai déjà accéléré le pas, mais ça ne rate jamais, voilà cet agréable voisin qui m’interpelle… Aujourd’hui, je suis de bonne humeur, alors je me retourne. Il va encore me parler du chat de son ancienne fiancée. Il doit bien aimer les chats, il en a trois. Je lui souris et hoche la tête pendant cinq minutes, puis le salue, content d’avoir effectué ma bonne action de la journée.

Je remonte l’avenue Laval pour arriver dans le square Saint-Louis, je tourne à gauche, rue Prince-Arthur. Les trois mormons habituels jouent au coin. Ils sont plutôt bons ; et il m’arrive de m’arrêter pour les écouter. Pas aujourd’hui. Leur musique me berce quand même. Il y a toujours quelques musiciens ici. Un vieux inaudible, cinq jeunes qui à vingt ans ont déjà l’air d’avoir vagabondé ; un hispanique qui chante pour les amoureux, et les mormons. Je me demande comment ils se répartissent places
et horaires.

Plus loin, la mendiante la plus chic de Montréal. Tiens ! Elle a mis sa jupe préférée aujourd’hui!…

Puis l’hésitation quotidienne : vais-je acheter mes cigarettes et ma soupe à la tomate chez l’Indien avec qui je rigole toujours, ou chez la jeune fille d’à côté ? Elle me sourit tellement que je me demande si elle n’a pas un faible pour moi. Ce sera l’Indien, je redoute un mot dans mon sac ! On parle des résultats de la ligue des champions, il est pour le FC Barcelone. Ils ont encore gagné, alors que mon équipe… je n’ai même pas envie d’en parler!…

Je sors, et passe tout de même faire un sourire à ma petite vendeuse. Mais celle qui m’intéresse, moi, dans cette rue, c’est la serveuse du mexicain. Pulpeuse, sans âge, cette fille est un fruit juteux au regard arrogant et à l’accent enchanteur.

Je ne digère pas le mexicain…

Hier, sur la fontaine, j’ai discuté une heure durant avec une inconnue. Deux étrangers sont en train de nous imiter. Elle a dû en créer des rencontres, cette fontaine.

Je repasse devant le square, observe un instant les écureuils, et juge qu’ils ont bon goût de s’être installés ici. Si j’étais l’un d’eux, j’irai pourtant dans le jardin botanique, l’air y est plus pur.

Je continue, la diva du quartier travaille ses cordes vocales. Et des « Ooooooh ! », et des « Uuuuuuh ! » qui font sourire tout le monde. J’aime bien !

Quelques pas encore, des feuilles abdiquent et tombent, rougies par l’automne.

L’escalier verni.

La porte.

Et les Anglais… Plus d’un mois que les deux amis de ma colocataire squattent chez nous. Il paraît qu’ils cuisinent bien.

Mon livre, mon lit, mon thé, et ma musique ! Et la vieille bouffie qui donne des coups au plafond avec son balai ; moins sourde que je le pensais. Peu importe, il fait beau aujourd’hui et tout paraît léger. Je prends mon livre,  La Condition humaine de Malraux, et m’en vais lire au parc. Mon baladeur fera très bien l’affaire.

Benjamin Barnier


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